Hervé Bourges, auteur du rapport pour une renaissance de la francophonie revient sur les maux de la francophonie
Au mois de Juin 2008, Hervé Bourges a remis un rapport à Alain Joyandet, secrétaire d’état chargé de la coopération et de la francophonie. Intitulé pour une renaissance de la francophonie, il s’agit d’un rapport bilan de la francophonie et avec en prime une liste de propositions. La francophonie doit s’adapter au contexte mondial pour renaître aux yeux du public
Vous partez d’un constat ferme, la francophonie manque de visibilité, d’efficacité et l’affaiblissement de la langue française n’arrange pas les choses. Ne pensez vous pas que la francophonie, organisme culturel et linguistique, a plutôt raté un tournant de son histoire où elle a refusé de s’étendre un tant soit peu sur les terrains politiques?
Peut être. Il ne faut pas oublier que la francophonie a été inventée pas par les français mais par quatre chefs d’états africains qui ont dit nous avons une communauté de destin, une langue imposée par le colonisateur, désormais, nous la faisons nôtre pour défendre ensemble des problèmes. Il ne faut pas réduire la francophonie à la langue française. Il y’a un autre aspect qui est politique et c’est peut être à ce niveau là qu’on a peut être raté le tournant il y’a quelques années, tournant qu’on est capables à mon avis de reprendre. C’est pour ça que j’ai insisté sur la nécessité pour la francophonie de s’atteler aux grands problèmes qui sont ceux d’aujourd’hui. Afin qu’il devienne le premier espace de débat citoyen dans le monde. Au fond la force de la francophonie, c’est qu’il y’a des états du Nord forts et des états du sud qui sont plus faibles et que le dialogue Nord Sud peut commencer au sein de la francophonie sur un pied d’égalité. Comme le disait Malraux, il n’ y a pas de nations petites, mais des nations de cultures différentes qui doivent parler entre elles. Je crois si au sommet de Québec, on se contentait de faire des grands discours généraux, on tomberait à côté de la plaque alors que les gens attendent autre chose. Or on peut faire la constatation que la francophonie s’est mobilisée au moment où passait à l’Unesco cette grande revendication sur le dialogue des cultures et l’identité culturelle. Elle représente le tiers des états au sein de l’Onu et a joué dans ce domaine un rôle essentiel pour que la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle puisse être adoptée à la quasi unanimité par les Etats membres.
Et vous dites, Les causes de cette situation sont donc largement françaises?
La France a laissé tombé sa langue et je dis il faut reprendre le combat et essayer de redonner à cette langue sa vigueur, la faire respecter chez nous, et dans les institutions internationales. En 2004 j’avais été désigné par le président Abdou Diouf comme grand témoin aux jeux olympiques d’Athènes et j’avais constaté que la charte olympique avait été violée parce que la charte dit il y’a deux langues officielles, l’anglais et le français mais la plupart des conférences se faisait en anglais et parfois sans traduction en français. Il faut se ressaisir car en défendant la langue française, on défend les langues africaines et les autres langues du monde. C’est un combat d’avant-garde et la France dans ce domaine a un petit peu laissé tomber sa langue. C’est un combat d’avant-garde qu’il faut mener. Un exemple, le 20 mars 2008, lors de la journée de la francophonie, il y’avait des grandes manifestations à la cité internationale ou le président Nicolas Sarkozy a déclaré que la francophonie était un des éléments essentiels de la politique étrangère française. Mais ça été repris très peu dans les médias.
Pour terminer avec la France, TV5 monde fête ses 25 ans cette année et est considéré comme l’un des joyaux de cette bâtisse francophonie. Mais le projet de restructuration de l’audiovisuel extérieur actuel du président Français prévoit de réunir TV5, RFI et France 24 dans une holding. Ne va pas t’il pas éloigner cette chaîne des priorités premières, en faisant d’elle plus que jamais une chaîne de la France à l’étranger?
Dans ce rapport, je parle longuement de TV5. Je rappelle largement la vocation francophone, généraliste et internationale. Ce n’est pas une chaîne française. Elle peut participer au fonctionnement de France Monde qui ne s’appellera pas tel puisque le titre est pris. Ça peut être un partenaire et non une filiale. Un accord est passé avec le président de TV5 et le président de la holding, M. de Pouzzilac. TV5 apportera sa contribution au développement de l’international mais restera une chaîne autonome et indépendante. Et une chaîne opératrice de la francophonie.
Proposition numéro 1: Inscrire les noms de Léopold Sedar Senghor et d’Aimé Césaire au Panthéon. Le panthéon français. Pour leurs actions en France ou pour la francophonie?
Je fais un rapport qui n’est pas une analyse doctrinaire, qui n’est pas idéologique mais qui est un rapport de combat qui conduit à trois priorités que je concrétise en seize propositions. Et pour chaque priorité, j’essaie de proposer des actions symboliques aptes à frapper les esprits et à resserrer la communauté francophone et les autres propositions sont des actions. La première proposition qui est hautement symbolique c’est d’inscrire le nom de Léopold Cédar Senghor et d’Aimé Césaire au panthéon. La France rendra ainsi hommage à deux figures emblématiques de la francophonie et dire la reconnaissance de la France pour leurs rôles au service du rayonnement de notre langue commune. Il ne s’agit pas d’un rapatriement des corps. Senghor a voulu être enterré à Dakar et Césaire à Pointre à Pitre, mais qu’on inscrive leurs noms comme les pères de la négritude d’abord et ensuite comme les combattants de la francophonie. Ensuite, je fais des propositions pour rendre la francophonie plus visible avec notamment la création d’un visa francophone. De nombreux étudiants vont au Canada, aux Etats unis ou ailleurs, parce qu’ils n’obtiennent pas de visa en France. Il y’a de nombreux artistes, on a pu le voir encore récemment, qui ne se déplacent pas. Ce visa francophone, identique au visa Commonwealth pourrait être adopté pour concilier politiques migratoires et francophonie en mettant en avant tous ceux qui par leurs connaissances de la langue française, apportent quelque chose au dialogue universel. Et ceux là doivent être privilégiés s’ils veulent voyager entre les pays de la francophonie. Pour rendre la francophonie plus visible, je propose la création des états généraux de la francophonie pour traiter des problèmes de notre époque. En ne lui donnant pas un caractère administratif, mais populaire et ouvert sur les sociétés civiles, les ONG, les associations, les universitaires. Une autre proposition importante est la création d’un grand portail francophone en essayant de réduire la fracture numérique. L’Afrique c’est trois, quatre pour cents d’internautes dans le monde. Un exemple très simple : il y a plus d’appareils téléphoniques mobiles à Manhattan que sur l’ensemble du continent africain. Il faut dans ce domaine un volontariat pour permettre aux pays du Sud de combler le fossé numérique. Renforcer TV5 Monde et en faire le vrai média identitaire francophone en arrêtant les querelles qui ont eu lieu dans l’hexagone à ce sujet. Les choses sont claires, TV5 est une chaîne multilatérale francophone généraliste. La deuxième priorité est de donner une impulsion concrète à la francophonie. A ce sujet, je souhaiterais qu’il y’ait en marge des sommets, une grande manifestation culturelle et médiatique. Ça demande une grande organisation, mais c’est possible. Je propose que pour les sommets francophones, on fixe des objectifs communs non pas de façon générale mais sur les grands sujets de l’heure. J’ai proposé dans mon rapport que soit étudié un pacte francophone contre le réchauffement climatique, la conception d’une alternative de développement pour assurer la sécurité énergétique mondiale et face à la crise alimentaire, la mise en avant d’un plan solidaire contre la faim. Toutes ces actions permettraient à la francophonie de faire des propositions au sein des grands organismes internationaux en essayant de défendre ensemble le destin collectif de l’humanité. Je propose qu’on puisse lutter contre toutes les actions d’atteinte aux droits de l’homme et de la presse et que l’OIF amplifie son action en faveur des médias indépendants, en les soutenant, en soutenant Internet, en essayant de s’appuyer sur une association représentative de la presse francophone et de considérer comme priorité la formation des journalistes. J’ai proposé qu’on crée une fondation de la francophonie, pour avoir des fonds privés et que ce ne soit pas seulement les Etats et notamment la France qui paie, permettant ainsi de multiplier les actions significatives. La dernière priorité est de reprendre l’offensive en matière linguistique. Comme actions, il faudra créer une académie francophone qui pourrait parallèlement à l’académie française, délivrer un grand prix, et avoir des membres différents et d’origines divers.
La francophonie enseignée dans les lycées et collèges ? Comme mouvement culturel ou comme vivier de talents divers?
On découvre tout à coup qu’il faut étudier Césaire alors qu’on aurait dû l’intégrer depuis longtemps dans les programmes car c’est un écrivain mondialement connu et il y’a des écrivains africains qui le sont. Je suis pour la création des programmes Erasmus francophones pour multiplier les passerelles entre les universités francophones du nord et du sud. Nous avons un organisme universitaire qui fait un très bon travail et il faudrait lui donner la possibilité de créer cet érasmus. Il faut reprendre l’offensive linguistique de manière décomplexée : se dire que l’anglais est indispensable mais il ne faut pas négliger le français qui est une langue mondiale, comme il faut pousser l’espagnol, le portugais ou le russe. Démultiplier l’action de formation du français. Dans mon enquête je fais un constat, de nombreux pays veulent apprendre le français, le Brésil par exemple ou encore des pays anglophones comme le Nigeria. Et surtout, respecter cette langue dans les organismes nationaux, internationaux établis en France ainsi que dans les grandes entreprises qui font parfois leurs notes de services en anglais. Ce qui n’est pas normal. Je voudrais vous rappeler un fait, le président Jacques Chirac avait quitté une séance où le président du Medef voulait faire son discours en anglais alors que ça se situait en France. Il faut bien évidemment soutenir tout ce qui est bouquet francophone dans le monde. Je fais enfin une proposition purement politique ; la création d’une haute autorité de la francophonie. Avec un pouvoir d’enquête et de sanctions.
Vous n’avez pas cité les organisations de jeunes dans votre liste de repères et pourtant un travail de réorganisation est mené depuis quelques années et il a abouti à la création du conseil international des organisations de jeunes de la francophonie et à la mise sur pied des missions de volontariats à travers son portail jeune. N’est ce pas aussi une priorité ? Et non des moindres (la gestion des ressources humaines, notamment des jeunes).
Vous avez raison, c’est une priorité. Je profite pour dire que ce document, remis aux autorités françaises est un rapport de propositions. J’espère que mes trois priorités et seize propositions ne resteront pas lettre morte et qu’on retiendra certaines propositions. Je souhaite que les pays francophones s’en saisissent et en discutent, enrichissent ce rapport. Ce rapport est celui des chefs d’états, des acteurs et de tous les francophones, qu’ils en fassent ce qu’ils veulent.
On ne saurait parler de cette institution dans un ton totalement pessimiste. Et si on vous demandait de présenter les mérites de la francophonie?
Le mérite d’avoir une langue parlée par près de 60 pays dans le monde, d’avoir des idées communes sur un nombre de valeurs à défendre, d’être favorables même si c’est plus ou moins selon les pays à la démocratie, aux respects des droits de l’homme qui sont les choses qui ne sont pas les mieux partagées aujourd’hui, même dans le système de la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui.