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Le Tchad, nouvelle pierre angulaire de la sécurité en Afrique?

Par Talal Salahdine, Directeur Stratégie de l'Institut Amadeus «Les récits sur les exploits des soldats tchadiens sont aujourd'hui légion en…

Par Talal Salahdine, Directeur Stratégie de l’Institut Amadeus

«Les récits sur les exploits des soldats tchadiens sont aujourd’hui légion en Afrique. Leur vaillance, leur courage, leur abnégation aux combats sont souvent relatés par les experts militaires du Cap à Dakar, en passant par Naïrobi et bien sûr Bamako. Ils sont pour l’Histoire, « les libérateurs de Kidal ». Partenaire précieux de Paris durant l’opération Serval, mais aussi engagée dans des combats pour la pacification de la Centrafrique et depuis janvier au nord du Nigeria pour mettre fin aux avancées inquiétantes de l’imprévisible secte islamiste Boko Haram, force est de constater que l’armée du président Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 1991 et lui-même ancien colonel, est sur tous les fronts».

L’auteur de ces lignes, parcourant depuis trois ans les forums de sécurité sur le continent peut témoigner de l’accueil chaleureux et teinté de reconnaissance dont jouissent depuis quelque temps les différentes délégations tchadiennes de la part de leurs pairs du continent. Longtemps embourbé dans d’épuisants conflits avec le Soudan voisin au sujet du Darfour ou encore la Libye de Kadhafi, le régime d’Idriss Déby aura, à la faveur de la chute du Guide libyen (avec lequel il s’était auparavant finalement réconcilié) et de l’accélération de l’Histoire dans un Sahel en proie à de nombreuses tensions, su tourner la situation en sa faveur et se positionner comme un acteur régional de premier plan. Une opportunité que le régime a saisi au vol, avec l’ambition de se refaire une virginité auprès des Occidentaux et reléguer ainsi au second plan sa nature autoritaire et répressive.

A son crédit, le président tchadien fut le premier chef d’Etat du continent à alerter l’opinion publique africaine et internationale quant aux conséquences d’un départ précipité de Kadhafi, conscient qu’il était des failles sécuritaires que cela engendrerait pour toute la région.

Présenté aujourd’hui comme un rempart et un acteur incontournable face au terrorisme islamique, le Tchad, par ailleurs nouveau rentier pétrolier, apparaît de plus en plus comme un partenaire crédible, efficace, mais également influent sur les autres Etats de la région.
Evidence opérationnelle mais aussi géographique.

La capitale tchadienne a été choisie par ailleurs pour abriter le poste de commandement de l’opération Barkhane, nom donné au nouveau dispositif français de lutte antiterroriste dans la région mis en place en partenariat avec les cinq pays de la zone dite sahélo-saharienne: Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et donc le Tchad. Tout donc sauf un hasard, tant cela apparaît comme une évidence à la fois opérationnelle mais aussi géographique.

Très volontaires, les Tchadiens le sont aussi au sein de la force multinationale africaine de lutte contre le groupe islamiste nigérian Boko Haram, qui sévit dans le nord du pays et dont la nouvelle approche de conquêtes d’espaces ou territorialisation constatée depuis l’an dernier bouleverse la donne sécuritaire au sein des pays membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad. Là encore, Ndjamena abritera le quartier général de cette force de 8.700 hommes, récemment mise en place et qui regroupe outre le Tchad et le Nigeria, les pays voisins de ce dernier: Cameroun, Bénin et Niger. Géant aux pieds d’argile, le Nigeria s’est résolu à accepter le principe d’une coalition militaire panafricaine pour lutter contre Boko Haram. Son armée, pourtant présentée comme l’une des plus puissantes d’Afrique, ayant fait preuve à la fois de sa désarticulation humaine et matérielle avancée mais aussi du haut niveau de corruption qui prévalait dans ses rangs.

Signe qui ne trompe pas: contrairement aux autres armées et malgré certaines réticences à Abuja, les Tchadiens sont autorisés à poursuivre en territoire nigérian les djihadistes dont la stratégie de razzias reste aussi illisible que dangereuse. Il faut dire qu’outre les aspects sécuritaires, les intérêts économiques vitaux du Tchad sont menacés à savoir ses principales voies de ravitaillement notamment celle partant depuis le port de Douala.

En Centrafrique également, le Tchad est un acteur central. Contrairement au Mali, son interventionnisme peut-être vu en RCA comme dans l’ordre naturel des choses tant Ndjamena a toujours considéré ce pays comme sa zone d’influence privilégiée. Avant l’indépendance, les deux pays n’en faisaient qu’un: l’Oubangui-Chari et la frontière de plus de 1.000 km qui les séparent désormais reste à bien des égards artificielle.

Faiseur de roi décrié
A un moment en proie à une partition de son territoire sur une base confessionnelle, suite à l’escalade des affrontements entre milices chrétiennes anti-balaka et partisans musulmans de la Séleka, rébellion un temps au pouvoir à Bangui, la RCA dû se remettre une nouvelle fois aux bons offices (évidemment intéressés) du président Déby. Ce dernier ayant facilité le départ de Michel Djotodia et permis de remettre relativement sur les rails un processus de transition bien mal en point.

Bien sûr le bilan tchadien en Centrafrique est moins reluisant. Après avoir lâché le président Bozizé (dont il avait béni le coup d’Etat en 2003), le régime de Ndjamena a longtemps appuyé la Séléka, cette alliance hétéroclite de groupes armés, sans réel programme politique et rapidement honnie par la population. A aujourd’hui, ses liens avec ses anciens leaders, dont nombre d’entre deux ont des ascendances tchadiennes, restent très troubles. Faiseur de roi décrié, le Tchad a fini par retirer ses troupes de la Misma, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique. Ne nous y trompons cependant pas, son influence n’en reste pas moins incontestable.

Talal Salahdine
leconomiste.com)/n

Sauver l’honneur du continent
AU niveau de la crise malienne, les hommages appuyés en Afrique, mais aussi en provenance de Paris, à Ndjamena sont unanimes. L’intervention au pied levé de l’armée tchadienne au Nord Mali, aux côtés des soldats français, aura sans conteste fortement aidé à débloquer l’attentisme de la Cedeao (dont le Tchad n’est pas membre) sur ce dossier.

Sur le terrain, notamment dans l’Adrar des Ifoghas, zone montagneuse désertique, longtemps base de replis des combattants d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), l’apport des soldats tchadiens, en première ligne face aux djihadistes, aura été déterminant. Des armées engagées sur le front malien, elle reste celle qui a payé le plus lourd tribut. Un engagement déterminé qui fera dire au président Macky Sall du Sénégal «qu’au Mali, le Tchad aura sauvé l’honneur de l’Afrique».

Des soldats tchadiens au Mali
Patrick Robert / Festival PhotoReporter 2014)/n

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