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Macky Sall: « Le président gambien doit accepter sa défaite »

Sur les antennes de Radio France Internationale ce lundi, le président sénégalais s'est aussi exprimé sur la bataille à venir…

Sur les antennes de Radio France Internationale ce lundi, le président sénégalais s’est aussi exprimé sur la bataille à venir pour la présidence de la commission de l’Union africaine

« Le président gambien Yahya Jammeh doit accepter sa défaite et se retirer tranquillement, faute de quoi la Cédéao sera dans l’obligation d’engager l’épreuve de force », lance le président sénégalais sur RFI. Avant-hier, samedi 17 décembre, Macky Sall était à Abuja, au Nigeria, pour un sommet de la Cédéao consacré précisément à la Gambie. Aujourd’hui, lundi 19 décembre, il est à Paris pour une visite d’Etat de trois jours. Le chef de l’Etat sénégalais est notre invité. Pour la première fois, il s’exprime aussi sur la bataille à venir pour la présidence de la commission de l’Union africaine. Macky Sall répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Samedi à Abuja, vos pairs et vous-même avez promis de prendre tous les moyens nécessaires pour faire respecter le verdict des urnes en Gambie, mais sans dire lesquelles. Alors est-ce que vous pouvez nous donner quelques précisions ?
Macky Sall : Je pense que le texte d’Abuja a été très clair. Tous les moyens nécessaires, cela veut dire tous les moyens nécessaires. Nous avons privilégié la diplomatie, nous avons désigné le président Muhammadu Buhari, président du Nigeria, pour être le médiateur. Il se rendra très certainement bientôt à Banjul pour rencontrer le président Jammeh et lui rappeler la décision très claire de la Cédéao, qui ne peut pas accepter la remise en question des résultats d’une élection libre, transparente et démocratique. La souveraineté appartient au peuple. Donc lorsque le peuple décide, les vaincus doivent s’incliner. Et nous lui avons demandé aussi de prendre toutes les dispositions pour une passation de pouvoir, une transition pacifique et à date échue.

Alors ce samedi à Abuja, votre homologue libérienne Ellen Johnson Sirleaf a réclamé l’adoption de mesures concrètes. Mais dans le communiqué final, aucune mesure n’est annoncée. Est-ce que cela veut dire, peut-être, que vous n’êtes pas tous d’accord sur la méthode à suivre ?
Il y a eu une unanimité. C’est une position forte. Jamais on a eu d’ailleurs une adhésion aussi forte sur la nécessité que la Cédéao ne saurait avoir un double langage sur cette question. Nous sommes très clairs, les élections ont été faites, Monsieur Adama Barrow a été élu. Donc il faut que le président Jammeh respecte cette décision et passe le pouvoir à Monsieur Barrow. La Cédéao a aussi décidé de l’envoi d’une sécurité pour le président élu. Toutes ces questions seront abordées par le médiateur. Et enfin, la Cédéao a appelé aussi tous les acteurs gambiens à faire preuve de retenue pour ne pas envenimer inutilement la situation. Elle pense qu’elle donnera des mesures d’accompagnement au président gambien de pouvoir se retirer tranquillement, faute de quoi, nous serons dans l’obligation d’engager l’épreuve de force.

L’épreuve de force, justement : il y a une semaine, le président de la commission de la Cédéao, le Béninois Marcel Alain de Souza, nous a dit que l’option militaire était envisageable. Est-ce que vous confirmez ou non ?
Je crois que tout est dans le texte de la Cédéao, on n’a pas toujours besoin d’être explicite, mais les mots ont leur sens. Quand on dit : toutes les options seront prises, tous les moyens seront mis en uvre pour faire accepter cette décision, c’est assez explicite. On n’a pas besoin de dire comment, ni dans quelle forme, tout le monde comprend ce que l’on veut dire par là. En tout cas, ce que je peux dire en tant que Sénégambien, c’est vraiment d’inviter le président Jammeh à accepter sa défaite et à partir la tête haute, sinon il n’a aucune perspective. Je ne vois pas comment il peut tenir tête au monde entier devant une telle situation. Aujourd’hui, je pense qu’il doit être conscient des risques et des conséquences très dramatiques qui pourraient subvenir en Gambie si jamais il doit s’entêter.

Vous savez bien que l’une des raisons pour lesquelles il ne veut pas lâcher, c’est parce qu’il a peur des juges ?
Oui, mais c’est là le débat aussi. Est-ce qu’il faut privilégier la paix et la concorde, le pardon ? Parce que sinon cela finira comme on l’a vu en Libye, en Syrie, tout sera détruit et qu’est-ce qu’on gagnera ? Donc, nous pensons que Jammeh doit pouvoir partir, il faut lui donner cette assurance et puis il faut qu’il parte.

Vous vous dites sénégambien, monsieur le président. Un de vos prédécesseurs, Abdou Diouf, a été très sénégambien, c’était en 1981, quand le Sénégal est intervenu militairement à Banjul pour rétablir le président Jawara. Aujourd’hui, est-ce que ce scénario pourrait se reproduire ?
Je ne le pense pas, et ce n’est pas à l’ordre du jour. Parce que nous n’avons aucune intention pour reconstruire la Sénégambie institutionnelle. Non. C’est une évidence. Aujourd’hui, la Gambie est un pays souverain, cette souveraineté doit être respectée. Par contre, nous devons renforcer notre coopération au plan économique, au plan des infrastructures, puisque trois de nos régions se trouvent au sud de la Gambie, et donc nous avons un problème de continuité territoriale. Si nous mettons en place des politiques utiles pour les deux peuples, notamment le pont qui doit permettre vraiment le transfert de personnes, des biens, dans des conditions optimales, je pense que le reste sera une cohabitation au bénéfice des deux peuples.

Vendredi dernier, sur France 24, vous avez démenti qu’Adama Barrow était protégé par des gardes sénégalais et aujourd’hui, vous nous annoncez que ce sont des gardes de la Cédéao, c’est ça ?
Non, la Cédéao a décidé de donner une garde à monsieur Barrow. Dans quelles conditions ? Certainement le président Jammeh en sera saisi, et c’est la raison pour laquelle un chef d’Etat a été désigné, en l’occurrence le président Buhari du Nigeria, pour lui donner toutes les résolutions de la Cédéao et lui permettre de faciliter l’accès de cette garde dans son territoire. Bien entendu, s’il veut bien l’accepter, s’il ne l’accepte pas, c’est autre chose. Mais voilà comment se passeront les choses. Le Sénégal ne pouvait être présent en Gambie sans un mandat donc cela n’a pas de sens d’envoyer une dizaine, une vingtaine de personnes, c’est même un suicide. On ne peut pas envoyer 20 personnes pour dire qu’on va protéger quelqu’un, quand le pays ne nous souhaite pas la bienvenue, donc ça n’existe pas. Par contre s’il y a un mandat, oui, le Sénégal est en mesure de contribuer au nom de la Cédéao à faire toute mission que requière la situation comme nous le faisons dans plus de cinq ou six pays africains aujourd’hui.

Votre compatriote Abdoulaye Bathily, votre ministre aussi, est l’un des favoris à la succession de madame Zuma à la présidence de la Commission africaine. Pourquoi pensez-vous que c’est un bon candidat ?
D’abord, je voudrais vous rassurer, Abdoulaye Bathily n’est pas dans mon camp politique, il n’est pas dans mon parti. Mais je considère que c’est un panafricaniste, un intellectuel de haut niveau, un historien qui connait parfaitement l’histoire des peuples d’Afrique, particulièrement d’ailleurs dans la zone Afrique australe, Afrique de l’Est. Et il a un parcours tout à fait élogieux de militant politique, d’homme d’Etat, ministre, député. Il a été également représentant du secteur général des Nations unies, à la fois au Mali et en Afrique centrale. Donc c’est quelqu’un qui a le profil de l’emploi. C’est pourquoi le Sénégal l’a présenté, la Cédéao a endossé cette candidature qui lui donne déjà une chance pour pouvoir passer. Mais la seule Cédéao ne suffit pas puisqu’il faut 36 voix alors que la Cédéao est constituée de quinze pays. Il va falloir aller chercher les autres voix ailleurs et nous y travaillons de façon soutenue. Maintenant, nous attendrons le vote du mois de janvier pour savoir la suite.

Cette élection tombe au moment où le Maroc veut revenir dans la grande maison africaine en échange de la suspension de la RASD. Est-ce que les pays supporteurs de la République arabe sahraouie démocratique ne risquent pas de voter pour un autre candidat qu’Abdoulaye Bathily vu les excellents rapports entre le Maroc et le Sénégal ?
D’abord, il faudrait faire la dichotomie entre la candidature d’Abdoulaye Bathily et la question du Maroc, cela n’a rien à voir. La Maroc est un pays ami du Sénégal, ça c’est un fait. La candidature du Sénégal est la candidature du Sénégal. Seuls ceux qui veulent combattre cette candidature veulent créer l’amalgame, cela n’a rien à voir. Et puis le président de la commission, qu’est-ce qu’il peut faire sur cette question ? Ce sont les Etats qui décident, ce n’est pas le président de la commission, il n’a aucun pouvoir de décision sur cette question. Donc on ne peut pas créer un amalgame sur la candidature du professeur Bathily et la position même de son pays ou la question du Sahara, qui est une question complexe sur laquelle, je l’espère, l’Afrique travaillera avec lucidité pour une solution durable.

Le président sénégalais Macky Sall, photo illustration.
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