L’activité prospère malgré les risques graves pour la santé des populations.
Plusieurs drames sont là pour montrer le danger que représente les médicaments vendus en pleine rue dans les villes du Cameroun. Dans les marchés, boutiques, échoppes, comptoirs de fortunes, à travers les rues et carrefours, le médicament côtoie les fruits, légumes, cigarettes, livres et autres produits. Un antibiotique s’acquiert aussi banalement que. Pourtant, le médicament ne saurait être considéré comme une «marchandise» au même titre que les autres.
Médicament ou poison?
Le médicament dit de la rue, exposé aux intempéries de toutes sortes, bafoue toutes les règles applicables en matière de conservation. Sur des étables à la merci du soleil, de la pluie et des poussières, les modalités de conservation sont loin de leur garantir la qualité nécessaire pour une consommation sans danger. Les médicaments ou ce qui en tient lieu sont rangés dans des cartons et stockés dans des hangars ou la température augmente et baisse sans contrôle. Un pharmacien révèle que la conservation des médicaments a un impact direct sur leur qualité. Dans chaque produit, il y a une dose de principes actifs destinés à agir réellement sur l’agent pathogène. Les conditions approximatives de transport, de stockage et de distribution transforment rendent ces substances toxiques pour la santé. Le pharmacien précise qu’en réalité, la biodisponibilité d’un médicament baisse entre le fabricant et la pharmacie. Cela est accentué pour le médicament de la rue qui ne connaît aucun suivi. La qualité du médicament de rue ne rassure pas non plus du fait que comme l’avoue un vendeur, il arrive, qu’après la date de péremption, on change la boite du produit périmé en l’introduisant dans un autre étui ayant une date de péremption lointaine. Confidence effrayante pour qui sait que le médicament périmé est un poison grave pour un être humain, qui plus est, souffre déjà d’un mal.
La misère comme excuse pour les vendeurs… Et les acheteurs!
Les vendeurs de médicaments de la rue se veulent rassurant quant à la provenance de leurs marchandises. Ils affirment que ces derniers proviennent de la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments consommables médicamenteux essentiels (Cename), le bras séculier du gouvernement camerounais dans le domaine de la distribution des médicaments. « Des infirmières des hôpitaux viennent souvent acheter des produits chez nous pour aller les revendre ». Les médicaments vendus dans la rue font partis d’une vaste filière dont la « traçabilité » n’est pas évidente. Les vendeurs évoquent tantôt des livreurs qui reviendraient d’Europe ou d’Asie avec les produits, tantôt des liens avec des structures de réputation dans la chaîne de distribution et de contrôle du médicament au Cameroun tels Pharmacam, Laborex, UC Pharm. Quoi q’il en soit, le trafic s’étend aussi aux médicaments en provenance du Nigeria voisin. Dans ce clair obscur sur leurs origines, les médicaments de rue ne rassurent guère. D’autant plus que la compétence des vendeurs est des plus douteuses. Chômeurs, chercheurs d’emploi, diplômés de l’enseignement supérieur sans qualification spécifique, commerçants parfois illettrés, les vendeurs des médicaments ont des profils divers mais se rejoignent au moins sur un aspect ; ce sont des «débrouillards» qui essaient, comme ils le disent, de «gagner honnêtement leur vie». « Je ne veux pas voler ou toujours demander de l’aide, explique l’un d’eux rencontré à Yaoundé, je n’ai pas de travail et je me bats pour survivre et aider ma famille». Chacun y va de sa petite histoire pour justifier son activité illégale. A tous les coups, la «précarité ambiante» est l’exutoire idéal. Plusieurs commerçants qui se font appeler docta (docteur) ont bâti de véritables fortunes grâce à la vente de médicaments de la rue en multipliant les comptoirs sur toutes l’étendue du territoire et en maîtrisant la chaîne de distribution au point de devenir incontournable pour nombre d’autres dans «la profession». L’activité nourrit d’autant plus son homme que les clients ne manquent pas.
La majorité des consommateurs de ces médicaments évoquent la modicité de leur pouvoir d’achat. Je n’ai pas de moyens pour aller à la pharmacie. Ici (dans la rue) je peux avoir n’importe quel produit au tiers du prix de la pharmacie. Pourtant, au Cameroun, les pharmacies disposent de médicaments génériques de qualités et à des prix abordables. Rien n’y fait, à chacun ses habitudes : «j’ai un vendeur chez qui j’achète toujours mes produits et ça se passe bien » tente de rassurer un habitué. Antibiotiques, solutions glucosées et autres anti-inflammatoires s’achètent avec ou sans ordonnances à des prix défiant toute concurrence.
La loi sans la force
Au Cameroun, le monopole de la vente du médicament est reconnu au pharmacien de par la loi n°90/035 du 10 Août 1990, organisant ladite profession. En même temps qu’il est destiné à guérir une maladie, le médicament représente aussi un risque majeur d’intoxication pour le consommateur lorsque les doses ne sont pas respectées en terme de qualité ou de quantité. Il est donc fondamental de contrôler le maniement de produits médicamenteux qui ne relèvent pas du commerce traditionnel. Dans cette optique, des obligations légales et déontologiques pèsent sur le pharmacien. Ce dernier est comptable de la bonne utilisation des médicaments. Le vendeur de la rue ignore tous ces principes. A plusieurs occasions, les autorités publiques ont lancé des campagnes dans lesquelles elles promettaient de « tordre, une fois pour toutes le coup à la vente « illicite de médicaments ». Il a ainsi été organisé des saisies massives de médicaments accompagnées d’incinérations publiques à grand renfort de tapage médiatique. Ces campagnes s’accompagnent également d’une sensibilisation des populations des zones rurales et urbaines sur les dangers des médicaments de rue. Des slogans sont diffusés tels le médicament de la rue tue, n’achetez vos médicaments que dans les pharmacies. Ou encore femme handicapées, mères, protégez vos familles des dangers du médicament de la rue. Cependant, la matérialisation de ces bonnes intentions tarde à se faire sentir. Sur le terrain, la propagande a manifestement l’effet inverse de celui escompté. L’activité prospère au su et au vu de tous sans que cela ne semble vraiment émouvoir populations et autorités. Beaucoup s’interrogent sur la volonté réelle de l’Etat d’arrêter ce commerce. Certains pensent que la tolérance s’explique par la situation de précarité globale au Cameroun qui contraint les laisser faire pour occuper des individus confrontés au chômage et à la misère.
Le médicament est loin d’être un produit commercial comme tous les autres Touchant directement la santé des individus, sa mise à la disposition du public doit être rigoureusement encadrée au risque de générer un problème de santé publique.