Interview à bâtons rompus réalisé par Jdc. Lisez plutôt!
Vous êtes journaliste free lance établi en France, présentez-vous à notre public!
Comme vous l’avez indiqué, on m’appelle Samuel MBAJUM. J’ai 62 ans. Je suis père de quatre enfants. J’ai été attiré par le journalisme dès l’école primaire à Bangangté, dans mon département natal au Cameroun. D’ailleurs une de mes rédactions scolaires avait eu l’honneur d’être publiée dans le quotidien régional Le Bamiléké en 1957. J’avais alors pour surnom Chateaubriand, le célèbre écrivain français que j’admirais profondément. Après mes études secondaires au Lycée Leclerc de Yaoundé, sanctionnées par un bac philo en 1966, j’ai passé une année à la Fac de Lettres et des Sciences Humaines de l’Université Fédérale du Cameroun. C’est alors que Philippe GAILLARD (futur collaborateur de Jeune Afrique), alors Conseiller Technique du ministre camerounais de l’Information et de la Culture, fit savoir au gouvernement qu’un de ses amis, André BOYER, ancien journaliste à Marseille, lui avait fait savoir qu’il serait heureux d’accueillir cinq élèves-journalistes camerounais à l’Institut Ali Bach Hamba de Tunis, dont il était le Directeur des études. A l’issue du concours de recrutement, dont j’étais sorti major, nous nous retrouvâmes à Tunis en novembre 1967. Parmi mes camarades d’alors, le très regretté Claude ONDOBO, qui a été directeur de la Communication au Programme International de Développement de la Communication (PIDC) à l’UNESCO, et Jean-Vincent TCHIENEHOM, que beaucoup d’auditeurs d’AITV connaissent bien. En 1968, l’enseignement de journalisme dispensé par l’Institut Ali Bach Hamba, financé par la Fondation allemande Friedrich Hebert est transféré à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI), la faculté des Lettres de Tunis, qui prépare au diplôme d’études supérieures en 4 ans, avec toujours le regretté André BOYER comme responsable principal. Après avoir décidé, pour des raisons personnelles, d’interrompre ma formation pendant un an pour intégrer les services du ministère de l’Information et de la Culture, je retourne à l’IPSI en octobre 1970 pour terminer mes études et sors diplômé de l’IPSI en juin 1972.
Après un stage de six mois comme pigiste occasionnel à la Direction des Affaires Extérieures et de la Coopération de l’ex-ORTF (d’où sortira RFI), je rentre au Cameroun fin décembre 1972. Mais, pas pour longtemps, car le ministre de l’Information et de la Culture de l’époque, le très regretté VROUMSIA TCHINAYE (mon père spirituel) me fait l’honneur de me faire nommer à l’ambassade du Cameroun à Paris. Arrivé en mars 1973 comme Attaché de Presse, j’en repars Conseiller en janvier 1984, soit près de 11 ans. Rentré au Cameroun, ma carrière, que l’on me promettait brillante et ascendante, évolue en dents de scie, pour des raisons liées au changement politique intervenu au Cameroun en 1982. Accusé d’être un des hommes d’AHIDJO, ce que j’assume pleinement et sans regret (car si c’était à recommencer.) Bon je ne veux pas entrer dans les détails, mais toujours est-il que je suis l’une des victimes collatérales de ce qui s’est passé après cette transition ratée. Le reste de ma vie, je la résume. Après avoir travaillé au ministère de L’Information et de la Culture, j’effectue un passage d’un an et demi à Radio-Cameroun comme chef de service adjoint de la Production, puis une autre année et demie à la télévision camerounaise comme chef de service de la Communication, et rédacteur en chef du magazine « Téléguide ».
Pendant les années de braise qu’a connues le Cameroun dans les années 90, j’ai essayé d’aider à ma façon les partis d’opposition (j’ai été quelque temps responsable de la communication de l’Union (des partis d’opposition) pour le Changement, tout en étant toujours fonctionnaire au ministère de la Communication. M’étant rendu compte que l’on tournait en rond, et que l’opposition de l’époque ne contribuait pas forcément à faire évoluer les choses dans le sens que la majorité du peuple attendait, j’ai décidé de laisser tomber la politique, pour laquelle, très objectivement, je ne suis pas fait, car mon tempérament et ma culture de la franchise et de refus de toute compromission sont, je m’en suis rendu compte, antinomiques avec la politique professionnelle. J’ai volontairement quitté l’administration en 1997 pour essayer de faire autre chose, au Cameroun même. Malheureusement certaines pesanteurs locales, en particulier les tracasseries administratives, sont un frein à l’émergence d’un secteur privé innovant. J’ai donc décidé de rejoindre pour un temps la France, où se trouve ma famille, mais aussi pour des raisons de santé. Depuis juin 2001 je suis donc résident en France. Entre 1985 et 1998, j’ai été tour à tour Secrétaire général adjoint et Vice Secrétaire général de l’Union des Journalistes Africains (UJA), dont le siège est au Caire, grâce d’abord au regretté Salah GALAL, et ensuite à Mahfouz EL ANSARI, les présidents successifs.
Sans verser dans la polémique, quel est votre avis sur la représentation des noirs dans les médias en France?
Comme beaucoup de Noirs Français ou résidants en France, j’ai reçu avec une certaine fierté la nomination de Harry Roselmack à TF1. Seulement, on a l’impression que son cas est un peu l’arbre qui cache la forêt. Bon il y a quelques autres à France 24, Audrey PULVAR à France 3. Je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi les autorités françaises et les patrons des médias français sont si frileux sur ce dossier. La sous-représentation des Noirs dans les médias n’est que le reflet de ce qui se passe dans les autres secteurs publics et privés français. La France qui, dans tous ces domaines, aurait dû avoir un rôle de pionnier, est à la traîne, et c’est bien dommage.
Journaliste, mais aussi écrivain. Vous avez d’ailleurs co-écrit un livre sur les non dits de la décolonisation. Qu’est ce qui vous a donné l’idée de le faire?
Oui, le titre exact est : Gouverneur SANMARCO/Samuel MBAJUM : ENTRETIENS SUR LES NON-DITS DE LA DECOLONISATION. Il a été préfacé par l’ancien Président du Sénégal et actuel Secrétaire général de l’OIF, Abdou DIOUF. Ce qui m’a donné l’idée de le faire, c’est tout simplement ma rencontre avec un être extraordinaire, je dirai même exceptionnel, Louis SANMARCO, un homme dont la générosité humaine, surtout lorsqu’il fut administrateur des colonies, m’a impressionné. Il a aujourd’hui 97 ans, il est bien fatigué, et je lui souhaite un prompt rétablissement, car il est très malade. Lorsque j’ai lu son livre, Le colonisateur colonisé, je l’ai trouvé d’autant plus intéressant qu’il y parlait aussi de ses séjours au Cameroun comme jeune administrateur dans les années 30 à 50. Je lui ai donc proposé d’aller un peu plus loin, et il a accepté avec beaucoup d’enthousiasme.
D’autres projets de livres en cours?
Oui. Je viens de terminer le premier tome d’un manuscrit dans lequel j’essaie de rendre aux Tirailleurs Sénégalais (terme devenu générique), l’hommage que les autorités politiques françaises , n’ont pas voulu leur témoigner de façon généreuse après leur participation décisive aux deux Guerres Mondiales (14-18 et 39-45), et leur contribution déterminante à la constitution déterminante à la création de l’Empire français d’Afrique. Rappelez-vous l’affaire de la répression du camp de Tiaroye au Sénégal en 1944. J’ai également dans les bacs depuis bientôt ( 5 ans un volumineux manuscrit intitulé 12 JUILLET 1884-18 FEVRIER 1916 : LE KAMERUN ALLEMAND. Je n’arrive pas à le publier, faute de moyens financiers (environ 18.500€). Enfin, j’avais rédigé en 1998, à partir des articles de journaux internationaux publiés pendant le génocide au Rwanda, un manuscrit-revue de la presse sur ce 3ème génocide du 20e siècle. J’avais même pu obtenir un entretien avec un des acteurs du système HABYARIMANA, Janvier AFRICA. Je n’avais pas trouvé d’éditeur, mais je n’exclue pas de le publier éléments par éléments sur mon site Internet (www.afriquedebout.com). J’ai des foules d’idée d’autres livres qui me trottent dans la tête.
Présentez nous le club novation.
Le Club Novation Franco-Africaine, en mettant en lumière l’histoire occultée franco-africaine, en dissipant les mensonges, veut mettre en place les conditions d’une nouvelle fraternité, afin qu’une politique franco-africaine novatrice devienne enfin possible.
Le 10 mai de chaque année, la France commémore l’abolition de l’esclavage, mais avant que ce jour ne soit reconnu, un débat a fait long feu sur le sujet. En serait-il de même de la décolonisation? Pensez vous qu’il faudra remettre le débat sur la place publique?
Cette histoire de l’abolition de l’esclavage a fait couler beaucoup d’encre, et a donné lieu à un débat où parfois la mauvaise foi (de part et d’autre) le disputait quelques fois à la déformation des faits, pour ne pas parler d’une certaine forme de négationnisme de la part de certains. Personnellement, la loi sur l’esclavage m’avait laissé un petit goût d’inachevé. S’agissant de la décolonisation, les choses semblent aller à peu près dans le même sens; certains, surtout en France, y ont sans doute intérêt, tant il y a eu des mensonges à ce sujet. C’est ce que le Gouverneur SANMARCO et moi, ainsi que d’autres d’ailleurs, avons essayé de mettre en exergue. Lorsque l’on entend d’un côté mettre en exergue les aspects positifs de la colonisation, sans nuances, sans retenue, et de l’autre, le refus absolu de toute repentance concernant les aspects les plus sombres, les plus noirs de la colonisation, le débat est automatiquement biaisé; en effet, dès lors que l’on aborde cette question sous un angle aussi réducteur, on insulte la mémoire de toutes ces victimes du colonialisme victimes de certains administrateurs qui ont été de véritables psychopathes, racistes et lâches. Reconnaître cela serait déjà un grand pas en avant vers la réconciliation et le pardon. Alors, à mon sens, remettre ce débat sur la place publique ? Pourquoi pas, à la condition de revenir d’abord sur cette loi inique sur les bienfaits de la colonisation et de choisir dans chaque camp des gens mus par le sens de la mesure et de recherche de la vérité, et surtout qui maîtrisent très bien le sujet. Cela suppose de faire appel à de vrais historiens, et non à des théoriciens du négationnisme, qui nous expliquent que la colonisation, ça n’a été que du bonheur pour les indigènes, puisqu’elle leur a apporté des routes, des ponts, des écoles, et que sais-je encore. Un débat sur la place publique? Ce ne sera pas une sinécure.
Pour avoir travaillé depuis de nombreuses années, quel est votre commentaire sur l’état de la liberté de la presse au Cameroun?
La liberté de la presse au Cameroun a connu une certaine avancée, qu’il serait malhonnête de nier. Seulement, les conditions dans lesquelles est née cette liberté ont abouti aux dérives que l’on connaît aussi ; en effet, en 1983, pour salir le plus possible l’image d’AHIDJO dans la querelle qui l’opposait à son successeur, on avait poussé délibérément à l’émergence d’une véritable presse de caniveau, dont la seule finalité était d’enfoncer AHIDJO dans la fange la plus abjecte, sans se soucier un seul instant de la crédibilité des faits rapportés. Bref, on avait sans état d’âme favorisé la naissance d’une presse basée sur l’affabulation, parfois la plus grossière, pourvu que ce soit le Président AHIDJO qui en prenne pour son grade. Cela permit à certaines personnes sans scrupules de publier de véritables feuilletons politico-policiers, de tirer à des centaines de milliers d’exemplaires vendus comme des petits pains (parfois achetés en presque totalité par le pouvoir.) L’exemple le plus patent à ce sujet fut le numéro de Afrique Asie racontant la tentative de putsch d’avril 1984. Au ministère, j’avais tenté de rappeler les dangers de tels errements, et prédit le retour de bâton, mais on m’avait ri au nez, en me disant qu’une telle observation, malhonnête de la part d’un homme d’AHIDJO comme moi n’était pas surprenante. Les faits m’ont donné raison, puisque, aujourd’hui, M. BIYA est l’un des chefs d’Etat les plus insultés au monde, pas toujours de façon objective, mais le (mauvais) pli pris en 1983 ne peut plus être redressé. Voyez à quel point la presse de caniveau est florissante au Cameroun aujourd’hui.
Vous avez reçu de nombreuses distinctions au Cameroun et en France. Qu’est ce que cela représente pour vous?
Ma première distinction camerounaise, Chevalier du Mérite Camerounais, je l’ai eue en juillet 1976, alors que j’étais fonctionnaire depuis seulement moins de 7 ans. C’était exceptionnel, surtout pour le Cameroun de l’époque. Depuis je suis devenu aussi Officier. Mais, avant cela, le défunt Roi HASSAN II m’avait fait l’honneur de me décerner la médaille d’Officier du Ouissam Alaouite. C’était à l’occasion de la visite officielle du Président AHIDJO au royaume chérifien en 1974 ; je faisais partie de sa suite officielle, car à l’époque l’ambassade du Cameroun à Paris avait compétence sur le Maroc. J’en viens maintenant à ma médaille d’Officier de l’Ordre National du Mérite français ; c’est sous Valéry GISCARD d’ESTAING que je l’ai eue, en juillet 1976, pendant la visite officielle en France du Président AHIDJO. Je l’apprécie beaucoup parce qu’elle récompensait le travail que j’avais abattu pour améliorer les relations entre le Cameroun et la presse française, qui avait pour corollaire de contribuer aux relations pas toujours faciles à l’époque entre la France et le Cameroun. Seul regret de taille que je peux avoir à ce sujet : en novembre 1979, lorsque GISCARD rendit la visite officielle au Président AHIDJO, j’étais dans la suite officielle camerounaise ; la présidence de la République avait mis mon nom parmi les personnalités qu’elle proposait à la partie française pour l’attribution de la Légion d’Honneur. Cela faillit marcher, mais, malheureusement, à la toute dernière, le service des Ordres Nationaux fit observer que mon cas posait un problème délicat, car il était difficile que je passe de l’Ordre National du Mérite à la Légion d’Honneur après seulement trois ans et demi, sans qu’un fait exceptionnel ne le justifie. J’aurais tout naturellement préféré la Légion d’Honneur, car c’est plus prestigieux, bon ; enfin. (rires).
Qu’est ce qui vous manque du Cameroun?
Ce qui me manque du Cameroun, c’est surtout cet esprit de fraternité, d’amitié, d’abnégation, ce sens du devoir que nous cultivions dans nos relations entre Camerounais. Il n’y avait pas de caste comme on le voit aujourd’hui; fils de riches et fils de pauvres partageaient l’amitié, l’amour du pays, et les moins nantis n’avaient aucun complexe d’infériorité vis-à-vis de leurs camarades nantis.
Personne ne se sentait écrasé par la richesse des riches. Aujourd’hui au Cameroun, les fils de riches vivent entre eux, se marient entre eux, narguent leurs camarades pauvres, voire leurs professeurs des lycées et collèges avec leur argent, souvent mal acquis par leurs parents. Il n’y a plus de sens de l’amitié vraie ; l’argent mal acquis a tout pollué, favorise la corruption de la jeunesse, donne de terribles complexes à ceux qui n’en ont pas et, par un effet pervers, développe l’esprit de brigandage, de gangstérisme. La pollution des m urs par l’argent et les biens matériels est devenue facteur d’ascenseur social. C’est ce qui me fait peur dans notre pays. Alors gare à une implosion que l’on sent monter sourdement dans le pays, même si certains continuent de se gargariser de formules hasardeuses, style le Cameroun est un pays béni des Dieux.