La révélation de cette affaire est la face visible de l’Iceberg, celui de la gestion de la dette titrisée de l’Etat. Le Tribunal Criminel Spécial va t-il s’emparer de ce dossier?
L’affaire des titres publics payés à Franck Biya, le fils du président de la république du Cameroun continue d’alimenter les débats, avec son lot de vérités et de contre-vérités. Après la sortie d’Amougou Belinga, PDG du groupe l’Anecdote, réputé pour être un défenseur du régime, plusieurs personnes ont pris la parole dans les médias. Il en ressort un certain nombre de faits: Un des arguments avancés est que l’entreprise Afrione n’était pas la propriété du fils Biya, il en était le président du conseil d’administration. Sur cette base estime l’argumentaire, Frank Biya ne peut être indexé dans une affaire où il n’avait pas de pouvoir de décision direct. Le deuxième argument rentre en droite ligne avec les premières explications de monsieur Belinga, qui veut que l’opération s’est passée conformément à la règle et que le gouvernement au passage a eu des avantages comme le non règlement des intérêts si on avait atteint l’échéance, et une décote de la valeur nominale des titres concernés de près de 30%. Une argumentation appuyée par un document du ministère de l’économie et des finances. Certains experts bien que se refusant d’entrer dans l’implication du fils du chef de l’Etat, restent circonspects sur la manière dont les choses sont aujourd’hui présentées. « Je ne voudrais pas rentrer dans le débat, mais je vais me prononcer sur un domaine dans lequel j’ai travaillé, le projet de titrisation de la dette publique au Cameroun. Globalement, la logique de départ était d’appuyer déjà la mise en place d’un marché financier au Cameroun, et de l’autre côté le but était de faire en sorte que le gouvernement puisse différer le paiement de sa dette, à travers l’animation d’un marché secondaire. Pour les intérêts, il n’y avait pas de problèmes, le gouvernement s’était engagé à payer. Mais pour le principal, nous avions proposé que cela se fasse par tirage au sort, et pour un montant qui n’excéderait pas 100 milliards par an. Cela aurait permis d’assurer la transparence et l’égalité des créanciers. Si aujourd’hui on apprend que des entreprises ont négocié avec l’Etat pour se faire rembourser, c’est un problème je pense », a expliqué Bernard Ouandji, expert financier et auteur d’un rapport sur la titrisation de la dette publique au Cameroun.
D’un autre côté, l’affaire se déroule en 2006 alors que le Premier ministre a publié un décret, en 2004, qui modifiait la loi de 1994 relative à la gestion des titres publics de l’Etat. Selon ce texte, il avait été créé un comité, qui avait pour mission de mettre en uvre la politique d’émission et d’amortissement des effets publics négociables. Le texte indique aussi que pour les titres autres que ceux portant sur la dette salariale, l’amortissement devait être géré par la Commission des Marché Financiers. Il est donc surprenant d’apprendre que le gouvernement a directement négocié avec l’entreprise Afrione en 2006, alors même que les textes ne l’autorisaient pas. D’autre part, ceux qui expliquent la situation, ne donnent pas le montant exact du prix d’achat des titres cédés à Afrione. Le rapport à l’origine de l’affaire parle de 3,5 milliards de FCFA. Aucune information ou infirmation du Trésor pour le moment. Pour certains observateurs, cette affaire des 100 milliards de titres du fils du président Biya est la face visible de l’iceberg: la gestion de la dette titrisée de l’Etat. En 2004 et sur le conseil du FMI et de certains experts, la dette publique intérieure du gouvernement est transformée en titres publics, principalement à coupon zéro. Les observateurs de cette époque parlent d’un montant global avoisinant les 1000 milliards Fcfa, que logiquement le gouvernement n’aurait pu rembourser avant 2015. Aujourd’hui pourtant on en parle plus. Et les détenteurs de titres semblent ne pas se plaindre, alors même que le marché secondaire des titres d’obligation est presque inactif. L’explication qui en découle semble être que les détenteurs de titre ont été réglés, mais à des conditions qu’on ignore jusqu’ici autant que la manière dont ils ont acquis les titres. Au sein de l’opinion publique, on s’interroge sur le silence du tribunal criminel spécial, sensé se mettre en action à la suite de toute dénonciation relative à l’atteinte de la fortune publique. L’affaire, il faut le rappeler, va bien au-delà de la simple implication du fils du président et touche la manière dont des titres publics de près de 1000 milliards de Fcfa ont été gérés, alors qu’on demandait au peuple de serrer la ceinture en raison de la crise économique.