Le texte intégral de l’interview accordée par le président de la République française au sortir du sommet de Paris sur le Nigéria
Bonsoir à tous. Merci d’être avec nous sur TV5 Monde et sur France 24 pour un entretien exclusif avec le président de la République française, François Hollande. Bonsoir à vous, Monsieur le Président.
Bonsoir.
Monsieur le Président, vous venez d’accueillir à l’Elysée un sommet extraordinaire consacré à la sécurité au Nigeria et plus largement dans les pays voisins de ce pays d’Afrique de l’Ouest, autour de la question en particulier du groupe islamiste Boko Haram. Première question, Monsieur le Président, quelles décisions ont été prises lors de ce sommet ?
Pourquoi un tel sommet ? Pourquoi en ce moment ? Parce qu’il se produit depuis des mois des actes terroristes très graves, au Nigeria et au Cameroun, et sans doute avec des risques de diffusion dans la région. Pourquoi en ce moment ? Parce qu’il y a eu cet enlèvement de plus de deux cents jeunes filles et il a provoqué une émotion considérable à l’échelle du monde.
Nous avions tout de suite engagé un certain nombre d’actions de renseignements, d’informations avec les chefs d’Etat africains. La France s’est impliquée particulièrement avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. J’ai considéré, avec le Président nigérian, que nous devions prendre des décisions pour l’urgence – retrouver les jeunes filles -, pour lutter contre Boko Haram et pour alerter le monde sur ce que représente ce groupe terroriste.Voilà le sens de ce que nous avions souhaité faire. Ce que nous avons décidé, c’est un plan d’action immédiat pour coopérer sur le renseignement et l’information, retrouver les jeunes filles et lutter contre le groupe Boko Haram.
Qu’est-ce qui vous a déterminé à agir aujourd’hui ? Ce sommet se tient à Paris. Evidemment on a en tête l’histoire des fillettes. Mais Boko Haram existe depuis longtemps dans la région. Qu’est-ce qui est la force aujourd’hui de l’action française ?
D’abord, la France est légitime parce que, justement, elle a une histoire récente dans la région, avec l’intervention au Mali. J’ai des rapports étroits avec le Nigeria qui, jusqu’à présent, n’était pas parmi les pays avec lesquels la France avait le plus de relations en Afrique. Mais nous avons un tel capital de confiance que le Nigeria s’est adressé à nous et à moi en disant : nous avons besoin d’une action rapide, avec des pays comme les Etats-Unis et comme le Royaume-Uni et les pays voisins, pour mettre en uvre un éventuel plan. Le Président du Nigeria a souhaité que cela se fasse à Paris à mon initiative. C’est fait.
Monsieur le Président, quelles sont les dernières informations dont vous disposez, vous et le président du Nigeria, Goodluck JONATHAN, sur le sort de ces jeunes lycéennes ? Elles seraient aujourd’hui 223 aux mains de la secte islamiste. Qu’en est-il ?
C’est toujours difficile de parler d’otages. On en a eu, dans cette région, qui ont été capturés, retenus par le même groupe, Boko Haram. Ils ont heureusement été libérés. Mais là, pour les jeunes filles, il y a une volonté qui n’avait pas été exprimée jusqu’à présent dans les enlèvements, celle de les soumettre à l’esclavage, de les vendre, de les « traiter » comme on disait autrefois.Est-ce que nous avons des informations ? Elles sont parfois contradictoires. Nous pensons que les jeunes filles ont été séparées. Nous pensons qu’elles sont restées au Nigeria mais nous n’en avons pas la preuve formelle. Si nous en avions la preuve, nous aurions déjà pu intervenir.
Pour l’instant, nous recherchons donc le plus d’informations possibles et c’est le sens de la réunion d’aujourd’hui : coopérer en matière d’informations et de renseignements, centraliser toutes les données et pouvoir, à un moment, engager une action et surtout retrouver ces jeunes filles.
Alors justement, puisqu’on est dans l’action de coopération militaire, vous avez parlé de « guerre totale » aujourd’hui contre Boko Haram. Vous avez dit qu’il fallait mener une « guerre totale ». Est-ce que cela veut dire que vous envisagez des opérations militaires communes avec les différents pays qui étaient autour de la table aujourd’hui ?
Non. La France n’interviendra pas au Nigeria, tout simplement parce que le Nigeria lui-même a les forces armées qui sont disponibles et qui sont efficaces.
Elles sont très critiquées, Monsieur le Président. Les Etats-Unis parlent d’une armée incompétente, voire qui commettrait aussi des crimes comparables à ceux de Boko Haram.
Non, je ne pense pas qu’on puisse mettre sur le même plan un groupe terroriste et une armée régulière. C’est justement ces confusions qui créent des excuses pour les groupes terroristes. Il y a une armée au Nigeria. Elle est entraînée, elle est importante. Elle a du mal, sans doute, à intervenir dans cette partie-là, le nord, dans une région particulière. Nous pouvons lui donner des informations, nous pouvons l’accompagner au sens de la formation, mais il n’est pas question pour la France d’intervenir militairement. Ce que nous avons décidé, c’est militaire au sens où cela peut avoir une conséquence pour l’utilisation de la force, mais c’est d’abord du renseignement, de l’information et de la coordination. Le rôle de la France, c’est aussi de permettre qu’il puisse y avoir une bonne entente entre les pays voisins, parce que s’il n’y a pas une action commune, alors le groupe Boko Haram peut se disperser, franchir les frontières et s’abriter. Enfin nous avons des avions, des RAFALE, qui sont à N’Djamena et qui peuvent survoler – d’ailleurs nous ne sommes pas les seuls à le faire, les Britanniques le font, les Américains aussi. Voilà ce que nous pouvons faire.
Alors à ce jour justement, Monsieur le Président, puisque vous parlez de coopération, il y a aussi des critiques sur le manque de coopération entre le Nigeria et le Cameroun. Vous disiez vous-même, en conférence de presse, qu’un expatrié chinois avait été tué aujourd’hui. Est-ce que ce sommet va, selon vous, donner un nouvel élan justement à la coopération notamment entre le Cameroun et le Nigeria ?
D’abord une information : il y a eu cette nuit une attaque par Boko Haram d’une entreprise au Cameroun ; elle était essentiellement avec des travailleurs chinois. Il y a eu un soldat camerounais qui a été tué et il y a eu dix Chinois qui ont été enlevés. Ceci prouve que Boko Haram a la volonté de déstabiliser, non pas simplement le Nigeria, mais toute la région et de s’attaquer à tous les intérêts qui peuvent être présents, quelle qu’en soit la nationalité. Cela, c’est l’information de la nuit qui montre bien quelle était l’urgence de cette coopération.
Alors c’est vrai que le Cameroun et le Nigeria doivent coopérer, parce que ce sont des pays voisins. La partie du nord du Nigeria est aussi le nord du Cameroun. Je rappelle que le nord du Cameroun, c’est là où le père Vandenbeusch et la famille Moulin-Fournier avaient été capturés. On sait que c’est une zone particulièrement instable, où Boko Haram peut s’introduire. Il est très important, cela a été le but de cette journée, que Cameroun et Nigeria coopèrent vraiment et se rapprochent autant qu’il est possible.
La France est intervenue sur le continent africain ces derniers temps. Elle est intervenue en Libye, elle est intervenue au Mali, elle est intervenue en Centrafrique. Maintenant se pose la question de Boko Haram. On voit que Boko Haram est lié au terrorisme, à AQMI, vous l’avez vous-même dit aujourd’hui. La question, à un moment donné, c’est : est-ce qu’il ne faut pas s’inquiéter des sources de financement de Boko Haram ? Et si oui, est-ce que vous savez où elles sont ?
La France est intervenue quand elle a été appelée. C’était le cas du Mali. Nous avons retiré l’essentiel de nos troupes du Mali. Il reste mille soldats. Nous sommes intervenus en Centrafrique, et nous y sommes encore, pour séparer des groupes qui s’entre-déchiraient et s’entretuaient. Mais là, il n’est pas question d’une intervention militaire.
Je veux être parfaitement clair. Nous mettons à disposition du Nigeria – pour retrouver les jeunes filles et pour lutter contre Boko Haram – nos moyens d’information, de renseignement, des drones, des avions. Mais il n’y a pas de troupes françaises qui sont utilisées. Soyons parfaitement clairs. Vous avez posé une question très importante : par qui sont armés ces groupes ? Et très bien armés ? Et par qui sont-ils financés ? Nous pensons que l’armement vient de Libye. Un chaos s’est introduit après l’intervention qui a été utile mais qui n’a pas été bien accompagnée postérieurement. Ce qui fait que la Libye est, aujourd’hui, dans une désorganisation, pour ne pas dire un chaos. Il y a donc des groupes qui ont récupéré des armes et qui les transmettent à des terroristes, les vendent ou tout simplement sont eux-mêmes des terroristes, notamment au sud de la Libye. Cela a eu des conséquences au Mali, où nous sommes intervenus et nous les avons fait cesser ; mais cela peut avoir la conséquence, au Nigeria, d’armer le groupe Boko Haram. Des financements, il y en a aussi. Ce que nous avons décidé aujourd’hui – et je le ferai également au plan international – c’est de regarder quels sont les transferts d’argent des organisations apparemment humanitaires qui, en fait, aident un certain nombre de groupes qui peuvent se révéler terroristes.
Monsieur le Président, à ce sujet – Le Canard enchaîne en parle cette semaine – selon les services secrets français que cite l’hebdomadaire satirique, les Français mais aussi les pays alliés, les monarchies du Moyen-Orient soutiendraient clairement et depuis plusieurs années Boko Haram et les autres mouvements de la région comme AQMI, voire les CHEBAB en Somalie. Que pouvez-vous faire, en la matière, si ces informations s’avéraient exactes ?
Moi, je n’ai pas ces informations. Ce que l’on sait, ce que je viens de dire, c’est qu’il y a des organisation qui sont apparemment charitables, humanitaires, qui ont des financements. et qui aident, en le sachant ou en ne le sachant pas, des groupes aux activités terroristes. C’est cela que j’ai immédiatement demandé que l’on puisse vérifier.
J’ai d’ailleurs averti les pays du Golfe qui pouvaient, à un moment, pour prodiguer leur générosité, utiliser ces organisations, de cesser – ce qu’elles m’ont dit qu’elles faisaient et qu’elles avaient fait.
Alors Monsieur le Président, la France est en première ligne, on le voit encore aujourd’hui, au Nigeria. On ne va pas vous reprocher, cette fois-ci, d’intervenir dans une ex-colonie française puisque c’est un pays anglophone. C’est le plus grand pays d’Afrique, peuplé de 175 millions d’habitants – et cela ne vous a pas échappé – le Nigeria est aujourd’hui la première puissance économique du continent devant l’Afrique du sud. Est-ce que c’est aussi un des éléments qui vous poussent aujourd’hui à agir pour avoir un pied sur ce terrain-là dans la région ?
Je suis allé au Nigeria. c’était en février dernier.
Pour le centenaire du Nigeria.
. pour le centenaire. La France y est appréciée, y est considérée. C’est vrai que ce n’était pas forcément, dans notre histoire, un pays avec lequel nous étions liés. Parce qu’il n’y a pas ce passé, la France est justement regardée comme un pays ami qui ne cherche pas des intérêts. Il se trouve néanmoins, vous l’avez relevé, que c’est la première économie du continent africain, c’est-à-dire que c’est la 20e économie du monde. Nous devons y être représentés, cela fait partie de ma responsabilité : pouvoir participer à la croissance de ce pays. Mais en même temps, qu’est-ce que veut Boko Haram ou les groupes terroristes ? C’est déstabiliser cette économie, c’est-à-dire la mettre à genoux parce que, s’il y a des attentats, les investisseurs n’y viennent plus ; s’il n’y a plus d’investisseurs, les technologies ne se développent pas. Cela aurait des conséquences, y compris pour nos propres entreprises. Ce qui se passe au Cameroun, quand une entreprise est attaquée – il y a des entreprises françaises aussi au Cameroun – cela ruine tous les projets de développement. Pour l’intérêt du pays comme pour le nôtre et comme pour le monde, nous devons permettre au Nigeria de se défendre.
Monsieur le Président, quittons un instant le Nigeria. La France a été bouleversée, il y a quelques jours, parce que nous avons appris la mort d’une de nos cons urs, Camille Lepage, en Centrafrique. Elle avait 26 ans. Le communiqué de l’Elysée dit, en fait, qu’il s’agit d’un assassinat. Est-ce que vous êtes en possession d’éléments pour accréditer cette thèse ?
Une enquête est en cours – j’ai d’ailleurs rencontré ceux qui en sont chargés – la justice est saisie. Ces enquêteurs vont se rendre sur place ; l’autopsie a été également réalisée hier. Toute la vérité sera donc faite. Et je l’ai moi-même affirmé et je respecterai cet engagement : nous retrouverons ceux qui ont commis cet acte car c’est un assassinat. J’ai vu la famille aussi. Elle a été admirable – non par la compréhension de ce que faisait leur fille, mais par le soutien de ce qu’elle faisait. Elle était là-bas, en Centrafrique, une jeune fille de 26 ans, pour aller au plus près de l’information. Elle faisait son devoir de journaliste.
Si je me suis recueilli devant sa dépouille avec la famille, c’était bien pour marquer que je reconnaissais ce droit essentiel à l’information et les risques que prenaient les journalistes. C’est pourquoi Camille LEPAGE méritait notre soutien – et sa famille, notre solidarité.
Monsieur le Président, merci
