Il vient de publier chez l’Harmattan « les tribulations d’un jeune séminariste », une autobiographie! Entretien
Qui est Fulbert Owono ?
Je me nomme Jacques Fulbert Owono. Je suis né dans la petite bourgade de Mfou au Cameroun. Je suis plus connu sous le nom de Jaco à l’Université Catholique d’Afrique Centrale (UCAC) de Yaoundé où j’ai étudié la philosophie et la théologie pendant près de 7 ans. Je vis en Allemagne depuis l’été 2006 où j’ai entamé la rédaction d’une thèse en philosophie, option éthique africaine, sur le thème : Pauvreté ou paupérisation en Afrique : ambiguité du concept de lutte contre la pauvreté chez les Béti-Fang du Cameroun. Je suis le président de l’association des Etudiants africains et amis d’Afrique de Bayreuth, ma ville, depuis 2007.
Peut-on parler de ce livre en disant que c’est votre première
expérience d’auteur?
D’auteur connu comme tel, je dirais oui. Sinon, par le passé, j’ai eu souvent à griffonner des nouvelles sur du papier. J’ai participé une fois au prix de littérature de l’UCAC que j’ai gagné.
Comment se retrouve-t-on à écrire un roman?
En ce qui me concerne, je pense que j’ai été préparé assez tôt et de manière personnelle. J’ai toujours été habité par les questions sur le sens de mon être au monde, le devenir de l’humanité et l’engagement permanent vis-à-vis des idéaux et des causes plus justes. Et lorsque j’ai connu l’histoire de mon peuple, du peuple noir, de ses leaders et héros, je n’ai eu de cesse que de m’engager moi aussi. Et mon premier devoir a été de me cultiver, de lire pour comprendre, et de comprendre pour savoir agir. Ce premier roman n’est donc pas un éclair de tonnerre en plein ciel bleu.

Le problème que soulève votre livre est assez particulier. Vous racontez une expérience personnelle. Dites nous quelques mots sur le sujet sans tout dévoiler bien évidemment ?
Dans Les tribulations d’un jeune séminariste, je pars en fait de mon expérience personnelle, de ce que j’ai vécu comme échec, comme frustration, comme injustice au sein de l’Eglise catholique, mais aussi, comme victoire et joie, pour l’élever au niveau de l’expérience humaine tout court. C’est l’histoire d’un jeune camerounais de 11 ans qui a dû renoncer à sa vie familiale, à son héritage, à toutes ses garanties sociales pour se lancer dans les vagues d’un futur incertain à la suite du Christ. Modelé, taillé, raffiné pendant 16 ans aux volontés de l’Eglise, et alors que les premières hirondelles chantent le printemps de son ordination diaconale, il s’entend dire qu’il n’est pas l’élu de Dieu, que l’appel ne lui est pas adressé, qu’on s’est trompé sur son compte. Commence alors une descente aux enfers de l’auteur que je vous laisse découvrir à travers la lecture du roman.
Quel est le message réel que vous avez voulu faire passer ?
Le message que j’ai voulu faire passer est simple : Aucun Dieu, aucune divinité ne saurait se réjouir des souffrances de l’humain. Aucune injustice donc, aucune lâcheté ne devrait être tolérée, consentie ou acceptée au sein de l’Eglise. L’humanité de tous doit être prise en compte, plus encore, celle de ceux qui n’ont pas la chance d’être élus par Dieu comme nous. Lorsque l’Eglise rejette de manière païenne les hommes et les femmes en son sein, c’est pour qu’ils aillent où ? Quelle est au fond sa mission : rassembler les brebis ou les disperser?
Vous êtes en cycle doctoral philosophique après un master en théologie morale. Quelles sont les ouvertures d’un tel parcours académique?
Vous faites bien de me poser la question, car elle me permettra de faire quelques clarifications. Je souhaiterais que l’Eglise catholique au Cameroun et ailleurs, en Afrique, adapte la formation des séminaristes aux besoins du temps présent et de leur environnement. Puisqu’il n’ y a pas de droit garanti à l’ordination sacerdotale, on devrait donc préparer une bouée de sauvetage pour ces africains malheureux qui n’auront pas pu aller jusqu’au bout, au lieu d’en faire des inaptes dans la société. Il y a donc possibilité de penser à une formation secondaire, parallèle, qui épouse les capacités réelles des séminaristes. Tous les séminaristes ne peuvent pas devenir des Dr en théologie ou des Dr en philosophie au sein de l’Eglise. Il y a parmi eux des doués ou surdoués en sciences, en mathématiques, des peintres, etc. Mais dont le génie est tué par une formation traditionnelle et qui se moque même des dons de l’Esprit – Saint. Il faut adapter toute formation au temps présent. Ceci dit, lorsqu’on vous renvoie après 16 années comme moi, vous êtes, malgré votre bagage académique, inapte sur le marché de l’emploi. Depuis mon renvoi, j’essaie de me battre comme personne pour exister déjà au sein de la société, et aussi, comme tout le reste des hommes, pour trouver une occupation, malgré mon grand handicap.

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De nombreux Camerounais ternissent l’image du pays, notamment en Allemagne où vous vivez. Votre commentaire ?
Je pense que le problème ne se pose pas en terme de savoir quel Camerounais ternit plus ou moins l’image de notre chère patrie. Nous y contribuons tous, d’une manière ou d’une autre. Ici en Allemagne, en France, en Italie, en Corée ou en Guinée Equatoriale. Au Cameroun même. Et partant, ce n’est donc pas l’apanage des Camerounais de la diaspora. Mais du Camerounais tout court. L’interpellation s’adresse donc au Camerounais de Yabassi, tout comme celui de Tiko, de Yaoundé, de Paris, de Hong kong, de Washington D.C. ou de Berlin : Quel Cameroun voulons-nous léguer à nos enfants ? Quelle image de nous voulons-nous laisser aux générations futures ? Devront-ils être obligés d’aller cracher sur nos tombes ?
Faudrait-il donc continuer à se réfugier derrière de faux alibis pour déclarer que ce sont les Bamilékés qui ternissent plus l’image du Cameroun ? Que ce sont les Bétis qui l’ont enfoncé dans la merde ? Ou alors que ce sont les Nordistes qui l’ont vendu aux francais ? La lettre de Suzanne Kala Lobé à la diaspora camerounaise, au-delà des émotions vives qu’elle a pu susciter, et des injures et calomnies – qu’il faut ici regretter et décrier ; cette lettre, disais-je, a à mon sens posé un problème de fond : quel modèle de développement, nous, Camerounais de la diaspora, proposons-nous pour sortir le pays de la crise ? Voilà la question, la toute petite question que sous-entendait la lettre de cette dame. Mais, au lieu de réfléchir par des théories, de lui proposer des modèles et autres projets, nous avons encore une fois brillé par notre esprit d’incapacité. C’est pourquoi, je pense que la diaspora camerounaise, puisqu’il s’agit-elle, a manqué jusqu’ici son rendez-vous avec l’histoire. Mais il est encore temps de sauver les meubles.
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Jacques Fulbert Owono |
Je m’explique. Nous ne pouvons pas continuer à traîner, comme un boulet cet élan de patriotisme que j’appelle patriotisme d’occasion. Un patriotisme folklorique ne fera jamais avancer un pays. Malheureusement, nous en sommes encore là, à rêver de l’unité quand les lions indomptables jouent après un cycle de 2 ou 4 ans. Si le sport peut être un tremplin d’unité, il ne peut à lui tout seul porter cette lourde responsabilité. Et s’il faut imaginer qu’on ne se qualifie pendant 10 ans à aucune compétition africaine ou internationale, qu’en sera-t-il de notre unité?
J’en déduis donc qu’il y a des facteurs plus sérieux et importants, parce que nécessaires, sur lesquels il faut se pencher si on veut un pays habitable pour tous. Nous de la diaspora, nous devons donc être les plus actifs, car, étant comme le prisonnier de la caverne dont parle Platon, nous sommes allés voir mieux ailleurs. Il s’agit ensuite de partager avec la fratrie restée au pays. Ce qui signifie que nous devons déjà, ici en Occident, et ailleurs dans le monde, profiter du cadre qui nous est propice pour accorder nos violons sur des projets précis de développement. Nous en avons les capacités, mais pas toujours le feeling qu’il faut. Car nous sommes encore à reproduire nos « Bikouan » ethniques, tribales, partout où nous nous trouvons. Pourtant, comme le disait feu Mgr Jean Zoa, de regrettée mémoire, on ne devrait pas se poser la question de savoir de quelle ethnie, tribu ou confession religieuse est le Camerounais qui gît dans la souffrance devant nous. Il n’ y a pas de conditions pour l’action. Il faut s’engager.
Par ailleurs, quand bien-même on peut s’élever au-dessus de cela, c’est toujours pour plonger dans l’inutilité. Les Camerounais d’Allemagne sont connus pour leur grand esprit de dynamisme et d’organisation. Le grand challenge qu’ils organisent chaque année est devenu une référence mondiale. Une foire internationale. Allez donc savoir à qui profitent les retombées de cette grande foire annuelle ? A l’Etat allemand tout simplement, par la location des salles, des terrains de jeu, des hôtels, l’achat des boissons, bouffe, etc. Qu’est-ce que les Camerounais qui viennent de tous les coins du monde en tirent pour eux-mêmes, pour leur pays ? Rien du tout. Ou presque rien. Sinon, on retourne chez soi foiré, paumé et fatigué d’avoir trop bu, d’avoir trop fait la fête.
Les Japonais sont réputés pour leurs m urs. Chaque Japonais vit en lui le particulier de son existence et le général de sa communauté, car il porte en lui l’image de l’empereur. Quelle image du Cameroun portons-nous jalousement pour en être fiers ? Si nous n’en trouvons pas, qui nous interdit d’en créer, d’en inventer une? Contrairement à la France, c’est la conscience nationale qui a précédé l’Etat en Allemagne. L’Allemagne unifiée est le produit pour une bonne part, de ses universités, de ses philosophes, etc. La jeunesse allemande a cherché le modèle d’une grandeur que le présent lui refusait. Pour se retrouver et exister au milieu des autres peuples, la France surtout, l’Allemagne s’est inventé un passé glorieux et qu’elle a au besoin célébré et arrangé.
Nous sommes un peuple, une nation, une souverainété, qui nous interdit aujoud’hui de nous forger une âme ? Des chantiers nous restent donc ouverts pour forger, créer et inventer notre Volksseele (âme nationale), de même que notre Volksgeist (esprit national). En avons-nous seulement conscience?
Une nation, disait Joseph Rovan, est une aventure sui generis, une existence en marche qui, jamais et nulle part, ne se reproduira, une certaine facon d’être hommes et femmes ensemble et séparément. Avons-nous trouvé cette manière camerounaise d’être ensemble, et non plus séparément et exclusivement béti, bassa, bagangté, douala, kirdi, babouté.
Notre contribution, en tant que Camerounais de la diaspora est grande et double. Les frères et s urs, et même les parents restés au pays comptent sur nous, attendent beaucoup de nous. Nous devons d’abord définir notre statut et l’établir en rapport de continuité avec notre pays d’origine, en respect de ses lois, de ses institutions et de ses dirigeants.
Parce que la diaspora camerounaise n’a pas d’âme, pas plus qu’elle ne propose un projet de société viable et fiable, elle se trouve être à la merci de certains individus et lobbys qui jouent avec ses réflexes, soit disant patriotiques, comme Pavlov le faisait avec son chien. Au lieu d’aboutir donc à l’équation diaspora = projet de développement et engagement tous azimuts, on aboutit plutôt à l’équation diaspora = opposition au régime camerounais. Et depuis l’été 2009, les interventions des uns et des autres, ici et ailleurs, n’ont pour sens et valeur que de préciser leur fidélité ou non vis-à-vis du pouvoir en place.
Nous sommes rendus donc à une ère où le seul paradigme intelligible de la diaspora camerounaise reste la conquête du pouvoir et la tenue des élections, comme si l’Etat était le tout dans une société, comme si les problèmes disparaissaient avec l’élection présidentielle. Et la question principale : quelle est notre vivre-ensemble camerounais est simplement évitée, éludée, sinon occultée.
Un v u pour terminer?
Mon souhait est simple : qu’aucun enfant, qu’aucune femme, qu’aucun homme ne meure plus au Cameroun ou ne souffre pour manque de soins ou de denrées alimentaires. Que la dignité et l’humanité de tout Camerounais soit protégées et respectées. Aucun pays n’est assez pauvre pour laisser mourir ses citoyens, car, tandis que certains meurent au Nord, d’autres vivent dans l’opulence au Sud. Le problème est donc au niveau du type de modèle de société qui convienne à tous, sans exclusion. Et en cela, Camerounais de la diaspora, comme Camerounais du terroir sont tous conviés au débat. Il nous revient donc de trouver dans la palabre africaine des structures de débat qui considèrent que parler c’est bâtir, c’est « construire le village ».
