Le journaliste a répondu à nos questions dans un entretien!
Cette année, la journée internationale de la liberté de la presse se célèbre sous le thème: la liberté d’information, le droit de savoir. Que vous inspire ce thème?
Pour des citoyens d’un pays démocratique, être informés est essentiel à leur pleine participation au développement du pays. Encore faut-il que les médias auxquels ils s’abreuvent soient libres de leur apporter ce carburant si nécessaire à l’épanouissement de nos sociétés contemporaines.
Ramenons cette thématique à l’échelle camerounaise, pensez-vous qu’il y a dans ce pays une liberté d’information?
Dans les textes, je pense à la Constitution et la loi de décembre 1990 sur la communication sociale, la liberté d’informer est formellement reconnue. Mais trop d’entraves empêchent cette conquête obtenue de haute lutte de s’incruster dans la réalité. Les fortes contraintes de la législation qui condamnent beaucoup de supports à vivre l’angoisse de la tolérance administrative, l’environnement économique hostile marqué par le sous-financement du secteur des médias, le statut précaire des entreprises de presse dont le caractère informel est patent, la modicité des rémunérations des journalistes, le difficile accès aux sources d’informations, la distribution catastrophique de la presse écrite, les zones d’ombres qui continuent à empêcher la couverture complète du pays par les signaux de la radiodiffusion et de la télévision sont autant d’effets limitants.
Je voudrais obtenir votre point de vue sur deux sujets d’actualité récente. Henriette Ekwé, directrice de publication du journal «Bebela» a été menacée de mort pour avoir expliqué que, sur la base de certains indices sociopolitiques, un coup d’Etat est possible au Cameroun? Comment réagissez-vous à cela?
Son audition menée dans des conditions d’illégalité absolue par des services de sécurité et de renseignements est à condamner. Elle a été le fait de gens que Anicet Ekané appellent avec raison les attardés galonnés ou non de la République. Ces messieurs oublient que les lois de 1990 ont aboli la subversion, que le multipartisme a remplacé le parti unique et que la liberté d’expression, au c ur de l’exercice de la profession de journaliste est sacrée.
Notre confrère Bibi Ngota est mort dans une prison camerounaise à cause d’un document qu’il détenait et qui a été jugé «faux» par les services de sécurité? Votre avis?
Cette mort illustre en premier lieu la situation dramatique de nos prisons dont la surpopulation dépasse de loin les capacités originelles. Elle trahit aussi l’inhumanité de l’attitude des autorités pénitentiaires qui ont systématiquement refusé d’accorder à temps au défunt les soins adéquats dont il avait besoin. S’agissant du document jugé faux, il est regrettable que Monsieur Laurent Esso ait refusé de répondre aux sollicitations du journaliste qui souhaitait recouper l’information contenue dans ce document. S’il avait accepté de recevoir le journaliste, sans doute que nous n’aurions jamais eu cette triste affaire dans les bras! Nous avons à faire au Cameroun à des autorités publiques qui ne se sentent pas obligées de rendre compte, de s’expliquer sur les politiques publiques. C’est frustrant pour la profession.
Concernant Bibi Ngota, certains confrères lui dénient la qualité de journaliste au prétexte qu’il n’avait pas de formation de journaliste? Que pensez-vous du métier de journaliste au Cameroun? Je veux parler du statut actuel et des conditions d’entrée dans la profession?
Je ne connaissais pas ce jeune homme. Je ne peux pas me prononcer sur ses qualités personnelles. S’il n’est pas absolument nécessaire d’avoir été dans une école spécialisée pour exercer la profession de journaliste, il est juste de reconnaître qu’il vaut mieux bénéficier d’une formation de base solide et faire montre d’une culture générale étendue. Et ensuite, on apprend son métier sur le tas pendant de longues années. C’est le schéma idéal. Sauf qu’au Cameroun, les jeunes qui se lancent dans le métier ne bénéficient pas du nécessaire encadrement des anciens, dont la plupart ont quitté le métier ou sont devenus inactifs. Si en plus, on commence par le haut, en créant sa propre publication, on ne dispose pas de filet de sécurité et on peut très vite accumuler des bêtises. L’UJC a eu raison d’en appeler au professionnalisme des hommes des médias, en leur recommandant de veiller au respect strict des règles et principes de l’exercice du métier de journaliste pour éviter de prêter le flanc aux abus de toutes sortes par la manipulation intentionnelle des faits.
La profession a un manque d’organisation, les syndicats et organisations de journalistes sont faibles, il y a une certaine absence de régulation et plusieurs organes de presse exercent dans l’illégalité? Partagez-vous ce constat et cette situation n’oblige-t- elle pas le gouvernement à intervenir assez régulièrement?
«L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. L’Afrique a besoin d’institutions fortes». Il faut croire que c’est en observant le fonctionnement du Cameroun que Monsieur Obama a fait cette déclaration. Nous sommes dans un pays qui a opté pour la sublimation d’un homme fort et le maintien d’institutions ultra faibles: pas de conseil des ministres hebdomadaire comme c’est la tradition partout, un parlement transformé en chambre d’enregistrement, un Conseil économique et social en hibernation depuis 1987, un Sénat et une Cour constitutionnelle qui tardent à se mettre en place malgré leur création il y a 14 ans, etc.La fragilisation voulue des médias procèdent de cette stratégie, d’autant plus que la presse privée est perçue comme un outil au service de l’opposition au régime. Le combat de la presse pour revendiquer des espaces de liberté et bâtir une puissance autonome risque d’être très long. Encore faut-il qu’il s’engage résolument. La mort de Bibi Ngota se présente comme un moment de prise de conscience qui peut déclencher un processus libérateur essentiel.
Les relations entre les journalistes et les forces de sécurité sont des plus méfiantes et souvent houleuses. Comment expliquez-vous cet état de fait?
Il se trouve que ces services n’ont pas encore fait leur aggiornamento. Ils se croient encore à l’époque de la lutte contre la subversion où chaque citoyen était un suspect potentiel. La police politique que l’on croyait morte est toujours à l’ uvre.
Vous avez vécu et travaillé comme journaliste sous le régime de la censure et après la loi de 1990 qui libéralise le secteur des médias? Quelque soit ce que l’on peut dire, peut-on parler d’évolution?
Il ne suffit pas que les titres de la presse écrite se soient multipliés pas cinquante ou plus pour juger que c’est un progrès. La qualité n’y est pas. Si les stations de radio et de télévision ont fait leur apparition, le régime de tolérance administration dans lequel on les confine montre à suffisance la volonté de limiter leur potentiel. Ce régime comme le précédent n’a aucune compréhension du fonctionnement des médias modernes; l’interdiction formelle de créer des groupes de presse illustre cette absence de culture de nos censeurs.

Les violations éthiques et déontologiques sont toutefois nombreuses. On peut citer les attaques contre les personnalités, les règlements de compte, les cas de diffamation aussi. Comment remettre de l’ordre dans le métier?
L’état de la presse trahit l’état général de la société qui nous entoure. Cette dernière est malade, sans repères; la presse aussi. La presse de caniveau est favorisée par une certaine classe politique et administrative dont les membres règlent ainsi leurs comptes dans leur course échevelée dans la conquête des ressources publiques. La presse ne devrait pas être complice de ces gens. Pour dératiser la profession, il est question que celle-ci s’organise, pour dénoncer elle-même, sans faiblesse, les dérives constatées. Le Conseil Camerounais des médias sur lequel on a compté pour jouer ce rôle de surveillance est malheureusement dans un coma profond. Il doit être remis sur pied.
Beaucoup de confrères indexent les mauvaises conditions de travail pour justifier parfois, leur faiblesse devant les forces de l’argent et le pouvoir politique? C’est un argument recevable?
Non. Si on ne sent pas capable de respecter les canons d’une profession pour quelque raison que ce soit, on change de métier. Ceci dit, il est légitime que les journalistes revendiquent de meilleures conditions de travail.
Terminons justement par ces conditions de travail. La convention collective peut-elle résoudre le problème?
Je doute que cette convention soit appliquée avant longtemps! Les entreprises de presse, quand elles existent sont incapables d’en appliquer les clauses, car elles ne font pas assez de recettes. La chose à faire consiste à voir comment rendre viable la situation économique et financière de ces entreprises. C’est possible, encore faut-il que le gouvernement fasse preuve d’initiative.
Certains disent que le régime au pouvoir ne veut pas d’une presse forte pour éviter d’avoir en face, un contrepouvoir. D’où les conditions précaires des journalistes? Est-ce votre avis?
Effectivement, nous avons affaire à un gouvernement qui déteste fondamentalement qu’une force sociale se forme hors son contrôle. Tout doit procéder par décret. Cette culture du parti unique est difficile à extirper et tous ceux qui entreprennent en souffrent énormément.
Que peut faire le gouvernement pour que les journalistes bénéficient de meilleures conditions de travail? A-t-il intérêt à le faire?
On demande au gouvernement de se contenter de bien réguler et créer les conditions pour viabiliser les entreprises de presse. Mais c’est trop lui demander!
Qu’est-ce que les journalistes eux-mêmes doivent faire pour atteindre cet objectif?
Face à l’adversité, il faut faire preuve d’un professionnalisme sans faille et unir nos forces pour un combat qui promet d’être rude et de durer.
