Entretien avec l’ancien gardien des Lions indomptables, consultant sportif international et chef traditionnel
La qualification des Lions indomptables au mondial de 2014 face à la Tunisie vous a-t-elle surpris ?
Surpris, non ! Je pense même que c’est le contraire en réalité. On l’a souhaitée. Il y a deux niveaux de conception de cette victoire. On a souhaité fortement la qualification des Lions. Au vu du parcours des Lions, on en est arrivé à douter. Mais le souhait était plus fort. Et puis personnellement, la manière m’a frappée, m’a ravie.
Pourriez-vous, à chaud, réagir par rapport au groupe dans lequel les Lions indomptables se sont retrouvés notamment dans la poule du pays organisateur, le Brésil ?
Pour une coupe du monde, il faut savoir remettre les choses en place. La participation d’un pays comme le Cameroun à une coupe du monde est très importante parce qu’il est question de visibilité. Malheureusement, nous ne sommes pas encore au niveau de remporter le trophée d’une coupe du monde. On ne s’y est pas préparé depuis vingt ans.
Donc, vous êtes pessimiste quant à la performance des Lions à cette compétition?
Non ! Je suis pessimiste quant au trophée. J’ai dit que nous ne sommes pas encore au niveau de remporter une coupe du monde. C’est bien que vous réagissiez ainsi parce que les lecteurs croiraient que j’ai sous-estimé la performance des Lions. Je parle donc du trophée. Je crois qu’à ce jour, les Lions ne sont pas capables de remporter la coupe du monde. Ils n’ont pas travaillé dans ce sens depuis vingt ans. Ce n’est donc pas la faute de ceux qui sont là aujourd’hui ou de quelqu’un qui serait arrivé hier. Mais c’est l’histoire qui veut ça. Au-delà de ce que je viens de dire, quand on va en coupe du monde, c’est pour être avec les meilleurs. Si on veut être avec les meilleurs, on souhaite forcément être remarqué et être vu. C’est une chance de tomber dans le même groupe que le pays organisateur. Et quand le pays organisateur d’une coupe du monde s’appelle le Brésil, ça veut dire que vous avez une exposition maximum. Maintenant, les mêmes yeux qui peuvent constater la beauté, sont aussi ceux qui constateront la laideur. Les Camerounais doivent donc travailler.
Cette responsabilité des joueurs est prise individuellement, ou alors c’est le sujet de toute l’équipe, ou même c’est la responsabilité des organisateurs au niveau national ?
Non ! C’est la responsabilité de tous. On ne peut pas se défier. L’équipe nationale, on aime à le dire, représente tous les Camerounais. On n’est d’ailleurs jamais mieux représenté légalement que par son gouvernement et par son Etat. Avant d’arriver sur le terrain, évidemment, la responsabilité, la tête qui commande vient de loin. C’est là-bas que tout doit se concevoir. C’est cette réflexion qui emmène à mettre en place ceux qui encadrent, ceux qui dirigent, ou ceux qui font ci ou çà. Si on n’a pas songé à une organisation, les choses ne se font pas toutes seules.
Croyez-vous que l’équipe actuelle des Lions indomptables peut faire au moins autant que la cuvée de 1990 qui, je peux le dire, a été exceptionnelle ?
Ce qui est exceptionnel n’arrive pas souvent. Donc, si l’équipe de 90 était exceptionnelle, ça veut dire qu’on ne peut pas programmer l’exception. Je crois qu’il faut laisser les joueurs se débrouiller. Il faudrait qu’il y ait un encadrement compétent et au sens large, c’est-à-dire pas seulement l’encadrement technique. Il faut aussi l’encadrement médical, administratif, et politique.
Certaines indiscrétions donnent le coach Volke Finke sur le départ en dépit de la qualification des Lions. Quelle est votre opinion là- dessus ?
Je ne peux pas me permettre d’essayer de lire des lettres qui sont encore dans les poches. Il y a des responsables compétents. En revanche, dire qu’en dépit de la qualification, je crois que ce ne serait pas une bonne analyse. La bonne analyse d’un manager c’est de se demander comment marche la maison. Donc aujourd’hui, on a engagé un type que personne ne connaissait au Cameroun avant qu’il ne vienne chez nous. La vraie question c’est de savoir quel est le vrai travail qu’il a fait depuis qu’il est là ? Et c’est à ceux qui sont proches de l’équipe de rendre des comptes. C’est à eux de dire à qui de droit comment ça s’est passé. Moi je ne peux pas me permettre de me lancer dans cette analyse et surtout pas à travers un journal.
Que pensez-vous d’un entraîneur de nationalité camerounaise ?
Il n’y a rien qui soit tabou. Le problème n’est pas de se demander : Est-ce qu’il faut un entraîneur de nationalité camerounaise ou pas ? Le problème est de dire : Qui faut-il et qui a le profil ? Le jour où on donnera des noms, on pourra débattre là-dessus. Je crois qu’il ne faut pas donner l’impression de détester les étrangers. Ce n’est pas un problème d’étrangers, c’est un problème de compétence. Si on a des compétences sur place, pourquoi ne pas les utiliser ? Si on ne les a pas, on est tout à fait fondé d’aller les chercher ailleurs.
Jean-Paul Akono était compétent.
C’est vous qui le dites. Dans tous les cas, Jean-Paul Akono était en place et il ne faut pas oublier qu’il a eu la chance de diriger cette équipe déjà deux fois en tant qu’entraîneur principal et plusieurs fois en tant qu’entraîneur adjoint. Donc, on ne pourrait pas le plaindre, car il a déjà eu à essayer. Maintenant, c’est à ceux qui gèrent le recrutement à ce poste de faire les comptes et de se demander : quel est le bilan réel de Jean-Paul Akono ? Cette fois tout au moins, pour se séparer d’Akono, on aurait dû faire que quelqu’un rende une comptabilité, dire sur quelles bases on l’a viré et dire sur quelles bases on virerait Finke.

Le Comité de Normalisation de la Fécafoot aurait sollicité par le biais du président de la République, une prorogation de son mandat pour mener à bien sa mission. Cette prorogation vous semble-t-elle raisonnable ?
Avant de dire que la prorogation semble raisonnable, il faut d’abord se demander, parce que vous avez employé le conditionnel, si c’est vrai. Et pour moi, ça ne semble pas vrai. De l’autre côté, je pense que les élèves brillants, généralement, rendent leurs copies avant l’heure. Je ne vois donc pas comment ce Comité, qui a des gens que je respecte énormément, en commençant précisément par le président, le Pr Joseph Owona, pourrait vouloir un délai supplémentaire pour un travail qui aurait dû être fait en moins de temps que ça. Je ne suis pas convaincu que le Pr Owona ait signé une telle lettre.
La participation de l’équipe du Cameroun au mondial du Brésil en 2014 empêche-telle qu’on ait une équipe à la tête de la Fédération camerounaise de football ?
À ce moment-là véritablement, c’est que les Camerounais seraient en train d’envoyer au monde l’image des gens absolument inintelligents et seraient surtout en train de renvoyer à la Fifa l’image d’une Fifa complètement inopérante. Parce que lorsque la Fifa a fixé ce délai, la coupe du monde était déjà fixée elle-même. On ne peut pas faire comme si on était surpris aujourd’hui. De plus, le Cameroun en interne, a déjà eu plusieurs fois non pas à remplacer des dirigeants qui ne jouent pas, mais à remplacer l’entraîneur qui conduit l’équipe au mois de mars pour aller à une coupe du monde au mois de juin. Comment se fait-il qu’on se plaindrait de remplacer des dirigeants bureaucratiques prévus de longue date et qu’on dise que si on les remplace, cela sera néfaste à une participation à la coupe du monde.
Connaissant l’esprit des Camerounais et le passé de la Fédération, je vous renvoie la question.
Sauf si nous croyons qu’on aura passé huit mois pour rien. Les choses devraient changer. Et la réussite du Comité de normalisation repose sur le fait de pouvoir faire en sorte qu’après lui, les choses ne soient plus jamais comme avant.
Vous pensez que ce serait tout à fait normal et même idéal qu’une équipe soit désignée ou élue à la tête de la Fécafoot?
Il serait normal que la normalisation réussisse à normaliser la Fédération. Et elle est venue pour ça. La logique veut qu’après la normalisation, les choses soient normales.
Quel est, selon vous, le profil du prochain dirigeant de la Fédération ?
Si on a parlé de normalisation après le passage de ceux qui étaient à la Fédération, ça veut dire qu’il est clair, qu’il faudra quelqu’un ne ressemblant pas aux prédécesseurs. La Fédération doit avoir à sa tête une personne qui ne ressemble ni de près, ni de loin à ce qu’on a connu jusque-là.
Comment va-t-on faire pour trouver cette personne ? Vous savez comment les élections à la Fédération se sont faites dans le passé .
Je maintiens que le passé, il faut l’oublier. C’est pour cela qu’on est passé à la normalisation. De ce passé que l’on connaît tous, on a mis en place une transition, la normalisation, qui doit faire naître quelque chose de différent. N’oubliez pas que la normalisation a pour mission de réécrire les textes, en réalité, de les rendre plus clairs, plus opérationnels et de mettre en place un code électoral pour un processus électoral forcément transparent.
Donc ce n’était pas le cas ?
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Fifa. Je le disais avant, on ne m’a pas cru. Donc après l’intervention de la Fifa, il doit y avoir un changement. Il faut surtout que le Cameroun, et tous les dirigeants sportifs et hommes politiques, sachent que le monde entier regarde. Nous sommes arrivés à envoyer un message rocambolesque au monde entier avec l’élection d’un type qui était en prison au moment de sa propre élection. Après la normalisation, il ne faut pas qu’on ait encore affaire à ce genre d’approbation.

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Bell Joseph Antoine, seriez-vous l’un de ces oiseaux rares, si on vous faisait candidat?
Non ! Ce n’est pas si on me faisait. Les candidats se déclarent eux-mêmes parce qu’ils en ont la conviction, l’envie. Les candidats se déclarent peut-être parce qu’il y a des groupes de pression qui ne peuvent être que des groupes d’amis, c’est-à-dire des gens qui vous connaissent et qui pensent que vous avez la qualité ; toutes choses qui ne se font pas en public. Donc vous n’attendez pas que je vous dise que des amis m’auraient demandé d’être candidat ou que moi-même j’envisage de l’être. Faisons les choses de manière cohérente, il faut d’abord attendre que le Comité de normalisation finisse son travail et rende public les textes. Ces textes rendrons attrayante la position de candidat.
Vous venez d’être battu au double scrutin du 30 septembre 2013 au conseil municipal de Ngambe. Les postes électifs ne semblent pas vous sourire.
Voilà encore une des aberrations. Quand les choses concernent Joseph Antoine Bell, on dit tout et n’importe quoi sans plus réfléchir. Au Cameroun, il n’existe pas de candidature indépendante ; il n’y a pas de candidature individuelle. Ce sont les partis politiques qui s’affrontent. Pourquoi je serai battu et pas le parti qui a présenté une liste ? Pourquoi je serai mis en avant à la place de la liste alors que je n’étais même pas tête de liste. Je ne comprends pas qu’on en fasse tout un plat.
Vous êtes une star mondiale, pourquoi n’avez-vous pas cherché à devenir tête de liste pour pouvoir porter cette liste ?
Si j’avais cherché à être tête de liste, tout le monde aurait dit : donc lui il ne peut pas être l’adjoint de quelqu’un ? Ceux qui veulent m’attribuer la défaite, c’était à eux de dire à ce moment-là que : ce type-là, en tant que star planétaire, doit conduire la liste parce qu’elle aurait plus de chance de prospérer et parce que ce serait sa responsabilité si on perd. Vous ne pouvez pas, dans une équipe, rendre les remplaçants responsables de la défaite à la place des titulaires. Je suis solidaire de la défaite, mais je ne peux pas en être le seul responsable. J’étais juste un membre, un colistier comme un autre. Votre attitude révèle que la tête de liste, et le responsable communal de la campagne, et les responsables politiques, ont manqué de vision en ne me plaçant pas comme tête de liste, puisque tout le monde se tourne vers moi après la défaite.
C’est un problème national que les têtes de liste n’étaient pas les choix de la population et c’est du fait de l’organisation interne votre parti. Mais l’opinion ne s’en prendra qu’à celui ou ceux qu’elle considère comme la lumière d’une liste.
Non ! L’opinion ne peut pas s’en prendre à moi parce que dans ces conditions, je vais leur retourner l’argument. Vous dites que les têtes de liste n’étaient pas les plus aimées par la population. C’est vrai et dans ce cas, ce sont les responsables locaux du parti qui n’ont pas eu le flair de choisir la bonne personne. Mais moi, je suis astreint à la discipline et ça ne devrait pas vous surprendre, je suis un sportif d’équipe. Donc, obéir à la discipline du groupe est devenu pour moi une déformation naturelle. Par conséquent, si on fait une liste et que je n’en suis pas la tête, je ne vais pas me fâcher et partir parce que j’ai été habitué à danser pour des buts marqués par d’autres.
Comment se porte la chefferie de Mouandé ?
La chefferie se porte plutôt bien. Elle a, comme toutes les chefferies, des problèmes de part et d’autre. Même si précisément, dès que le chef s’appelle Joseph Antoine Bell, on commence à imaginer une chefferie qui soit comme une commune, une mairie. Tout le monde parle de développement au niveau de la chefferie traditionnelle pourtant, elle n’en est pas le moteur.
Mais après l’échec de votre parti, de votre liste, comment a été l’état d’esprit de vos populations ?
Voilà une autre chose qu’il faut rectifier. Quand on vous dit qu’il y a élections à Yaoundé où à Douala, vous n’imaginez quand même pas que toute la ville de Douala ou toute la ville de Yaoundé est un bloc monolithique. Donc, quand on vous dit que la liste a perdu à Ngambé, ce n’est pas une situation générale. Ngambé est constitué de 52 villages. Evidemment, mon village a largement voté pour moi. Dans les environs de chez moi, d’autres ont perdu. Donc, il a perdu chez lui ne veut pas dire qu’il a perdu dans sa propre circonscription.

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