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La difficile renaissance du lac Nyos au Cameroun

La vie reprend timidement à Nyos, trente ans après la catastrophe. Mais le village, composé en majorité d'enfants, manque de…

La vie reprend timidement à Nyos, trente ans après la catastrophe. Mais le village, composé en majorité d’enfants, manque de tout

Une odeur d’ uf pourri, et comme un bruit de gros cailloux jetés dans l’eau. Puis, un long trou noir. A son réveil au petit matin, l’hécatombe. El Hadj Gaï est l’un des rares à avoir survécu. Le vieillard de 88 ans affirme pourtant être mort le 21 août 1986, en même temps que sa famille et le reste du village.

Cette nuit-là, dans une région montagneuse des Grassfields, dans le nord-ouest du Cameroun, à 320 kilomètres de la capitale Yaoundé, l’explosion subite du lac Nyos, un lac de cratère perché à 1 100 mètres d’altitude, laisse échapper plus d’un kilomètre cube de gaz carbonique. Près de 2 000 personnes meurent asphyxiées dans leur sommeil, tout comme plusieurs milliers de bovins, dans un rayon de 20 kilomètres. C’est la plus grande catastrophe naturelle qu’ait connue le pays.

Assis devant sa case en terre battue, El Hadj Gaï, autrefois éleveur de zébus, observe d’un regard triste « la vallée qui a pris la vie de toute une contrée ». Après la tragédie, sonné, il trouve la force de marcher en direction d’un village du Nigeria voisin où il se réfugie. Il ne reviendra à Nyos qu’au début de 2015, « pour y mourir ».

Dans le petit bourg de Nyos, la vie a repris. Mais trente ans après, la mort rôde toujours. Pour atteindre cette vallée reculée aux confins du Cameroun et du Nigeria, il faut parcourir en moto depuis Wum, la ville la plus proche, une centaine de kilomètres sur une route rocailleuse et truffée de nids-de-poule. Il faut aussi pouvoir dompter une savane haute et menaçante qui débouche sur ce qui était la place du marché avant la catastrophe. A cet endroit, une petite école a surgi de terre, bâtie avec trois fois rien, des planches et des tôles. Samuel Kum Missom, trapu et le visage fermé, dit l’avoir construite par instinct de survie.

« Je suis rentré pour aider mon village à se reconstruire »
« La renaissance commence par l’instruction, l’école doit nous sauver du malheur », explique celui qui venait à peine de prendre femme « lorsque cette chose est arrivée et l’a emportée ». Contraint, comme tous les survivants, de quitter les lieux, il est revenu s’installer à Nyos il y a deux ans, avec sa nouvelle famille, son épouse Victorine et leurs cinq enfants. « Le village est l’endroit où l’on doit finir sa vie », songe déjà cet homme vigoureux de 47 ans au verbe haut. Au départ, les seuls élèves de l’école étaient ses enfants. Elle en compte une soixantaine depuis que Guiobert Ndong en a pris la direction en septembre 2015. Lui aussi est un survivant. Il avait 5 ans la nuit du drame.

« Je suis rentré pour aider mon village à se reconstruire avec ce que la vie m’a permis d’apprendre », fait remarquer le jeune homme dégingandé, à la démarche hésitante, en faisant visiter le bâtiment. « Nyos ne doit pas être oublié, nous vivons comme des réfugiés, comme des gens perdus », ajoute l’instituteur. Autour de l’école, un ensemble d’une centaine de cases disséminées dans la vallée, chacune étouffée par de hautes herbes qui servent aussi de pâturage au bétail.

« Nous sommes obligés de nous cacher sur nos propres terres », s’énerve Bouba Hassan Namodji, pour expliquer la broussaille devant les maisons. La communauté est estimée à 300 personnes. En 1986, lorsque le lac Nyos a dégagé du gaz toxique, ce Peul, l’ethnie majoritaire dans la région, avait 13 ans. « Ici, la terre est fertile et je peux gagner ma vie. Dans les camps de recasement, c’est impossible », affirme Bouba Hassan, qui n’a jamais pu aller à l’école, et qui s’exprime en pidgin english, langue véhiculaire au Cameroun. En réalité, l’éleveur ainsi que les autres habitants du village sont des clandestins sur leurs propres terres.

le Le village Nyos, composé en majorité d’enfants, manque de tout.
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« Le danger n’est pas écarté »
Car après la catastrophe, le gouvernement a interdit l’accès au lac et installé les survivants dans des camps à une centaine de kilomètres de la région. En novembre, cette interdiction a été réitérée après la publication des recherches d’une équipe de scientifiques japonais indiquant que « le danger n’est pas écarté ». « Nyos est situé au-dessus d’une poche magmatique. Il existe des lignes de failles qui partent de cette poche et entrent en contact avec le fond du lac. C’est une zone de volcanisme actif. Les émanations gazeuses s’accumulent donc en permanence », a expliqué le géochimiste Minoru Kusakabe, qui a dirigé l’équipe de chercheurs.

« Depuis trente ans, il ne s’est plus rien passé. Cela veut dire qu’il n’y a plus rien, veut pourtant croire Asta Bami, qui égrène du maïs devant sa maison entourée de ses enfants. Le gouvernement nous interdit de revenir chez nous, mais il a reconnu l’école et a fait construire un puits. Alors, quel est le problème ? »
Depuis son bureau de l’Institut de recherche géologique et minière du Cameroun, à Yaoundé, le géologue Gregory Tagni Léké répond : « L’injonction ne sera pas levée tant que la zone ne sera pas sécurisée. Or, le lac se recharge continuellement en gaz. Nous essayons de déterminer les zones qui pourraient éventuellement être touchées en fonction de la quantité de gaz présente au fond de l’eau. »

S’il ne fait plus de doute que c’est l’explosion d’un nuage de gaz carbonique qui en est à l’origine, elle a pourtant donné lieu à une bataille homérique entre deux scientifiques très médiatiques à l’époque.

Le Français Haroun Tazieff, qui défendait la thèse d’une éruption volcanique de gaz ayant abouti à la libération de CO2, et l’Islandais Haraldur Sigurdsson, soutenant la thèse limnologique : un dégazage des eaux du lac chargées en CO2 du fait de la présence du volcan. Puis, comme après avoir secoué une bouteille de soda, le lac Nyos a laissé échapper une immense bulle de CO2. Le second remporta le duel. Mais pour les survivants, l’une des explications est à trouver dans les mythes liés aux traditions locales, avec des monstres qui auraient surgi du lac.

Mohamadou Amadou est l’un des seuls survivants de la catastrophe de 1986.
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Incompréhension des familles des victimes
Sur place, la situation est toujours confuse. Le lac Nyos, 210 mètres de large et 90 mètres de profondeur, peut-il se réveiller et tuer à nouveau ? Depuis 2011, le géophysicien français Michel Halbwachs supervise à Nyos une opération de dégazage progressif du lac. Un tube et une pompe font remonter l’eau riche en gaz dissous. « De 360 millions de mètres cubes de CO2, nous avons pu le réduire à 60 millions. D’ici deux ans, nous pensons pouvoir expurger les 15 % restant, affirme le scientifique. La recharge naturelle est contrebalancée par le dégazage artificiel. Le danger nous semble donc écarté, même avec un bouleversement de type tremblement de terre. »

De quoi accroître l’incompréhension des familles des victimes. Leur porte-parole, Abubacar Suleiman Maoko, 36 ans, lui, n’est pas retourné vivre dans son village natal. Il travaille à Ukpwa, à une centaine de kilomètres de Nyos, où il est directeur d’école. L’homme pointe un problème de taille. « Les autorités empêchent tout retour, mais pendant ce temps, des personnes d’autres régions viennent s’y installer, passent pour des familles de victimes et accaparent les terres. Si rien n’est fait, un conflit ethnique peut s’ouvrir dans cette zone », craint-il.

M. Maoko estime que seules les autorités peuvent contenir l’afflux de « non-victimes ». Il regrette que les données du recensement effectué après la catastrophe ne soient pas accessibles. Bien sûr, en trente ans, les familles se sont agrandies, « mais nous nous connaissons tous », assure l’enseignant.

« Demander aux personnes qui ne sont pas originaires de Nyos de partir alors que certaines y sont depuis vingt ou vingt-cinq ans ne sera pas possible, mais l’Etat doit trouver le moyen de ne pas les considérer comme des victimes dans l’éventualité d’une indemnisation », estime Olivier Bagneken, responsable de l’association pour l’éducation dans la famille (Emida), une ONG qui aide à la réinstallation des populations dans la zone d’influence du lac Nyos.

Le lac Monoun, distant d’une centaine de kilomètres, avait, lui aussi, laissé échapper du gaz carbonique en 1984, tuant une quarantaine de personnes. Ces deux lacs camerounais, en plus du lac Kivu, à la lisière de la République démocratique du Congo et du Rwanda, sont les seuls au monde en mesure de produire une éruption limnique. Et, selon les spécialistes, la quantité de gaz contenue dans le lac Kivu est proportionnelle à sa taille imposante : une surface de près 2 700 km2 et 480 mètres de profondeur. Un danger encore plus colossal que celui qui a failli rayer Nyos de la carte.

La couleur rougeâtre du lac Nyos est la même que celle observée après l’explosion de gaz carbonique qui a provoqué la mort de 2 000 personne, le 21 août 1986.
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