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«La nécessaire réflexivité critique de l’opposition camerounaise aura-t-elle lieu?»

«Chacun veut être le candidat unique de l'opposition et pense être le seul capable d'être crédible» L'attitude à adopter pour…

«Chacun veut être le candidat unique de l’opposition et pense être le seul capable d’être crédible»

L’attitude à adopter pour assurer la réussite de tout travail quel qu’il soit, est celle d’une critique réflexive. Dans le champ politique, cela revient à poser un regard critique sur soi-même, sa production, son discours, ses instruments, son timing, son comportement, son bilan et ses objectifs. C’est une vigilance épistémologique à avoir de peur de tomber à son tour dans les mêmes travers que ceux que l’ont dit combattre. C’est aussi une attitude qui permet de ne pas enjoliver à l’extrême l’alternative que l’on pense être. La réflexivité critique invite à rester modeste et réaliste, qualités essentielles dans l’offre d’une alternative crédible au pays. À l’heure où le Renouveau National et ses «opposants» s’activent autour de la présidentielle de 2011, il est peut-être indiqué de se demander si la réflexivité critique qui, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas la première qualité du candidat sortant, est un exercice pratiqué par l’opposition camerounaise.

La mangeoire comme système partisan
Le Renouveau National se targue sans cesse d’avoir apporté le multipartisme au Cameroun. Sans remonter dans l’histoire du pays où on peut démontrer que cette affirmation est erronée, il semble indiscutable qu’un nouveau parti unique s’est construit au Cameroun: c’est celui de «la mangeoire nationale comme système partisan». Autrement dit, le pseudo opposant et l’adepte farouche du Renouveau National, trouvent une confluence de leurs intérêts une fois qu’ils deviennent membres de «la mangeoire nationale» à travers laquelle se partage le gâteau national. C’est ce nouveau parti unique qui met tout le monde d’accord et accorde les violons entre le pouvoir et ces anciens détracteurs. La puissance de conviction de ses arguments matériels transforme aujourd’hui en sourd muet un Bouba Beilo Maïgari, et en porte parole du régime auquel il dit s’opposer, un Issa Tchiroma Bakary. Le problème ici n’est pas de participer à un gouvernement, mais de le faire, alors qu’on se dit opposant, sans plate forme politique qui puisse garantir le respect de certaines de ses revendications. Le problème est d’avoir des opposants aux convictions politiques «liquides», c’est-à-dire sans consistance ni cohérence.

En conséquence, il peut aujourd’hui paraître anachronique et même déplacé de parler d’une opposition politique camerounaise, tellement celle-ci est décrédibilisée et dans un état d’émiettement avancé. Les opposants de façade membres assidus de «la mangeoire nationale» «comme système partisan», jouent en ce moment le rôle fonctionnel dont a besoin le Renouveau National pour se crédibiliser aux yeux du monde comme système d’union national. C’est aussi une opposition alimentaire dont l’apogée politique est atteint une fois le leader nommé ministre d’Etat ou à quelques postes de responsabilité. Certains analysent ce comportement comme étant l’essence profonde de la politique alors qu’il traduit surtout l’appel du «ventre affamé» qui bouche l’horizon politique et ferme les vannes de la honte d’être un chien tenu en laisse par l’exécutif en place.

Cette opposition-là est irrécupérable. Elle n’est même pas à récupérer, tellement elle est dangereuse et habitée d’un projet politique dont le vide n’a d’égal que le haut débit d’illusions vendues aux populations. Ce sont des personnages qui enlisent le Cameroun dans une sphère de pure consommation où gouverner équivaut strictement à manger et à se taire. La réflexivité critique n’est plus possible pour eux, étant donné que leurs esprits ont trouvé une limite suprême à leur quête: être membre de la mangeoire nationale. D’où la naissance d’une opposition pavlovienne appâtée qu’elle est par les délices du grand banquet.

Portons notre regard ailleurs. Un «ailleurs» où le bénéfice du doute est encore permis même si la pollution des espoirs n’est jamais trop loin. D’autres Camerounais de l’intérieur à l’instar de Ndam Njoya, Mboua Massock, le député Nitcheu et bien d’autres, tissent des liens avec des organisations politiques de la diaspora camerounaise telles le CODE et CAMDIAC pour ne citer que celles-là. La question que l’on peut se poser en interrogeant ces rencontres et leurs résultats, est la même : la réflexivité critique est-elle au rendez vous?

Surfer sur l’épuisement politique du Renouveau National ne suffit pas pour être une alternative crédible au Cameroun
L’abîme qui guette tous ces liens et les rencontres qui en résultent naît du fait qu’aucun projet de société crédible ne voit le jour. Les uns et les autres surfent sur l’impopularité au zénith du Renouveau National sans se construire un projet politique autonome. C’est-à-dire, qui se déclame et s’annonce sans s’adosser à un élément exogène. On ne peut être une alternative crédible qu’à ce prix. L’objet ici n’est pas de laisser tomber la critique, mais de tirer de celle-ci et de sa propre vision du Cameroun un projet de société alternatif au travers duquel, le Camerounais puisse espérer un avenir meilleur que son présent. Ce qui fait la différence entre le scientifique et le politique est que le premier peut se contenter du constat d’une république abîmée par près de trente années «de mangeoire comme système partisan», quand le second dont l’objectif est l’action pour transformer le vécu, doit présenter une offre politique alternative comme projet de société. Le faire exige que CAMDIAC, le CODE et leurs partenaires locaux se rendent compte que la crise camerounaise n’est pas conjoncturelle, mais structurelle et spirituelle. En sortir exige d’élever le niveau au-delà de la seule dénonciation du système en place. Ceci consiste à penser l’avenir du pays en fixant des priorités, des instruments d’action et des objectifs à atteindre. C’est proposer un projet qui place le Cameroun sous un ajustement structurel de nature politique et civilisationnelle cette fois pensé, non par la Banque Mondiale et le FMI, mais par ses propres forces vives internes et externes. Etant donné que faire de la politique c’est aussi maîtriser son calendrier, un tel travail se fait en adoptant un timing précis, en créant des commissions qui travaillent par domaines de compétence, et en construisant des outils de vulgarisation du projet. Une telle ambition se concrétise, non en se contentant des déclarations vides de projet comme celle de la récente rencontre de Washington, mais en fixant des quasi-objectifs (grandes normes), des objectifs quantifiés et des hypothèses de travail qui anticipent les états du monde qu’on ne connaît pas encore.

C’est seule la réflexivité critique qui montre que rien de ça n’est fait et que ces rencontres tombent dans une erreur épistémologique qui consiste à ne pas critiquer son propre travail dans le but de prendre conscience de ses propres manquements et erreurs stratégiques.
Thierry Amougou
Thierry Amougou
africapresse.com)/n

Le moi surdimensionné en action : si ce n’est pas moi le candidat unique de l’opposition, alors ce ne sera personne d’autre
«Biya veut mourir au pouvoir» est devenu «le leit motiv» des acteurs et associations politiques dits opposés au Renouveau National. La réflexivité critique exige de confronter ce «besoin de pouvoir à vie» et cette «attitude du toujours et uniquement moi», aux comportements des leaders au sein des rencontrent qui les unissent. La rencontre entre CAMDIAC et certains «opposants» camerounais vivant au pays, en constitue un prototype. Chacun veut être le candidat unique de l’opposition et pense être le seul capable d’être crédible. Et pourtant, si l’ambition n’est pas un défaut, la prétention en constitue un gros. Guider par ce complexe de supériorité, le «après moi le déluge» qui semble motiver Biya à dire «moi jusqu’à ce mort s’en suive», est aussi la même caractéristique de ceux de l’opposition et ses organisations internes et externes qui jurent par «c’est moi ou personne d’autre». Le comportement de Biya devient alors le miroir de celui de l’opposition dans la mesure où on semble critiquer Biya parce qu’on aimerait être ce qu’il est, soit un monarque absolu. A titre d’exemple, Bouba Beilo Maïgari avait exclu Tchiroma et Moustapha de l’UNDP parce qu’ils avaient accepté d’être ministres dans un gouvernement du Renouveau National. On aurait cru avoir affaire un vrai opposant si, quelques années après, il n’était lui-même devenu ministre d’Etat sous Biya. D’où le fait que l’opposant camerounais s’oppose très souvent à ce qu’il aimerait lui-même avoir comme reflet de sa propre image sur le miroir.

Il est d’autant plus ahurissant que les disputes entre leaders se font sur un vide de programme et d’offre politique crédibles. Ce qui revient à dire que ce qui importe c’est être à la place de Biya même s’il faut faire la même chose. Dès lors, le doute naît dans les esprits d’autant plus fortement que plusieurs figures de proue de ces rencontres ont déjà été à de hautes responsabilités et devraient, si les objectifs étaient collectifs, passer le témoin à de nouvelles générations au parcours politique non encore pollué par des casseroles.

Si ce sont les CV et les diplômes que l’on met en avant sans aucune production crédible derrière, alors le Cameroun est loin de sortir de l’auberge: la dictature commence par un moi surdimensionné qui nie l’existence des autres et initie les abus de pouvoir une fois qu’on est en poste.
Thierry Amougou

Sortir du règne de la politique buissonnière
Une autre chose que la réflexivité critique peut permettre d’éviter est ce que j’appelle «la politique buissonnière». C’est-à-dire la pratique politique des intermittents de la scène politique camerounaise. La politique buissonnière peut s’entendre comme une attitude qui consiste à être cachés derrière le buisson en période non électorale, et à apparaître dès lors qu’une échéance comme celle de 2011 pointe le bout de son nez. Un professionnel de la politique la fait en permanence et pas seulement lors des moments du vote. Mettre le peuple et ses souffrances entre parenthèses après les échéances électorales, équivaut à dire que celui-ci et ses peines n’existent que quand on bat campagne. C’est une situation qui renforce encore «la mangeoire comme système partisan cette fois-ci populaire.» En effet, une fois que le peuple sait qu’il ne compte que lorsque le vote approche, il devient aussi adepte de «la mangeoire» en demandant à boire et à manger à ceux qui battent campagne : il rentabilise à court terme le seul moment où il compte. Le peuple existe aussi pourtant entre deux élections, intervalle de temps où l’opposant ne doit pas entrer dans le buisson. Le faire consiste à opter pour «une politique buissonnière» qui instrumentalise le vote et les populations pour ses propres objectifs personnels. En conséquence, une des manifestations de cette politique buissonnière frappe l’opposition, ses leaders et ses organisations. Il en résulte leur faible crédibilité car des organisations qui n’existaient pas naissent à foison juste parce qu’il y’a un scrutin juteux ; des partis politiques rangés dans les placards depuis des années ressuscitent juste pour recevoir les fonds publics, et des leaders disparus ou exilés remettent leurs «veste d’opposant» pour se remettre à crier à hue et dia. Tout cela décrédibilise et marque l’absence d’une réflexivité critique au sein de l’opposition camerounaise. Être un opposant crédible exige d’être un professionnel de la politique et non un intermittent du spectacle politique. La crise du Cameroun est structurelle et civilisationnelle. Que le CODE-USA aille rencontrer les autorités américaines, que le CODE-Bruxelles/Londres terrorise les envoyés du pouvoir à Birmingham n’y change rien du tout. La structure de crise reste solide face à ces épiphénomènes qui ne parquent que la conjoncture de court terme. Seul un projet alternatif est porteur pour un Cameroun qui continuera obligatoirement après 2011 et après le Renouveau National. Le réussir exige de ne pas penser à soi mais à son pays et aux générations futures.