Sur Internet, des médias camerounais et africains s’insurgent contre la condamnation de 10 ans de prison infligée au journaliste. Certains y voient un «musellement» de la presse.
«Le verdict est finalement tombé hier soir, relève le site Cameroon-Info, sur l’affaire opposant le Ministère public à Ahmed Abba, le correspondant en langue haoussa de RFI au Cameroun. Le juge du tribunal militaire de Yaoundé a décidé d’une condamnation de dix ans de prison ferme pour le reporter qui devra également payer une amende de 55 millions de francs CFA. Le juge n’a donc pas suivi la requête du procureur, pointe encore le site camerounais, qui demandait la prison à perpétuité. Il a choisi la peine minimale en termes de réclusion.»
En effet, précise Cameroon-Info, «des trois chefs d’accusation retenus contre le journaliste camerounais, le principal, à savoir : complicité d’acte de terrorisme a été écarté. Après le désistement des témoins de l’accusation, l’accusé a été déclaré non coupable sur ce point. En revanche, les charges de non dénonciation d’actes terroristes et blanchiment des produits de terrorisme, ont été maintenues. Maître Charles Tchoungang, avocat de la défense, qui avait émis le vœu de voir sa peine réduite promet de faire appel de ce verdict dès ce mardi 25 avril.»
Hier, dans un communiqué, RFI s’est dite «consternée par ce verdict […]. C’est la liberté d’informer et d’être informé qui est mise en cause. RFI en appelle à la mobilisation générale de tous ceux qui dans le monde se battent pour défendre ce droit fondamental.»
Répression
De nombreux médias emboitent le pas, à l’instar du Monde Afrique : «comment comprendre cette condamnation qui ne s’est basée que sur un téléphone, lequel aurait appartenu à un “terroriste” puis à “une victime du terrorisme”, selon les accusations changeantes du parquet, et dont la sauvegarde numérique aurait été retrouvée dans un des ordinateurs du cybercafé que tient le journaliste à Maroua ? “Il y a une rationalité limpide, estime un bon connaisseur du pays cité par Le Monde Afrique. C’est d’empêcher tout regard extérieur sur ce qui se passe réellement dans le nord du Cameroun. Il s’y produit une politique de répression dont le coût humain est catastrophique”.»
L’Observateur Paalga au Burkina s’insurge également : « comment imaginer qu’Ahmed Abba puisse s’être rendu coupable d’une telle forfaiture quand bien même il aurait pu, dans l’exercice de son métier, approcher les jihadistes d’Abubakar Shekau ? De fait, tout au long de la vingtaine d’audiences, l’accusation ne sera jamais parvenue à administrer les preuves irréfutables de ce présumé pacte avec le diable. Du coup, même allégé par rapport à la peine qu’il encourrait initialement, ce verdict sonne comme un médiacide. C’est ce qu’on appelle se tromper d’ennemi, car pendant qu’on s’acharne sur un journaliste qui ne faisait que son métier, les vrais collabos de la nébuleuse, eux, continuent de prospérer et par conséquent de sévir. »
Musellement
«Le tribunal militaire de Yaoundé a creusé de profondes entailles dans le corps de la liberté d’expression et de la presse au Cameroun, renchérit Aujourd’hui, toujours à Ouaga. Car qu’avait Abba sauf un micro ? Et il ne faisait que son travail d’informer. En tapant durement sur le journaliste de RFI, la justice militaire camerounaise se fait fossoyeuse de la liberté des médias. Et si l’on se rappelle la longue coupure d’Internet dans les régions anglophones – levée depuis la semaine dernière–, cette condamnation n’est donc pas le fruit du hasard.»
Le Pays, toujours au Burkina, hausse encore le ton en estimant que le tribunal militaire de Yaoundé a été «d’une inclémence répugnante. En un mot comme en mille, poursuit le journal, cette condamnation est un coup de poignard porté à la liberté de la presse […]. Il faut le rappeler, pointe Le Pays, Abba a été arrêté, torturé et condamné dans le cadre de l’exercice de son métier de journaliste. En lui infligeant cette lourde peine pour une prétendue “collusion” avec Boko Haram, la justice camerounaise veut ainsi envoyer un signal fort aux médias du pays de Paul Biya pour qu’ils se tiennent tranquilles. Tout indique qu’il y a bien une intention de museler la presse camerounaise sous le prétexte de lutte contre le terrorisme. Au-delà du cas d’Ahmed Abba, s’exclame encore Le Pays, c’est l’ensemble des journalistes camerounais qui doivent craindre pour leur métier. Toujours est-il que ce n’est pas en condamnant ou en intimidant les journalistes, conclut le quotidien burkinabé, que l’on pourra venir à bout du terrorisme dans nos contrées.»