A l’opposé du choix de Volker Finke, deux délégations du Comité de normalisation de la Fecafoot sont allées en mission convaincre des Franco-camerounais démotivés pour la sélection nationale
Dans une interview accordée le 4 mai dernier au quotidien sportif l’Equipe, le défenseur de Lyon, Samuel Umtiti, a clairement indiqué qu’il n’avait aucune chance de disputer la prochaine Coupe du monde. «Il faut être réaliste et lucide, j’ai zéro chance. (.). J’espère y être en équipe de France après le Mondial. La sélection du Cameroun est toujours intéressée. Mais ma décision est prise, je suis en équipe de France Espoirs», déclarait-il. Né à Yaoundé le 14 novembre 1993, le footballeur est soumis à un sacré dilemme : répondre favorablement à l’appel du Cameroun, le pays de ses parents, et avoir ainsi l’opportunité inouïe de disputer une Coupe du monde au Brésil ? Ou attendre patiemment une chance qui ne viendra peut-être jamais avec l’équipe de France, la sélection du pays où il a grandi ?
Pour influencer le choix du Franco-camerounais, son coach, Rémi Garde, qui l’a lancé chez les professionnels à Lyon il y a deux ans, l’invite à jouer la montre : «Samuel est en France depuis son plus jeune âge, il est parfaitement intégré à la vie française. Je comprendrais que ses origines refassent surface un jour, je comprends la Fédération camerounaise car il a du talent et de l’ambition, mais je pense que ce serait agir dans la précipitation que de prendre une décision aujourd’hui.» Ecrasés lors de leur dernière sortie en amical 5-1 par le Portugal, les Lions indomptables ont sans aucun doute besoin de ce jeune défenseur, excellent dans l’anticipation et doté d’une très belle qualité de relance grâce à un pied gauche particulièrement précis. Dans l’axe, si la titularisation de la paire Nicolas Nkoulou (Marseille) – Aurélien Chedjou (Galatasaray) est presqu’indiscutable, le Lyonnais n’a en revanche rien à envier à leurs remplaçants, Jean Armel Kana-Biyik (Rennes) et Dany Nounkeu (Besiktas).
Après avoir pris l’habitude de récupérer facilement ses joueurs binationaux (Franck Songo’o, Gaétan Bong, Sébastien Bassong, Jean Armel Kana Biyik, Eric Maxim Choupo-Moting, Charles Itandje, William Overtoom.), le Cameroun fait désormais face à la difficulté de conquérir les enfants issus de sa communauté immigrée en Europe. Ces derniers prennent, de plus en plus, des chemins déjà empruntés par les Samuel Lobé, Bruno Ngotty, Pascal Nouma et Jean Alain Boumsong. Outre le cas Umtiti, le Cameroun n’a toujours pas avancé sur le dossier des autres binationaux : Paul-Georges Ntep (Rennes), Axel Ngando (Auxerre) et Jean-Christophe Bahebeck (Valenciennes), qui avaient été ciblés par le Comité de normalisation de la Fecafoot, sans l’accord de Volke Finke. Du coup, les démarches du sélectionneur camerounais ont été très timides, pour le dire le moins.
A un peu plus d’un mois du coup d’envoi de la phase finale de la Coupe du monde 2014 au Brésil, les joueurs sollicités par les autorités sportives camerounaises, n’ont toujours pas rejoint la tanière des Lions indomptables. Qu’est ce qui bloque l’arrivée de ces internationaux Espoirs français qui auraient accepté de changer de nationalité sportive au profit de l’équipe A du Cameroun?
Le doute pour la sélection
La première raison semble sportive. Trois des quatre joueurs sollicités par le Cameroun (Umtiti, Ngando et Bayebeck) sont champions du monde junior avec la France et disputent en ce moment les éliminatoires du prochain championnat d’Europe des Espoirs. Une compétition qualificative pour les JO de Rio en 2016.
La deuxième raison est liée aux défaillances administratives du Cameroun. Le Cameroun est certes qualifié pour le Mondial brésilien, mais les nouvelles sur le football camerounais sont généralement classées dans la rubrique fait divers, de nature à dissuader les binationaux. Des 32 pays qualifiés pour le prochain Mondial, la sélection camerounaise est la seule à ne pas posséder son propre terrain d’entraînement. Pis, pour n’avoir pas organisé de championnat de football jeune pendant deux ans, 2011-2013, le Cameroun est réduit aujourd’hui à courir auprès des joueurs de niveau moyen, comme Jean Christophe Bayebeck, auteur de deux buts en 19 matches cette saison avec Valenciennes.
Les deux missions conduites en France par un « nanbudoka » au service du foot, David N’Hanack Tonyé, avait laissé penser que tout était presqu’acquis. « Tous ont donné leur accord de principe. Les documents administratifs sont apprêtés. Nous les avons relancés il y a quelques jours pour avoir « le oui » qui devrait nous permettre de conclure la procédure. Ils nous ont encore demandé de patienter, parce qu’ils n’ont pas fini de réfléchir. Nous en sommes là, on attend » explique-t-il.
La question du changement d’équipe nationale n’est pas nouvelle et date du congrès de la Fifa à Doha au Qatar en 2003. « Si un joueur possède plusieurs nationalités, en reçoit une nouvelle ou est autorisé à jouer pour plusieurs équipes représentatives en raison de sa nationalité, il peut, jusqu’à 21 ans révolus et une seule fois, obtenir le droit de jouer en match international pour une autre association dont il a la nationalité », stipule l’extrait de Règlement d’application des Statuts de la Fifa, chapitre VII, article 18. Depuis 2009, la procédure de changement de nationalité sportive a été allégée par l’instance faitière du football mondial, c’est désormais sans limitation d’âge qu’un joueur possédant une double nationalité établie peut choisir de changer de maillot tant qu’il n’a pas encore joué avec une équipe A. C’est ainsi que le Cameroun a par exemple récupéré Charles Itandjé en 2011, alors qu’il avait déjà 29 ans à l’époque.
Pour Michel Kaham, membre du Comité de normalisation de la Fecafoot, il faut tourner cette page : « Je ne sais pas si la procédure adoptée a été la meilleure ou non, mais toujours est-il qu’on n’a pas pu les convaincre. C’est une grosse déception. Sincèrement, il y en a deux ou trois dedans qui auraient pu nous aider. Mais, il ne faut pas se distraire au dernier moment. S’il fallait à tout prix les avoir, c’était avant le match amical du 5 mars dernier conte le Portugal. Il fallait que ces binationaux assistent à ce match amical. Maintenant, c’est trop tard pour qu’ils viennent. Parce que, s’ils débarquent aujourd’hui, il faudra qu’ils s’intègrent au groupe. Le groupe commence à se réformer, toutes choses qui peuvent perturber la préparation de notre équipe. Actuellement, il faut plutôt chercher à renforcer dans les secteurs qui nous semblent défaillants avec des nationaux qui ont la volonté de sa battre. Pour jouer dans une équipe nationale, il faut avoir une âme, une volonté et l’envie de réussir. Il y a une question de patriotisme à un moment donnée. A mon avis, ce dossier des binationaux est à mettre entre parenthèse parce qu’il est trop tard pour les ajuster. Les intégrer à un mois du mondial, serait suicidaire pour l’ensemble du groupe».
Toutefois, des binationaux ont déjà eu à rejoindre et à s’intégrer parfaitement au sein de l’équipe nationale à la veille d’une compétition. En rappel, lors d’un ultime stage en Autriche, en mai 2010, en vue du Mondial Sud-africain, Choupo-Moting et Gaétan Bong avaient rejoint la tanière des Lions, sans problème majeur.