Le journaliste Charles Onana, spécialiste des Grands Lacs, auteur prolifique sur le génocide Rwandais, ouvre le débat
Votre séjour au Cameroun, votre pays d’origine est-il privé ou professionnel?
C’est davantage un séjour professionnel qu’un séjour privé, parce que j’ai été invité à parler des événements du Rwanda et du Congo. Pour cette raison, j’ai passé quelques jours au Cameroun.
Votre dernier livre sur le Rwanda dit des vérités qui dérangent. En êtes-vous conscient?
J’en suis conscient. Parce qu’il y a eu une thèse officielle qui a été soutenue par l’ensemble des médias internationaux. Cette thèse disait que les Hutus avaient planifié le génocide contre leurs compatriotes Tutsis. Et que finalement ce génocide était l’un des plus grands du 20ème siècle, etc. Mes recherches m’ont amené à constater que tout ça était erroné; et qu’on a assassiné deux chefs d’Etats (du Rwanda et du Burundi) pour des raisons politiques, parce qu’on voulait mettre des extrémistes Tutsis au pouvoir à Kigali. Ça, c’est la réalité. Et comme cette réalité est énorme et difficile à avaler, on a inventé cette histoire de génocide planifié. Curieusement, le Tribunal Pénal International d’Arusha n’a pas pu condamner quelqu’un pour avoir planifié le génocide au Rwanda, ce qui est étrange.
Comment les Rwandais accueillent-ils votre livre?
Depuis 2002, quand mon premier livre sur le Rwanda est sorti, et que le Président Kagame a porté plainte contre moi à Paris, j’ai été très fortement soutenu par la communauté rwandaise qui venait de Belgique, d’Allemagne, d’Angleterre, etc. Il y a eu près de 500 personnes au tribunal, à la 17ème Chambre, c’était énorme. Je pense qu’on a criminalisé la communauté Hutu globalement. Hommes, femmes, enfants et vieillards étaient tous considérés (et le sont toujours aujourd’hui) comme génocidaires. Même les gens qui n’étaient pas au Rwanda sont des génocidaires, simplement parce qu’ils sont Hutus. Je trouve cela totalement injuste. Je trouvais aussi que ce n’est pas une façon raisonnable de résoudre les problèmes. Résoudre un problème politique en créant la violence et en culpabilisant un groupe de population est contraire à la Déclaration des Droits de l’Homme. Je pense qu’il fallait que quelqu’un brise ce tabou, qu’il aille à contre-courant des thèses officielles; parce que les enjeux sur le Rwanda dépassent franchement la communauté Hutu et la communauté Tutsi.
Vous qui côtoyez quotidiennement la communauté rwandaise à Paris, Bruxelles, Londres ou Yaoundé, est-ce que ce sont des gens finalement normaux ou alors continuent-ils à vivre et à endurer les événements de 1994 au Rwanda?
Ce sont des gens normaux, mais qui ont quand même beaucoup de traumatismes. Il y a eu le traumatisme des faits qui se sont produits en 1994. Mais il y a aussi le traumatisme politique. Heureusement que certains pays comme le Cameroun les a bien accueilli; le Cameroun n’a pas beaucoup marché dans la combine qui consiste à culpabiliser les Hutus. En ce sens-là, le Cameroun est pour eux un havre de paix et tant mieux. Dans d’autres pays par contre, le cas de la France, les Hutus sont constamment suspectés partout où ils peuvent travailler. Il n’arrive pas de mois ou d’année qu’on ne voit des organismes pro-Kagame faire pression sur les employeurs en disant que telle personne a commis un génocide au Rwanda ou telle autre personne serait sur la liste des personnes recherchées ou poursuivies par le Tribunal Pénal International. Toutes ces manipulations-là sont faites pour déstabiliser une communauté du fait de son origine ethnique et du fait de la campagne et de la propagande internationale organisée sur leur dos. Ils vivent non seulement le traumatisme de la guerre et des événements tragiques de leur pays, mais aussi le traumatisme de l’instabilité économico-sociale partout où ils sont. En gros, si le Cameroun est une terre d’asile favorable pour cette communauté, tant mieux pour eux.
Au Cameroun, les rwandais sont réputés dynamiques, notamment dans le domaine du business. Avez-vous pris le temps de discuter avec eux?
En France, j’ai plein de Rwandais qui disent venir du Cameroun, où ils ont encore de la famille. C’est dire si beaucoup d’entre- eux se plaisent totalement dans ce pays. Qu’est-ce qu’un être humain peut avoir de mieux que de vivre dignement et décemment avec sa famille à l’endroit où il est établi ou accueilli. Si le Cameroun a été accueillant et compréhensif pour les Rwandais, c’est bien pour l’honneur du Cameroun.
Le HCR et l’Etat rwandais démarrent bientôt un projet de retour volontaire des réfugiés dans leur pays natal. Quel est votre avis?
Le haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés n’ignore pas la situation actuelle des Rwandais dans leur pays. Le Président Kagame, à la tête du régime de Kigali, vient de gagner l’élection présidentielle à la brejnévienne, avec un score de 94% des suffrages. Monsieur Kagame est le seul de nos jours en Afrique à remporter les élections avec un tel score. A l’observation, les opposants rwandais vivent un calvaire terrible. Il y en a qui sont aux arrêts. Des candidats à la dernière présidentielle sont assignés en résidence surveillée. Des officiers sont menacés d’assassinat en Afrique du Sud. Des membres de l’armée patriotique rwandaise et des officiers de renseignement fuient le pays parce qu’ils sont en danger. Les assassinats politiques sont le lot quotidien au Rwanda, etc. Je pense que ce climat-là ne permet pas au HCR d’envisager sereinement le rapatriement des Hutus.
Un communiqué conjoint Etat du Rwanda- HCR scelle l’entente entre les deux parties au sujet du rapatriement des réfugiés. Et tous les réfugiés rwandais à travers le monde sont concernés!
Je crois aussi que Kagame n’est pas crédible quant aux garanties d’assurer la sécurité et la protection de ses compatriotes. Le contexte actuel est suffisamment explicite. Il me semble que les organisations comme Amnesty International (et bien d’autres qui ne sont pas visiblement pro Hutu) ont exprimé régulièrement des inquiétudes sur le régime de Kagame. Je ne peux pas comprendre que dans un tel contexte, on fasse confiance au pseudo garanties que donnerait KAGAME pour un retour des réfugiés dans leur pays.
En s’appuyant sur votre bonne connaissance du sujet Rwanda, l’opération de retour volontaire des réfugiés rwandais dans leur pays natal serait-elle vouée à l’échec?
Il y a deux aspects. Il y a d’abord le fait que Monsieur Kagame est aujourd’hui décrié par les Tutsis de l’intérieur (c’est-à-dire les gens de son propre camp). Il a donc probablement besoin des Hutus pour donner l’impression que la fuite de ses alliés naturels n’empêche pas le retour des autres. Mais, il avait déjà fait ça avant, en disant que si les Hutus (génocidaires) s’en vont, les Tutsis sont là. Ce jeu de ping-pong avec les uns et les autres, à mon avis, est un jeu qui ne correspond pas à ce qu’on attend d’un président de la République, c’est-à-dire protéger l’ensemble de ses concitoyens au-delà des considérations religieuses, ethniques, économiques ou politiques. Cette façon de procéder avec le HCR vise simplement à faire une autre opération de communication sur son régime.
Vos positions et thèses peuvent amener les pros Kagame à dire que vous roulez pour le puissant lobby Hutu rwandais disséminé à travers le monde!
Le lobby Hutu est tellement faible. Etre soutenu par le lobby Hutu ne représente rien par rapport à ceux qui sont soutenus par le lobby américain ou britannique. Je suis le pauvre petit porte-parole des pauvres parmi les pauvres. Si j’étais intelligent, j’aurais préféré être certainement porte-parole du lobby américano-britannique. Ça rapporte plus. C’est plus intéressent!
Quel avenir pour les Rwandais (Hutus et Tutsis) disséminés dans le monde entier après les événements de 1994?
L’avenir est celui de tous les peuples du monde entier. C’est de vivre en paix et décemment chez eux. Tant que la Communauté internationale va continuer à s’aveugler sur le mensonge sur le génocide du Rwanda et cette manipulation terrible et effroyable autour de Kagame, ils ne vont pas créer les conditions favorables d’un retour serein des Rwandais dans leur pays. Je crois que le travail du Tribunal Pénal International ne va pas non plus dans le même sens. Il va donc falloir faire une révolution – pas une évolution- dans les mentalités de la communauté internationale, pour identifier les Hutus (et tous les autres rwandais, les Tutsis qui ne sont pas d’accord avec Kagame) comme des êtres humains normaux. Oui, on doit cesser de les considérer comme des êtres anormaux et que seul Kagame est quelqu’un de normal, de fiable et de crédible.