Une problématique au-delà des figures de DSK et de Christine Lagarde
Notre analyse du rôle du FMI et de la Banque Mondiale (BM) dans le devenir des peuples africains devrait aller au-delà des figures de DSK et de Christine Lagarde, même si le fait de remplacer un économiste néokeynésien et homme politique de gauche par une avocate d’affaires de droite n’est pas anodin dans le sens que peuvent prendre les interventions du FMI. Le Sud en général, l’Afrique en particulier, et notamment l’Afrique Noire ont pâti des politiques du FMI et de la BM. Leur présence fut si généralisée qu’un jeune Africain des années 1980 pouvait par moment penser que le FMI et la BM avaient été mis en place exclusivement pour la seule Afrique, tellement les mots ajustement, déflation, inflation, déficit, dévaluation, libéralisation, équilibre macroéconomique et privatisation étaient prégnants dans nos médias et discours officiels. En effet, l’Afrique et d’autres pays du Sud ont fait face et continuent de faire face à un dogmatisme libéral dans la conception du processus de développement. Il en a résulté plusieurs conséquences:
Le développement, c’est-à-dire la recherche d’un bien-être social et sociétal cumulatif, a connu une constriction libérale le réduisant aux agrégats macroéconomiques et à la recherche balistique des équilibres paramétriques dans la réalisation d’un processus où le déséquilibre est la règle; La démocratie, forme de société que les peuples doivent sanctionner de façon autonome en longue période, est devenue une variable fonctionnelle par rapport au marché dont elle doit lubrifier les articulations; Une violence symbolique a irradié tous les esprits principalement par le caractère antidémocratique de l’ajustement structurel, et le discours de Thatcher et de Reagan répétant à qui mieux-mieux: There is no alternative; L’oubli volontaire des dimensions sociales, culturelles et historiques du processus de développement; L’Ajustement structurel, simple instrument de politique économique, est devenu une politique de développement toute entière: comme quoi, un instrument de dépannage d’une voiture en panne est carrément devenu toute la voiture elle-même; Des désastres sociaux que n’endiguèrent pas ce qu’on appela, dans un sursaut de rattrapage, la dimension sociale de l’ajustement structurel; Une remise à l’ordre du jour d’une Afrique des comptoirs par instauration d’une dictature du capital financier international sur les sociétés africaines.
Au moment où, obligé de démissionner de son poste, DSK va sûrement être remplacé par Christine Lagarde ministre français de l’économie et des finances, le débat sur qui de DSK ou de Lagarde aurait été mieux pour le développement de l’Afrique semble à côté de la plaque s’il laisse en friche l’interrogation fondamentale du rôle du FMI et de la BM pour les régions en développement. Il semble plus instructif de porter notre regard sur les circonstances historiques, les logiques politiques et les idéologies qui rythment les interventions du FMI et de la BM dans le champ du développement. L’Union Africaine, en pareille occasion, devrait présenter, non seulement un candidat africain et faire un rapport critique de la coopération entre les pays africains et les institutions financières internationales, mais aussi, avancer des propositions de réformes. Le tout n’est pas de savoir si le directeur du FMI est de gauche ou de droite, néokeynésien ou néoclassique mais de questionner ce à quoi servent le FMI et la BM dans ce qui constitue la préoccupation majeure de l’Afrique, c’est-à-dire son développement. Adopter une telle stratégie consiste moins à attendre la victoire d’un candidat africain qu’à donner son avis et son positionnement par rapport aux politiques du FMI et de la BM. Ce n’est pas en se taisant ni en soutenant Madame Lagarde que l’Afrique peut montrer qu’elle est pour que les choses changent dans l’avenir. Elle aurait dû commencer à construire sa route actuellement en présentant un candidat à travers lequel elle dit ce qu’elle pense et espère du FMI et de la BM.
Des conditions historiques non favorables à l’Afrique et à ses problèmes de développement actuels
Le FMI et la BM sont deux institutions dont les causes de la naissance prouvent que la crise économique, la violence et le conflit mènent parfois les hommes à être plus sages dans les périodes qui suivent. En effet, constatant que la Seconde Guerre Mondiale fut le produit de la grande dépression des années trente et des désordres économiques, monétaires et financiers qui entraînèrent un raidissement nationaliste et protectionniste en Occident, les vainqueurs se décidèrent à mettre en place un nouvel ordre économique, financier et monétaire mondial : le FMI et la BM furent ainsi chargés d’en être les soubassements institutionnels. Le FMI fut chargé de veiller sur l’organisation financière et monétaire et d’apporter son soutien aux Etats faisant face à des difficultés macroéconomiques notamment budgétaires. La BM de permettre aux Etats en développement de pouvoir financer, à des coûts non rédhibitoires, des projets de développement que la finance de marché décline à cause des délais de remboursement trop longs et des risques-pays parfois trop élevés.
Etant donné que l’Afrique était encore majoritairement un ensemble de colonies sans aucun pouvoir de négociation en ces temps-là, il va sans dire que le FMI et la BM, tels qu’ils existent aujourd’hui, ne peuvent avoir intégré les paramètres pouvant concourir au développement du Continent Noir. Les plans de l’Américain Harry Dexter White et du Britannique John Maynard Keynes qui s’affrontèrent en juillet 1944 furent certes légèrement différents, mais voulurent tous les deux, non seulement résoudre des problèmes purement occidentaux, mais aussi permettre à leurs pays respectifs (USA et Angleterre) de sortir plus forts du deuxième conflit mondial qu’ils n’y étaient entrés. Si on tient en plus compte du fait que le phénomène de sous-développement naît dans la période 1931-1936 où la crise de 1929 augmente la ponction des colonies et la faillite des multiples kystes de modernité qu’y avaient installés les puissances coloniales, alors l’Afrique, jadis autonome dans plusieurs secteurs, est devenue sous-développée à cause à la fois des déstructurations coloniales et des effets pervers de la crise économique de 1929.

Ce bref rappel historique montre que ce qu’on entend généralement par développement était déjà parti sur de très mauvaises bases en ce qui concerne l’Afrique au centre du projet des autres. Par ailleurs, l’esprit interventionniste et de relance des pays en difficulté par des soutiens financiers peu coûteux que voulut John Maynard Keynes en 1944, a complètement été phagocyté par le dogmatisme libéral et les besoins hégémoniques des USA et d’autres grandes puissances. Le BANCOR, monnaie non convertible en or que Keynes proposa de créer pour servir d’étalon international fut aussi refusée et évincée au profit du Dollar américain à l’époque aussi bon que l’or sur la base d’un taux de change fixe de 35$ l’once d’or fin. C’était un des socles du système de Bretton Woods. Il vola en éclat en 1973 avec l’abandon des changes fixes lui-même précédé par celui de la convertibilité-or du $ en 1971. En conséquence, l’Union Africaine doit poser au moins trois problèmes lorsqu’elle aborde la question du rôle du FMI et de la BM dans le développement de l’Afrique:
Le FMI et la BM mis en place pour résoudre les problèmes de désordres économiques et monétaires dans un système international d’Etats où l’Afrique était encore partie intégrante de l’Empire colonial français et de l’Empire colonial britannique, ne peuvent avoir intégré les problèmes structurels, fonctionnels et de dépendance multiforme qui plombent les économies africaines au 21ème siècle; Le FMI et la BM souffrent donc aujourd’hui d’une incohérence temporelle traduisant le fait que les mesures et les modes de gouvernance décidé en 1945 sont à la fois obsolètes et inadaptés par rapport à l’Afrique et aux réalités inter et intra-africaines du 21ème siècle; Le rôle historiquement confié à la BM d’éviter que les conditions de marché ne bloquent les projets de développement des pays en développement, est devenu celui de mener ces Etats en développement vers une gouvernance de marché. Est-elle, au regard de son bilan, une institution de promotion du marché ou de soutien au développement?
L’antidémocratisme du FMI, de la BM et de l’Occident en matière de développement
Le FMI et la BM sont si déterminants dans le sort des peuples et leur avenir que l’Afrique et le monde ne peuvent s’offrir le luxe d’en faire des institutions exemptées d’exigences démocratiques. Faire du FMI et de la BM des structures exonérées d’exigences démocratiques contribue à affaiblir le message démocratique que l’Occident veut faire passer à travers les conditionnalités de l’ajustement structurels et d’accès à l’aide publique au développement. En effet, non seulement les USA ont privatisé la direction de la BM et l’Europe celle du FMI par un arrangement tacite et de connivences historiques consacrant leur pouvoir hégémonique sur le Sud, mais aussi, la démocratie comme conditionnalité des ajustements structurels devrait être une réalité fonctionnelle du FMI et de la BM si l’on veut que les orientations politiques de ces institutions soient favorables au respect et au développement des peuples. Pour le moment, on constate la promotion d’une démocratie de marché en Afrique et au sein du FMI et de la BM car ce sont ceux qui ont le plus grand nombre de bulletins monétaires qui dominent à la fois en Afrique, au FMI et à la BM. Le principe un homme une voix ou un pays une voix est donc encore à milles lieues de ce qui se fait actuellement. D’où la fatuité utopique et arrogante des institutions financières internationales (IFI) dans l’élaboration des voies et moyens d’amélioration des arts de vie des peuples extra-occidentaux.
Une autre injustice contemporaine est en train de se démontrer à travers les tractations sous-tendant les candidatures française, israélienne et mexicaine à la direction du FMI. De nombreux pays occidentaux étant sous ajustements structurels après la crise de subprimes (Islande, Irlande, Portugal, Espagne, Grèce.) l’Europe défend la candidature de Christine Lagarde en évoquant le fait qu’elle doit avoir quelqu’un qui puisse défendre ses intérêts au FMI où se joue une grande partie du sort des pays soumis à des plans drastiques de relance économique. Si cela est de bonne guerre, nous pouvons faire la remarque que l’Afrique subsaharienne dont les budgets et les politiques monétaires sont déterminés depuis plus de trente ans au sein du FMI et de la BM, aurait dû, dans ce cas, être à la direction du FMI et de la BM. Ce ne fut pas le cas parce que les Occidentaux dirent qu’elle devenait juge et partie. L’Europe ne sera-t-elle pas juge et partie avec madame Lagarde à la tête d’un FMI qui gère les dettes publiques des Etats européens? L’Occident n’est-il pas juge et partie si c’est lui qui recherche les moyens de sortie de la crise des subprimes qu’il a causée et que subit l’Afrique ? La gouvernance du FMI et de la BM peut-elle rester la même alors que le centre de gravité de l’économie va de l’Occident vers les pays émergents et que la problématique du développement des pays du Sud se complexifie avec la mondialisation?

Pour une gouvernance rotative du FMI et de la BM entre tous les continents
Sortir de la dépendance des politiques africaines de développement par rapport aux ressources occidentales et au dogmatisme libéral des institutions financières internationales, nécessite des innovations institutionnelles et structurelles en Afrique, au Sud et au sein du FMI et de la BM. Ceci ne veut pas dire qu’il faille fermer la porte aux investissements directs étrangers démontrés comme les plus à même de changer les structures économiques africaines. L’objectif des innovations dont nous parlons devrait être la création d’institutions panafricaines et tiers-mondistes capables de permettre à l’Afrique d’appliquer des politiques de développement plus autonomes, mieux calibrées et moins idéologiques.
Au niveau du Sud, les initiatives de reconstruction de la solidarité tiers-mondiste entre la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud sont à encourager autant que la résurrection du groupe des pays non-alignés par Hugo Chavez. Ce dernier a également joué un rôle central dans la création de la Banque du Sud devant permettre aux pays du Sud de financer eux-mêmes leurs projets de développement. En Afrique, le Fonds monétaire africain a vu le jour et doit continuer à se consolider. D’où l’occasion de rappeler que l’Union Africaine n’est pas une option politique dans la stratégie de développement de l’Afrique, mais plutôt une obligation politique si ce continent veut peser d’un quelconque poids dans les négociations autour des grands enjeux dont dépend son avenir.
Cependant, malgré ces initiatives, le FMI et la BM sont encore assez présents dans les politiques de développement des Etats africains. Les PPTE, les DSRP (documents stratégiques de réduction de la pauvreté) et les objectifs de développement du millénaire en témoignent en 2011. D’où l’importance de proposer des réformes malgré le fait que plusieurs africains y soient fonctionnaires. Ce sont de hauts fonctionnaires qui ne peuvent être utiles au continent que si la gestion des institutions financières internationales devient démocratique. En conséquence, à la privatisation et aux désignations discrétionnaires actuelles du Président du FMI et de la BM par l’Europe et les USA, l’Afrique doit militer pour l’instauration d’une direction rotative du FMI et de la BM entre tous les continents qui en sont membres. Ce qui revient à rendre justice à tous les continents qui, dans un système de gouvernance rotative, seront certains de pouvoir diriger le FMI et la BM autant que ceux dits développés. Le problème qui se pose est que ce sont les pays occidentaux qui renflouent le FMI et la BM (quote-part) et avancent l’argument selon lequel c’est celui qui paie qui dirige aussi. Argument qui n’est pas complètement juste puisque les ressources du FMI provenaient majoritairement des pays du Sud par le biais du paiement du service de la dette depuis les années 1980. Cela est d’autant plus vrai que le remboursement intégral de la dette argentine, nigériane, sud africaine ont failli provoquer la faillite du Fonds ces derniers temps. Le FMI qui s’apprêtait à licencier à été sauvé par les Occidentaux qui y ont remis des ressources en termes de DTS (droits de tirages spéciaux).
Donc, même si DSK, en tant que néokeynésien et homme politique de gauche avait un discours plus favorable aux pays émergents et au développement durable que ne l’aurait certainement Madame Lagarde non économiste, avocate d’affaires et femme politique de droite, il est important de signaler que ce sont les objectifs politico-idéologiques et le fonctionnement antidémocratique du FMI et de la BM qui doivent être largement revus afin qu’ils puissent être utiles au développement de l’Afrique et d’autres peuples du Sud. D’où la nécessité d’appliquer, non seulement le principe un pays une voix, mais aussi une représentation paritaire de tous les continents au Conseil d’Administration, organe central de ces institutions. L’Afrique doit sortir des situations où la RDC fut récemment obligée, dans une guerre géopolitique qu’Occidentaux et Chinois se livrent en Afrique, de renoncer au bénéfice de l’annulation d’une partie de sa dette par les IFI parce qu’elle a conclu des accords commerciaux avec la Chine.
Même si ce choix cornélien imposé à la RDC correspond moins à une rationalité économique qu’à un marchandage de l’annulation de sa dette pour réinstaller les Occidentaux en lieu et place des Chinois en RDC, nous devons néanmoins signaler que le FMI et la BM ont aussi dans leur statut l’objectif de promotion du libre-échange des capitaux, des biens et services. En conséquence, les pays qui ne veulent pas recevoir de l’aspirine comme traitement alors qu’ils sont économiquement exsangues, devraient être mieux gérés par ceux qui les dirigent, étant donné que le FMI et la BM ne viennent pas si un pays ne fait lui-même appel à eux constatant sa propre faillite: autant les Etats africains ne furent pas des exemples de bonne gestion avant les années 1980, autant la Grèce, pour ne parler que d’elle en Occident, fut une véritable pétaudière avant la crise des crédits hypothécaires.

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