Ses mélodies, ses tenues, ses instruments révèlent à l’état pur l’une des richesses culturelles camerounaises. Mais ce groupe musical semble être en perdition…
Producteurs absents
Le concert donné au Ccf le 11 septembre dernier, signait le come-back du groupe, disparu de la scène depuis la sortie de leur dernier album Hommage à Jean Takam en 2005. Un album que le public n’a pas suffisamment apprécié, faute de promotion. Takam II qui est en train de préparer son quatrième opus a jugé opportun de donner ce spectacle qui lui a également permis de présenter son single dédié aux victimes des attentats du 11 septembre. L’objectif le plus recherché par les artistes était de toucher les mécènes, parce que les Takam II sont à la recherche d’un producteur. Ils n’en ont d’ailleurs jamais eu depuis la sortie de leur premier album en février 1992. L’histoire se tisse un peu plus tôt, en 1985, lorsque les deux cousins, Jean et Michel décident de composer des chansons en Nguemba, langue maternelle de leur Bamendjou d’origine. Les deux jeunots, en plus de porter le même nom Takam que leur grand-père, ont les gènes d’une famille d’artistes. Spécialement le grand-père qui hormis ses talents de tailleur de dents, dirigeait les groupes de danses traditionnelles. En plus chacun dans la famille sait jouer à un instrument, précise Michel. Ce dernier est celui qui forge le groupe. Il trouve le patronyme Takam II et insiste sur l’orientation traditionnelle des mélodies. C’est également lui qui finance en grande partie les productions. Jean, l’aîné, est le leader, le musicien du groupe. Après quelques spectacles donnés ça et là, le duo décide de composer un album de six titres qu’il enregistre en 1989 à la maison de la radio à Yaoundé. Ils sont rabroués par un certain Isidore Tamo à qui la maquette est présentée pour production. Les artistes font face à leur premier obstacle: Leur musique semble incomprise. A l’époque, le makossa et le bukutsi sont les titres les plus en vue. Même aujourd’hui quand j’aborde certains producteurs, ils nous demandent d’ajouter dans nos chansons du coupé-décalé par exemple. Ils oublient qu’on fait de la musique recherchée, ça veut dire que même après des années, notre musique s’écoute sans problème, souligne Michel. Animé par un amour incommensurable pour la musique, l’actuel leader s’endette pour assurer la production de leur premier album. Il ira en France procéder aux arrangements. En février 92, 8000 exemplaires de Kouang sont sur le marché. Malheureusement en fin 92 le marché Mokolo avait pris feu et les 7000 casettes déposées là pour la vente, ont toutes été brûlées, se souvient-il. Le malheureux incident survient alors que le groupe est en tournée dans les principales villes du pays pour faire connaître l’album. La tournée est un fiasco. Nous avons commis l’erreur de jouer dans les maisons du parti (Rdpc). On était en plein multipartisme. Une partie du public a boudé les concerts parce que les gens se disaient qu’on est des partisans du Rdpc, raconte ce père de cinq enfants. Et voilà plus de 4 millions investis qui s’évaporent. Le groupe est au bout du rouleau. Michel est endetté jusqu’au cou et se trouve dans l’obligation de céder ses terrains. Un de ses créanciers porte plainte et il passe deux mois et demi en prison. Il connaît une autre arrestation alors qu’ils sont sur scène pour un spectacle à Bafoussam. Tout ceci est la conséquence des dettes que j’ai pris partout pour sauver notre musique, déplore-t-il.
Séparation
Mésaventures qui ne découragent pas les chanteurs puisqu’ils parviennent à mettre sur le marché Gne che gne dont le titre emblématique Min je gne fait un tôlé. Deux ans plus tard, l’un des frères d’armes, Jean, quitte la scène. Et nous étions sur le point de signer un contrat avec Rfi pour une série de spectacles. C’est le chargé culturel du Ccf de l’époque qui nous a prêtés 4,5 millions pour sortir cet album. Nous avions déjà remboursé une partie, le reste je me suis battu parce que le concerné m’a bien signifié que même si mon frère est mort, moi je suis là et je dois rembourser la dette, évoque-t-il mélancoliquement. Très affaibli et éprouvé, Michel décida même de ne plus faire de la musique. Surtout qu’entre temps, le groupe n’a vraiment pas eu de rendement. Nous n’avons pas beaucoup de chance dans la scène musicale, on nous dit toujours que les Bamilékés ont beaucoup d’argent. Or les gens oublient que ce sont les commerçants qui ont l’argent et ils ne comprennent pas grand-chose à la musique. Donc, malgré tout ce qu’on fait pour valoriser notre culture, on est toujours lésé, raconte le promoteur du célèbre pas de danse Medouzan qui constitue l’une des curiosités de ce groupe mythique. Lequel immortalise aussi le Dop, leur tenue de scène, mais aussi le Metamploba, ces sandales aux coupures uniques. Mais non! Ces multiples reflets de la culture camerounaise ajoutés à ce talent établi, n’ont toujours pas fait prendre conscience aux promoteurs et opérateurs camerounais, encore moins à l’Etat. Excepté le mémorable souvenir que Michel garde de leur spectacle avec Myriam Makeba au palais de Congrès, ce n’est que déception. Nous sommes allés jouer aux Etats-Unis lors du mondial, jusqu’aujourd’hui on n’a pas eu notre cachet, la même chose avec le Fenac de Maroua où mon orchestre et moi dormions sur le sol. Ce genre d’abus on en a connu des milliers de fois. Avant, le prétexte qu’on trouvait c’est que les spectacles permettaientt de nous faire connaître. Aujourd’hui on sait ce qu’on vaut et ce que nous sommes capables de faire, mais nous évoluons dans un environnement où les gens sont hostiles à la culture, fait-il remarquer.

Takam III?
Deux mois après la mort de son frère, Michel est reboosté par l’ancien ministre de la jeunesse et des sports Bidoung Mpkat. Il convie le groupe à jouer lors d’une soirée organisée pour le Conseil supérieur du sport en Afrique. En même temps, je voyais Jean dans les rêves qui m’encourageaient à continuer avec la musique. Quand je suis sur scène, je ressens sa présence. Ensuite il y a eu le Fenac de décembre 2002 qui se tenait à Bafoussam, confie Michel Takam. Reconstituer le groupe n’a pas été chose facile. J’ai d’abord dû me séparer de certains membres de l’orchestre pour cause d’indiscipline, certains fumaient du chanvre. Il m’était difficile de m’adapter avec d’autres musiciens, relève le chanteur. Mais depuis quelques temps, Tonton et Serge accompagnent le musicien sur scène. Les deux jeunes hommes sont à l’école de leur aîné, qu’ils admirent, et qui veut leur transmettre cette passion, cette fouge qui a toujours animé le groupe. Et je peux dire sans réserve qu’ils font partie du Takam II. Ils apportent beaucoup au groupe, affirme le leader. Plus que jamais déterminé à poursuivre l’ uvre entamée avec son cousin, Michel Takam dit arrêter la musique que lorsqu’il mourra. Soutenu par l’espoir qu’ un jour viendra au Cameroun où l’artiste vivra de son art.
