Ce texte a été rédigé par Stéphane Tchakam, directeur de la rédaction du quotidien Le jour, décédé le 13 août 2012. C’était en juillet 2011 à Douala
C’est sans doute parce que j’aimais la musique et la danse (africaines notamment) et que j’étais sensible aux arts et au spectacle, que, naturellement et très tôt, je me suis mis à couvrir quelques évènements culturels. Dès l’école de journalisme notamment, je couvrais des spectacles dont je rendais compte dans le journal mural de l’Esstic (Asmac Infos). Yves Atanga aussi. Nous étions de la même cuvée et partagions ce centre d’intérêt. D’ailleurs, lui, à la fin de notre formation de trois ans, produira un étincelant magazine culturel en guise de réalisation professionnelle. Je me souviens même que notre intérêt pour la musique et les arts était tel que les organisateurs du premier Festi-Bikutsi nous avaient accrédités, nous, des élèves journalistes, travaillant pour un journal mural. C’est dire. Le premier papier que je signe dans Mutations, alors que je suis toujours à l’école et qui me fait remarquer par Haman Mana, est un compte rendu de l’unique spectacle que Cesaria Evora ait jamais donné au Cameroun. Une fois sorti de l’école, je vais à Mutations où je m’occupe plutôt de politique, d’autres choses mais pas vraiment de culture. Je ne suis pas affecté à ce service. Mais l’élan est très fort et, à l’occasion, je couvre des évènements culturels, de spectacles de musique surtout. Et je vais à Cameroon tribune. Là encore, même si je suis attaché au service société et culture, on m’utilise d’abord pour d’autres choses. D’ailleurs, un temps, le directeur général de l’époque, Jérôme Mvondo, lui, me croit plutôt politique. Ca m’effraye un peu et j’y échappe. Je suis davantage un dilettante du bureau Culture. Lorsque deux ans après mon arrivée à Cameroon tribune, je suis muté à Douala, je me dis que le moment est venu pour faire ce que je sens et aime de plus en plus. Une fois encore, mon boulot ne va pas consister à rendre expressément compte de l’actualité culturelle. Mais je me détache de mes obligations formelles, pour investir les arènes culturelles de la ville de Douala dont je découvre qu’elle est un champ infini. Je vais à la rencontre des acteurs culturels (Ccf, Doual’art). Je m’y présente et manifeste le désir de travailler avec eux en insistant notamment pour être informé de tout ce qui s’y prépare et s’y passe. Je me souviens qu’à l’époque, Maryline Douala Bell n’en croyait pas ses yeux et ses oreilles. Un journaliste qui vient se présenter comme ça et veut travailler avec nous ?
Et je commence à couvrir l’actualité culturelle à Douala. Concerts, expositions, représentations, notes de lecture ou d’écoute…Et j’insiste, pour le dire, avec en tout et pour tout, mon background de journaliste généraliste, ma sensibilité et ma passion. Une façon de dire que je n’avais, à mon sens, rien du tout pour faire office de journaliste culturel. D’ailleurs, j’ai toujours eu du mal à revendiquer cette étiquette parce que conscient de ce que je ne me suis jamais entièrement consacré à cela. C’est mon temps libre qui y servait en réalité. La culture, je ne la faisais qu’après avoir fini le boulot qu’on attendait de moi. Et puis, est-ce qu’il suffit d’être journaliste, d’aimer les arts et le spectacle pour prétendre être un journaliste culturel ? Pour dire que, et c’est le cas pour beaucoup, dans les rédactions où j’ai travaillé, les patrons estimaient que j’étais mieux utilisé ailleurs. On ne pouvait pas utiliser quelqu’un comme moi pour la culture, secteur d’intérêt secondaire. Dans la plupart des rédactions, la culture, c’est ce que l’on met quand il y a de la place. Ce n’est pas avec ça qu’on va vendre le journal. C’est la politique, le sport, l’économie qui font vendre. Du coup, on envoie en culture, comme jadis en sport, les rebuts de la rédaction. Des gens dont on ne sait pas quoi faire et qu’il faut quand même utiliser. Eh bien, ils feront culture, vu que ça peut servir à meubler quelques pages vides le jour où Paul Biya n’a pas toussé, le jour où l’épervier n’a pas emporté de poussins, le 74 80 11 42 jour où Eto’o n’a pas mouillé, le jour où le prix du gaz n’a pas augmenté. Bien sûr, il y a des exceptions. Je me souviens qu’à l’époque où Mutations surgit, il indique clairement qu’il est culturel dans…je ne sais plus quoi. Lol. Mais, croyez-moi, dans nos journaux et radios, on verra rarement les meilleurs affectés aux questions culturelles. L’autre possibilité, c’est que des journalistes, et c’est la tendance qui s’affirme, par eux-mêmes, s’intéressent à l’actualité culturelle, s’y accrochent et la couvrent. Avec un chapelet de frustrations. Parce que, conscients, eux-mêmes de leurs lacunes.
Des lacunes forcément, puisque, comme le journalisme politique et économique en particulier, un background spécial est quand même requis. Même si l’enthousiasme et la passion doivent impérativement faire partie du colis, il n’y a pas que ça. Je suis au regret de dire que je n’ai eu droit qu’à un séminaire, en 2002, sur la critique littéraire. C’était avec Josyane Savigneau du monde. Pour le reste, je me suis débrouillé moi-même à force de fréquenter les artistes, à discuter avec eux, à lire deux ou trois choses ça et là. Mais tout ça est bien maigre. Les écoles de journalisme, chez nous en tout cas, ne proposent pas ou plus de spécialisation en journalisme culturel. L’Esstic l’a fait à la fin des années 90. Mais les produits qui sont sortis de ce cursus spécial (division III) sont entrés en brousse, comme on dit. Je veux dire qu’ils n’ont pas vraiment fait du journalisme culturel. Et pour cause. Leur formation ne les préparait pas à faire du reportage ordinaire. C’était finalement une formation très universitaire et académique. Pire encore, il manquait peut-être à ceux-là ce qui pour moi est l’essentiel : la sensibilité et la passion pour les arts et la culture. Le journalisme culturel est différent de tous les autres. Voici ce que j’ai lu quelque part sur le net. Interrogé en février 2009 par Emmanuelle Lebeau-Guertin, étudiante à l’UQAM en Communication, Politique et Société, pour un travail en journalisme au sujet de l’importance du métier de journaliste culturel, un enseignant, Christian Delpla, disait que le journalisme culturel est particulier « parce qu’il est le moins visible, le moins quantifiable. La politique (les élections), le commerce (les revenus) parlent plus au gens. Il faut déjà être éduqué pour prendre conscience, analyser, évaluer les attendus culturels d’une situation. Il est beaucoup plus simple de parler du PIB (produit intérieur brut) ou du pourcentage obtenu aux élections. La culture est souvent ce que l’on ressent sans être capable de l’analyser. La culture, c’est ce qui reste en dessous des différentes couches de la société, c’est ce qui est plus profond et plus durable, c’est le devoir du journaliste culturel de faire remonter cette couche à la surface ». Il a à voir avec les émotions et les sensations. Il n’a pas la froideur et le détachement que l’on peut afficher en politique ou en économie. Et encore. Et ça, même si on ne l’a pas tout de suite, on peut le cultiver.
Mais en tout cas, nous manquons cruellement de formations qui nous apprendraient comment lire un tableau ou une pièce de théâtre. Il faut en effet sauter sur toutes les occasions de séminaires et autres ateliers. Même si les multiplier ne saurait suffire. Il faut aimer et sentir la matière. Il faut aimer la culture et donc la cultiver. Le background. Bien entendu, le b-a ba, c’est de maîtriser la technique et d’écrire correctement. Mais avec un plus. Le plus, c’est justement votre sensibilité, votre fantaisie, votre légèreté, votre grain de folie. Autrement, votre travail sera aussi froid, aussi ennuyeux, aussi ennuyeux que les comptes rendus des audiences du palais de l’Unité dans Cameroon tribune. Rappelez-vous que vous êtes dans le domaine des émotions, celles que vous devez ressentir, vous-mêmes, pour ensuite les transmettre. Comment donnez-vous envie de lire un livre ? Comment donnez-vous l’impression ou l’auditeur qu’il était au spectacle où il n’était pas ? Mais vous ne pouvez vous offrir cette valeur ajoutée que si, au départ, vous maîtrisez les techniques de base. Si vous ne savez pas marcher sur la glace, vous aurez du mal à jouer au hockey sur glace. Pour dire que « l’écriture journalistique culturelle » doit, autant que cela est possible, pasticher ce dont elle rend compte. Si vous écrivez sur les arts et les artistes, soyez vous-même, un peu, des artistes. Culturel. Culture donc. Le premier bagage des journalistes et des journalistes culturels, comme son nom l’indique, c’est la culture. Et la culture c’est quoi ? Humblement, j’ai jeté un coup d’ il à mon Petit Larousse : « Ensemble des structures sociales et des manifestations artistiques, religieuses, intellectuelles qui définissent un groupe, une société par rapport à une autre. Ensemble des connaissances acquises dans un ou plusieurs domaines. » Pour moi, c’est savoir le minimum sur le maximum. D’abord, sur les arts et le spectacle. Ca veut donc dire, écouter et connaître la musique et l’aimer dans la mesure du possible. C’est valable pour la peinture, le théâtre, la danse, la sculpture, la littérature… Pour bien parler de Kareyce Fotso, oui d’accord c’est personnel, je le concède, vous avez aussi besoin de la filiation artistique et ça peut remonter à plus ou moins loin. Lorsqu’elle interprète André Marie Talla, qu’est-ce que ça veut dire ? Quand Sally Nyolo rend visite à Anne Marie Nzié, qu’est-ce que ça signifie ? Pourquoi le succès d’Alain Mabanckou, un Congolais de Brazzaville, ne surprend pas en réalité ? Ca ne peut pas être anodin. Vous avez besoin de tout savoir. Même les choses les plus insignifiantes. Parce que c’est ce qui nourrit votre travail et fait de vous un journaliste culturel. C’est ce qui fait votre singularité et vous place au centre. Charles de Gaulle a assisté à l’unique spectacle que Oum Khalsoum ait donné en dehors du monde arabe. A Paris. A la fin du concert, il lui a envoyé un télégramme dans lequel il disait « j’ai ressenti dans votre voix les vibrations de mon c ur ». Ca sert à quoi de le savoir ? A rien, si vous voulez.
Le journaliste culturel est au centre des rédactions parce que c’est lui qui est censé savoir le minimum sur le maximum. C’est le phare d’une rédaction, celui qui peut se souvenir de qui c’est qui dirigeait l’Ethiopie en 1972, de qui c’est qui a dit « le Cameroun c’est le Cameroun », de qui c’est qui avait égalisé pour le Cameroun contre l’Italie à la Coupe du monde de 1982, etc… Pour dire que vous ne serez pas tout à fait des journalistes culturels si vous avez la culture générale chancelante. Cela dit, chacun a ses centres d’intérêts. Le travail des journalistes culturels dans un pays comme celui-ci est encore plus compliqué parce que, dans un pays en voie de sous-développement, la culture n’est pas la priorité. Ce sont les routes, les écoles, les commissariats (pour Bilongue). Pourtant, la culture, c’est important et c’est à vous de la porter. Du coup, vous n’êtes pas de ceux qui font chanter les artistes, comme on le voit dans les radios et les télés en particulier. Il faut se souvenir que c’est grâce au travail des artistes que vous avez de quoi meubler vos colonnes et vos antennes. De la même manière, la culture est porteuse de valeurs et de richesses. Généralement, le journalisme, le journalisme culturel, est aussi un engagement et même un engagement militant. Celui de ceux qui prennent le parti de promouvoir une culture et ce qu’il y a derrière. Ceux qui, pour rester dans notre contexte, croient que l’Afrique est riche de sa culture et que ce sera le principal facteur de son développement