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Le message personnel de Me Lydienne Yen Eyoum

Par Me Lydienne Yen Eyoum Mes chers amis Votre appel pour ma libération qui semble recevoir un écho bienveillant à…

Par Me Lydienne Yen Eyoum

Mes chers amis
Votre appel pour ma libération qui semble recevoir un écho bienveillant à en croire la tonalité que la presse camerounaise lui a réservé, en mettant en évidence la vérité, me touche comme toujours énormément et m’est d’un grand réconfort.

Ma gratitude envers vous tous où que vous soyez est profonde.

Dès 2005, point de départ de cette sinistre cabale contre moi, certains parmi mes proches et diverses relations y compris dans le milieu judiciaire m’ont conseillé de quitter le Cameroun parce que j’étais sur une liste noire et que tôt ou tard je serais arrêtée et emprisonnée.

À ceux-là j’ai répondu avec assurance et conviction que non seulement le Cameroun est mon pays, mais qu’en tant qu’avocat faisant confiance à la justice je ne ferai pas ce choix quoi qu’il m’en coûte, car alors je renoncerais à me défendre et à laver mon honneur, celui de ma famille, celui du Barreau du Cameroun.

J’estimais n’avoir rien à cacher ni rien à me reprocher.

J’ai donc fais le choix de rester et de tout faire pour clarifier les choses vis-à-vis de l’État et le cas échéant de répondre de mes actes professionnels devant toutes les instances compétentes.

J’ai naturellement alerté les bâtonniers successifs du Barreau du Cameroun, conformément au règlement et à l’éthique professionnelle, des rumeurs qui grandissaient et tous étaient convaincus qu’il n’y avait pas lieu à litige tels que les faits se présentaient.

Il n’y a en effet jamais eu aucune contestation ni réclamation de la part de mon client le Ministère des finances qui m’avait mandaté et à qui j’ai régulièrement rendu compte de mes actes professionnels quels que soient les ministres successifs en charge.

Ayant compris que les rumeurs de mon arrestation venaient essentiellement du Ministère de la Justice, par souci de transparence, j’ai saisi le Garde des Sceaux de l’époque ainsi que les deux directions concernées (celle des affaires civiles et du Sceaux et celle des affaires pénales).

Je n’ai pas eu l’honneur d’être reçue en personne par le Ministre de la justice Garde des Sceaux mais j’ai eu des entretiens techniques, dossiers à l’appui, avec les responsables de ces services qui concluaient toujours verbalement à l’absence de délit dans les actes professionnels que j’avais posés, ce dont ils doutaient en revanche côté Société Générale de Banque au Cameroun.

Parallèlement le Ministère des Finances répondait aux demandes d’explications du Gouvernement de 2005 à 2010 et déposait en ma faveur à toutes les enquêtes judiciaires et même au procès en 2014 devant le tribunal criminel spécial (TCS).

J’ai été reçue par le Premier Ministre de l’époque à qui j’avais également fait parvenir un dossier avec toutes les explications sur cette affaire et ce dernier m’avait fait l’honneur de me répondre en personne au cours d’une audience que tout était clarifié et que je n’avais pas à m’inquiéter, d’autant que l’enquête préliminaire du SED (Secrétariat d’État à la Défense) en 2006 ordonnée par le Garde Des Sceaux de l’époque avait conclu à une absence de malversations de ma part dans cette affaire.

J’ai fait ampliation des copies de toutes mes correspondances au Président de la République avant de lui écrire directement et avant que mes quatre avocats sollicitent une audience fin 2008 après une curieuse nouvelle enquête préliminaire ordonnée de nouveau par le même Ministre de la Justice Garde Des Sceaux et confiée à la Direction de la police judiciaire non content des conclusions de la Gendarmerie.

De plus en plus inquiets de la persistance des rumeurs de mon arrestation et par ce qui commençait à ressembler à un acharnement, à commencer par le retrait de mon passeport, mes quatre confrères et conseils camerounais sollicitèrent une audience auprès du Chef de l’État et furent convoqués en 2008 à la Présidence de la République pour une réunion technique avec les services juridiques.

À l’issue de celle-ci les parties arrivèrent à la conclusion que les soupçons de détournement de deniers publics qui avaient donné lieu à ces différentes enquêtes provenaient de renseignements erronés donnés par le Ministère de la Justice mais que tout était clair désormais.
Mais la suite fin 2009 début 2010 m’apportera la preuve que les métastases du mal s’étaient répandus dans l’ombre et que j’étais irrémédiablement condamnée à la prison à vie.

En effet, c’est l’un des Conseillers côté Présidence de la République ayant assisté à cette réunion qui, devenu le tout premier Président de la nouvelle juridiction d’exception créé spécialement et qui avait donc une parfaite connaissance de ce dossier, qui m’a condamné à 25 ans d’emprisonnement sur la base strictement des mêmes éléments déjà connus et appréciés différemment.

Il m’avait dit en début de procès au cours de la formalité de l’identification qui s’est déroulée dans son cabinet avec l’air de plaisanter… : « Lydienne je sais que tu es innocente mais si je dois te condamner je le ferai sans état d’âme  » et je lui ai rétorqué sur le même ton « Monsieur le Président si vous me condamnez alors que vous êtes convaincu de mon innocence alors vous aussi vous serez condamné ». Je ne pensais pas alors que cela puisse être possible. Il l’a pourtant fait..

Et sans état d’âme.

Dans son livre « un long chemin vers la liberté », Nelson Mandela a écrit: «un homme qui prive un autre de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit ».

J’ajouterais que si cet homme ou cette femme est un juge ayant prêté serment de rendre la justice au nom du peuple Camerounais, c’est un crime contre l’humanité à l’égard des nombreuses victimes empilées les unes sur les autres à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé comme à New-Bell à Douala.

Tout le processus ayant conduit à mon arrestation, puis à ma détention, et pour finir à ma condamnation définitive demeure un mystère pour moi car tout ce que mon expérience et mes compétences professionnelles m’ont appris sur le déroulement d’un procès pénal et en général sur les grands principes d’une justice juste et équitable dans un État de droit s’est révélé inefficace face à l’absurde et au cynisme.

Voilà pourquoi j’avais confié à l’époque à mon avocate parisienne lorsqu’elle m’a demandé si en cas de condamnation je solliciterais une grâce présidentielle que je ne le ferais pas, car je me battais pour faire reconnaître mon innocence devant la JUSTICE et que c’est cette reconnaissance judiciaire de mon innocence que j’attendais plus que tout.

Non pas que je sois incapable de solliciter le pardon en cas de faute par manque d’humilité ce qui ne correspondrait pas à l’éducation reçue de mes regrettés père et mère tous deux instituteurs, au contraire je suis fière et attachée aux valeurs qu’ils m’ont inculquées dès l’enfance, qui sont ceux d’humilité, de respect, du travail bien fait, de l’intégrité physique et morale, de solidarité, mais parce que profondément convaincue de mon bon droit je ne me voyais pas solliciter le pardon.

Je suis bien placée pour savoir que dans les affaires judiciaires la simple grâce présidentielle n’enlève rien au principe de la condamnation et n’efface ou n’atténue que la peine.

Je me suis toutefois décidée après la conférence de presse conjointe donnée en juillet dernier par les Chefs d’États camerounais et français.

La main tendue par le Président de la République Paul Biya et la manière exceptionnelle avec laquelle il s’est engagé publiquement à examiner ma situation conformément à la Constitution si je lui en faisais la demande après avoir fait la démonstration de sa bonne connaissance de toute l’affaire m’a redonné confiance et j’en ai été honorée.

J’ ai ainsi formulé et introduis une demande motivée de grâce amnistiante, afin d’obtenir que la décision que le Chef de l’État prendra me permette non seulement de retrouver mon honneur bafoué , mais de vivre et de travailler dans mon pays d’origine le Cameroun en toute liberté, d’aller et de venir partout dans le monde, de retourner en France auprès de ma famille et de mes amis à ma guise, sachant que mon passeport Camerounais m’a été confisqué en mai 2008 donc depuis 8 ans! et que je ne possède pas encore de passeport français.

L’autre fait extrêmement marquant pour moi lors de cette conférence de presse est d’avoir entendu de la bouche même du Président de la République que je n’étais pas une activiste politique !

Cela a été pour moi et j’espère bien pour tous ceux qui ont entouré mon arrestation d’autres faits infamants de  » tentative d’atteinte à la sécurité de l’État » un verdict de disculpation implacable.

De 2005 à ce jour du 8 janvier 2010 où j’ai été interpellée par deux impressionnantes unités de polices spéciales et durant tous mes procès, ce crime présumé a pesé sur mes frêles épaules pendant 5 années au cours desquelles des officiers de police judiciaire et des juges et procureurs chargés de cette affaire m’ont presque tous fait comprendre qu’ils « avaient les mains liés ».

Je devais comprendre qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de m’envoyer en prison, de m’y maintenir et de me condamner à vie.
J’ai écopé de 25 ans .avec circonstances atténuantes.

J’ai toujours pensé que ce sont de mauvaises raisons, et le discours prononcé le 23 février dernier par le 1er Président de la Cour Suprême du Cameroun lors de la rentrée solennelle de la Cour Suprême me conforte dans cette conviction que les juges sont seuls responsables des décisions qu’ils rendent, il ne saurait en être autrement dans un État de droit.

Et prétendre avoir les mains liées est un déni de justice.

Ceux des juges et procureurs qui ont pour seule ambition d’envoyer des citoyens dans des prisons qui ne sont que des lieux de concentration d’êtres humains sans droits élémentaires comme la nourriture, la santé, l’accompagnement judiciaire et psychologique, un environnement sain minimum, outre la privation de liberté, doivent se souvenir de cette autre pensée du grand homme déjà cité qui, en parlant de son pays l’Afrique du Sud où disait-il, les citoyens africains emprisonnés étaient traités comme des animaux, « on ne devrait pas juger une nation sur la façon dont elle traite ses citoyens les plus riches mais sur son attitude vis-à-vis de ses citoyens les plus pauvres ».

Je suis meurtrie de côtoyer depuis plus de 6 ans la mort, la faim, toute sortes de dangers, les maladies les plus dangereuses dont celles liées au péril fécal que les spécialistes de la santé publique mondiale connaissent et classent en tête des risques sur la santé publique les plus élevés.

Mon combat pour la vérité et la liberté a rencontré ici le combat quotidien de milliers de camerounaises et de camerounais présumés innocents pour la plupart, sans voix et sans moyens de survie de 10 à plus de 77 ans.

J’ai souvent été ravagée de sentiments divers mais j’ai pu trouver la force de tenir en contribuant à aider et à partager avec plus faible que moi. C’est une petite goutte d’eau dans un océan malgré de nombreuses autres bonnes volontés.

Tous les bienfaiteurs et bénévoles extérieurs comme intérieurs qui se sacrifient comme ils peuvent pour sauver de nombreux détenus de ce camp de concentration sis à Kondengui savent que tous leurs efforts pour nourrir, soigner et habiller les détenus bien que louables sont insignifiants au regard de l’ampleur de la situation.

Car ici, « riches ou pauvres » nous subissons tous non pas seulement des « double peines » mais une multitude de « double peines » sans compter que nos pauvres familles qui doivent veiller au quotidien à nos besoins élémentaires le subissent aussi.

Malgré tout, j’ai foi en cette parole présidentielle et j’espère vous revoir tous bientôt.

Merci à tous du fond de mon c ur.

Prenez bien soin de vous où que vous soyez dans ce monde en chamade où nous avons besoin d’amour, de solidarité, de respect et de pardon afin de chasser la haine et l’obscurantisme.

Prison de Kondengui, le 1er mars 2016.

Cellule de Lydienne Yen Eyoum
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