Des armes blanches et à feu circulent dans les prisons, parfois avec la complicité des gardiens. Les détenus s’en servent pour organiser évasions ou vols
Condamné pour meurtre et détenu à la prison de New-Bell à Douala, Gaspard (un prénom d’emprunt) connaît par c ur les différents moyens de faire entrer des armes dans la prison de Douala. « Le fait n’est pas courant tous les jours, mais j’ai déjà vu des armes circuler dans la grande cour pendant les heures de récréation. Un jour, un détenu a caché une arme à feu dans son vêtement, en ma présence. Puis il a traversé la cour pour la remettre à un autre détenu. Ce jour-là, les prisonniers faisaient des signes (de connivence) que je ne comprenais pas », se souvient-il. Le trafic d’armes est courant dans les prisons camerounaises. Tous les moyens sont bons pour se procurer un pistolet, un couteau ou une simple lame. « Quand j’étais en service à la prison de Kondengui à Yaoundé, j’ai attrapé, lors de la fouille, un pasteur qui tentait d’entrer en prison avec une arme à feu cachée dans sa bible. Les détenus ont bien des méthodes pour introduire des armes dans les prisons », confirme un gardien de prison aujourd’hui en service à la prison de New-Bell à Douala.
Dans le riz, le savon.
L’avocat Jean Paul Ntieche connaît, lui aussi, les astuces utilisées pour introduire des armes dans les prisons. Selon lui, les visiteurs des prisonniers les font souvent entrer en pièces détachées. Elles sont ensuite remontées, dans la prison, par leurs destinataires. « Pendant les contrôles, les gardiens se contentent de la surface de l’assiette et du goût, or il y a certaines nourritures comme le riz et le couscous dans lesquels on peut dissimuler une arme en pièces détachées. Les bandits à qui elles sont destinées peuvent alors les récupérer et remonter l’arme », précise-t-il. Il ajoute : « Les femmes dissimulent souvent des pièces détachées dans leurs serviettes hygiéniques. Le gardien qui les passe au contrôle ne s’aperçoit de rien. » Quant aux plus futés des prisonniers, ils trompent la vigilance des gardiens lors de leur retour de corvée. Selon Gaspard, ils se recrutent souvent parmi les détenus qui entretiennent de bonnes relations avec des gardiens de prison ou qui purgent les derniers mois de leur peine. « Ils ont la possibilité d’aller et venir et profitent de cette facilité pour faire passer des objets interdits. Les prisonniers les plus dangereux se servent alors d’eux pour faire entrer les armes dans la prison », explique-t-il. Il se souvient par ailleurs, tout en minimisant le fait, de l’un de ses amis qui avait réussi à faire rentrer facilement une lame dans le pénitencier. « Il l’avait dissimulée dans un morceau de savon et, une fois à l’intérieur, l’avait extraite. C’est comme cela que les couteaux et autres objets tranchants sont introduits en prison », témoigne Gaspard. Régisseur de la prison de New-Bell à Douala, Dieudonné Engonga Mintsang est conscient du danger de ce trafic. « Que ce soit le personnel ou les détenus, nous courons tous un grand risque d’être agressés par un prisonnier en possession d’une arme », regrette-t-il.
Parfois, la complicité de gardiens
Maxime Bissay, coordinateur pour le Littoral de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la torture (ACAT), accuse de front. « A la prison de New-Bell, où je vais souvent, tout détenu, personne ou bagage est minutieusement fouillé. Pour moi, il est évident que les armes qui circulent au sein de nos pénitenciers, y sont introduites avec la complicité des gardiens de prison ». Des accusations que ne récuse pas le régisseur de la prison de New-Bell qui reconnaît qu’outre des visiteurs, le personnel pénitentiaire participe souvent au trafic des armes dans les prisons, au mépris de la loi. Ce trafic sert notamment à planifier et exécuter des évasions à l’aide d’armes blanches qui permettent de percer les murs, couper les fils de barbelés, ou à l’aide d’armes à feu pour contraindre les gardiens. Ceux-ci ne peuvent, en effet, utiliser leurs armes qu’au niveau des miradors et pendant les escortes des détenus vers les juridictions, mais jamais à l’intérieur de la prison par crainte de se les voir arracher. Autres conséquences désastreuses : des bagarres à main armée sont souvent signalées dans les prisons locales.
Malgré les fouilles et les sanctions
L’article 17 du décret de 1992 portant régime pénitentiaire au Cameroun recommande pourtant une fouille minutieuse des détenus avant leur incarcération. « Il ne leur est laissé ni bijou, ni argent, ni valeur quelconque, ni instrument dangereux. », précise la loi. Une recommandation appliquée, semble-t-il, à la lettre par les établissements pénitentiaires du pays, sans pour autant empêcher la présence des armes blanches ou des fusils dans les prisons. Tout détenu pris avec une arme dans la prison est immédiatement isolé des autres. « Nous appliquons, par la suite, à son encontre les textes en vigueur qui prévoient une batterie de sanctions pouvant aller jusqu’au prolongement de sa peine », prévient Dieudonné Engonga Mintsang. La sanction est encore plus sévère pour le personnel de l’administration pénitentiaire complice de l’introduction d’armes dans une prison. « C’est une faute très lourde qui donne lieu à une procédure judiciaire », insiste le régisseur. La possession par un gardien de prison d’une munition dont il ne peut justifier la provenance l’expose à une procédure judiciaire. Des fouilles périodiques ou spontanées sont souvent opérées dans les postes des gardiens et les cellules. « C’est une pratique réglementaire qui permet de dissuader ceux qui nourrissent des velléités d’infiltrer des objets prohibés. Nous fouillons non seulement les cellules, le matériel de travail, les mandats des prisonniers, les sacs, tout ce que la prison peut contenir comme secteur caché ».