«Que dit-on des tripatouilleurs de constitutions? Je ne suis soumis à aucune malédiction, moi, Barthélémy !»
Les hirondelles nous reviennent de l’exil. Elles annoncent le retour des beaux jours. Les beaux jours ne sont pas évidents pour tous ; le président Gorgui, le bel éphèbe sénégalais, est parti. C’est qu’il est si beau, si jeune, ce Wade. Mais la maturité, la détermination et la démonstration historique de l’attachement à la démocratie du peuple sénégalais a triomphé. Oui, le peuple a parlé, et un tripatouilleur de la constitution s’en est allé.
Les beaux jours, c’est ce printemps sénégalais qui a fait rougir et trembler Sarko. Il n’y a eu que dix morts, ce qui n’est pas du goût des marchands d’armes et d’outils répressifs. Ils se frottaient les mains, croyant pouvoir déployer leurs militaires au Sénégal, vendre leurs vieux « Rafales », qui vieillissent sans jamais avoir servi ! Et Sarko voit sa malédiction prendre forme. Son complice, Wade, qui l’avait laissé insulter l’Afrique entière à Dakar, a eu sa part de malédiction. Et lui, c’est bientôt son tour car ce printemps ne lui sera pas favorable, il perdra les élections présidentielles, et la malédiction sera accomplie ; il méditera le reste de sa vie, s’en voulant à mort d’avoir déclaré que l’Afrique n’était pas entrée dans l’histoire. »
« Que dit-on des tripatouilleurs de constitutions ? Je ne suis soumis à aucune malédiction, moi, Barthélémy ! J’ai tripatouillé la mienne de constitution, j’ai fait éliminer ceux qui ont voulu crier et contester ! On a appelé cela, ici, les « émeutes de la faim », mais tout le monde sait que mon pays se targue d’une autosuffisance alimentaire ! Nous vendons même…, que dis-je, nous sommes le grenier de nos voisins le Gabon et la Guinée Equatoriale.
Il y a juste cet Enoh Meyomesse qui commence à me les gonfler. Depuis que Faka Bilumba a lancé une espèce de fatwa contre moi afin de le sortir de prison, j’ai tout le monde -même Chantou- qui exige que Enoh Meyomesse soit libéré. En fait, ils oublient que mon peuple n’est pas aussi déterminé que les Sénégalais. A moins que Samuel Etoo, Yannick Noah, Manu Dibango ou Calixthe Beyala ne s’en mêlent, je ne crains pas grand chose. Il peut même mourir en prison, comme Bibi Ngoto, il y aura toujours mon doungourou de Ministre de la Communication pour raconter des sornettes et des histoires à dormir debout. S’il ne convainc pas, il y a le Fameux Ndongo, celui que, comme moi, les Boulous exècrent. Il pondra des théories et des livres pour comme d’habitude légitimer nos aberrations. J’ai déjà promis à mon peuple que je le conduirais, à travers mes grandes réalisations, au statut de pays émergent. Ce sera pour 2035. Quel âge aurai-je ? Wait and see ! »
« Je vois qu’on a prononcé mon nom à moi, Manu Dibango. Je voudrais juste rappeler les paroles d’une chanson que j’avais écrite dans les années soixante, quand je faisais l’apologie du parti d’Ahidjo, l’U.C. (Union Camerounaise) :
A présent que nous sommes libres,
Libres de choisir notre loi,
Il est bien venu le temps de penser.
Camerounais, réveillons-nous !
Effaçons l’esprit tribaliste,
Effaçons la haine entre nous,
Que le mot union de fraternité
Prenne place dans nos c urs !
Mais on me dit que, depuis un certain temps, le tribalisme est méthodiquement cultivé. Il y a certaines villes, certaines régions où, si l’on n’est pas du coin, si on est « nkwa », on ne peut pas vous vendre de terrain pour construire ou cultiver. Une nouvelle race de privilégiés est née, les apparatchiks des après-indépendances qu’on nomme « élites », une main prolongée du pouvoir -ils ont des pratiques pas très catholiques-. Ils organisent des fêtes avec faste, dans lesquelles la population est invitée à venir chanter et danser sa reconnaissance au président pour avoir nommé ou reconduit tel ou tel ministre tribal. C’est à se demander si ces ministres sont des ministres de leur tribu ou de la République ! ».
« S’il te plaît, Grand Manu, tais-toi, on risque de t’arrêter et de t’enfermer sous des prétextes fallacieux, comme Enoh Meyomesse ! Les prétextes ne manqueront pas, on t’accusera par exemple de ne vouloir jamais porter de cravate, et d’appauvrir cette industrie florissante de la cravate camerounaise, importée à 110 % de l’étranger. Moi, Francis Bebey, qui suis mort déjà, laisse-moi parler, on ne pourra rien me faire ! C’est à la rigueur Faka Bilumba qui risque des représailles, car lui, par son intelligibilité, arrive à transmettre nos pensées et dires aux vivants.
J’avais déjà, de mon vivant, parlé de ces choses ambiguës de nos régimes politiques africains. Dans mon roman, « Le Ministre et le Griot », c’est un cas de figure de transposition incongrue des valeurs qui est traité. Ce que je ne comprends toujours pas, c’est le montant de la paye des présidents africains. Il doit être élevé, très élevé, ce traitement présidentiel. C’est peut-être pourquoi on ne le communique pas ?
Nos présidents ont tellement d’argent qu’ils font des dons continuels de brouettes, de coupe-coupe, de dabas aux paysans. Ils envoient des « enveloppes » bien garnies aux veuves des Grands qui sont morts. Et comme ils n’assistent jamais à ces obsèques -ils ont peur des attentats-, les ministres qui les représentent « coupent » toujours une partie du contenu de ces enveloppes. Tant que c’est le président, c’est normal, pourrait-on penser, il a une grosse paye. Mais quand leurs épouses, les premières dames, font aussi des dons faramineux, on se demande d’où leur vient cette trésorerie. La majorité de ces dames n’a jamais travaillé ! Alors, c’est quoi toute cette campagne électorale présidentielle permanente ? Dans un pays comme celui de Barthélémy, avec plus de deux-cent-cinquante tribus, il faudrait qu’il y ait des remaniements ministériels réguliers, afin que chaque tribu puisse faire sa fête et remercier le président d’avoir nommé l’un des leurs, et surtout ne pas frustrer des tribus qui, comme les Pygmées, n’ont jamais eu de ministre, et ne sont pas près d’en avoir ! Oui, Manu, ta prose est vraiment d’actualité :
« Effaçons l’esprit tribaliste,
Effaçons la haine entre nous… »
Et moi je vous dis qu’il se prépare des choses en France pour la 6ème république que prônent certains candidats à la présidence. Il y a aussi, au sein des bons élèves africains de la Françafrique, craintes et tremblements. L’Union Africaine voudrait en profiter pour exister… réellement.
