Par Dieudonné Essomba, cadre au minepat, ingénieur principal de la statistique hors échelle, économiste
La conférence sur le thème « la démocratie à l’épreuve du tribalisme multiforme » restera marquée par l’intervention très vigoureuse d’un retraité originaire du Nord, particulièrement remonté contre la dénonciation des anciens recrutements de l’ENAM avec le BEPC. « Outre vos déclarations et vos supputations, quelle différence a-t-on pu noter entre les Administrateurs du Nord et ceux du Sud au cours de leurs missions?» s’est-il interrogé. L’intervention de ce vieux retraité est venue mettre les choses au point et avec beaucoup d’à-propos : le débat ethnique a fini par se polariser dans une confrontation entre les Bamilékés d’une part, et les Béti, les Bassa et les Douala, d’autre part, au point d’oublier le Grand Nord, les Anglophones, l’Est et même les Bamoun. Ces « oubliés » du débat sur la question tribale au Cameroun représentent tout de même plus de 60% de la population. N’ont-ils pas leur mot à dire ? Quoi qu’il en soit, la division des assistants à la conférence en deux groupes hostiles, dont l’un applaudissait aux arguments favorables, alors que l’autre faisait l’inverse, montre que la situation est plutôt mal partie. En outre, on aurait dû associer dans le panel de journalistes, de philosophes, de sociologues, de religieux ou de politiciens, des économistes dont l’absence ampute le débat d’un éclairage qui pourrait en approfondir certains aspects, tant il est vrai que le tribalisme exprime aussi de graves tensions sur des avantages économiques.
Expressions du tribalisme au Cameroun
Il est possible de recenser, dans une perspective essentiellement économique, les diverses manifestations du tribalisme au Cameroun. Ces réactions peuvent prendre la forme d’un tribalisme rampant qui se manifeste par une préférence sélective pour sa communauté devant certains choix de la vie. On y trouve la tendance à se marier à l’intérieur de sa communauté, à organiser des tontines entre frères à l’exclusion des autres, de se regrouper dans certains quartiers ou d’afficher son ethnicité à travers la création des centres culturels. Dans beaucoup de cas, ce tribalisme s’apparente plutôt à des réactions grégaires qui ne prêtent pas à conséquence, mais elles peuvent déraper. Les membres de la Communauté pourraient alors s’empêcher mutuellement de vendre le terrain aux « étrangers » ou s’entendraient pour détourner le service public à leur avantage exclusif. Le tribalisme peut aussi prendre des formes agressives lorsque deux communautés se disputent un espace économique. On retrouve ces cas lorsque les modes de production présentent des incompatibilités telles que les agriculteurs et les éleveurs, ou même simplement lorsque les espaces entre les deux Communautés sont mal délimités. Les rapports peuvent alors basculer dans des combats très sanglants. On retrouve un tribalisme proche dans les villes ou les colonies de peuplement, où il prend deux formes. La première oppose les autochtones à l’ensemble des émigrés. D’une manière générale, les émigrés sont une sélection de leurs communautés respectives. Le Moundang, le Makia ou l’Eton qui vont s’installer à Douala représentent des gens disposant de suffisamment d’intelligence, de courage et de combativité pour sortir de leurs villages et aller se chercher ailleurs, en laissant dernière eux leurs frères moins aptes. Par contre, ils viendront trouver à Douala une communauté autochtone qui, elle, n’a pas fait l’objet d’une sélection. En fait, il s’agit de paysans équivalents à ceux que les migrants ont laissés chez eux et dont la majorité n’aurait jamais vécu dans une ville si Douala ne leur était pas tombée sur la tête. Incapables de combattre avec les mêmes armes, elles se retrouveront rapidement spoliées par les émigrants plus aguerris qu’ils finiront par assimiler à des envahisseurs. On les verra alors se battre pour une occupation préférentielle des postes locaux sur la base des droits du sol. D’un point de vue économique, ces populations sont des minorités très fragiles.
La seconde forme que prendra cette forme de tribalisme, notamment dans les villes, regroupe les tensions liées à la compétition des tribus dans les divers segments économiques. Elle va dériver progressivement vers les ethnopoles, c’est-à-dire, des segments productifs faisant l’objet d’une appropriation plus ou moins consciente par une tribu qui développera des mécanismes plus ou moins conscients, mais en tout état de cause, toujours actifs visant à le préserver. Une autre type de tribalisme est la contestation dans la distribution des avantages et des postes publics, et renvoie toujours au principe de l’équilibre régional. La réaction tribaliste peut survenir parce qu’on accepte le principe, tout en trouvant sa mise en ?uvre mauvaise. C’est le cas lorsqu’on trouve la représentation du Sud dans les centres de décision exorbitante par rapport à sa taille, ou lorsque le LA’AKAM réclame que la part des Bamilékés soit considérablement revalorisée en raison de leur nombre. Elle peut aussi survenir parce qu’on dénonce cet équilibre comme antirépublicain et qu’on juge que les recrutements intègrent des individus inaptes à gérer la Nation. L’extrême multiplicité des perceptions et des positions montre la complexité du problème et l’impossibilité de le réduire à une simple manipulation politicienne, même si par ailleurs, on ne peut exclure l’intervention de tels facteurs (politiques) dans son extension ou sa densification. Bien plus, la possibilité même de telles manipulations montre que la cohabitation intercommunautaire dispose d’un potentiel conflictuel intrinsèque considérable. Ce potentiel conflictuel se traduit ou se nourrit par des lignes de fracture plus ou moins visibles parmi lesquels on peut citer des méfiances séculaires, des cultures opposées ou des compétitions diverses. C’est donc sur ce potentiel conflictuel que vont agir aussi bien les bâtisseurs de la Nation pour réduire le tribalisme et les manipulateurs pour l’exaspérer.La solution au problème ethnique apparaît ainsi comme l’identification de ce potentiel conflictuel, ses origines et ses déterminants.
Sources des conflits intercommunautaires
Un regard sur l’histoire offre une réponse sans équivoque : à aucun moment du passé, les communautés n’ont jamais cohabité de manière pacifique. La Bible, les autres livres anciens, les légendes ou les épopées ne sont ainsi qu’une interminable séquence de guerres perpétuelles et de génocides. Les rares occurrences de coopération sont des alliances non pour la paix, mais pour aller combattre d’autres tribus, afin de les annihiler, les soumettre, les absorber ou les chasser. C’est dire que la confrontation est inscrite au cours même de la notion de communauté, qu’elle prenne la forme d’un clan, d’une tribu ou d’une Nation. D’une certaine manière, une Communauté Humaine est un groupe de personnes disposant d’un critère de différentiation et désireux de se battre contre les gens qui lui paraissent comme étrangers, par haine, par cupidité, par peur, par prudence, par tradition ou par méfiance. Dès lors, la construction de toute Nation composite pose toujours la question suivante : comment neutraliser la tendance des tribus à se battre sans cesse et en faire un groupe uni ? Une première démarche consiste à supprimer simplement les différences et en leur imposant une langue et une culture unique. Mais cette démarche qui caractérise la Nation française par exemple est coûteuse en temps et en violence. La démarche alternative consiste à purger les communautés de leur agressivité d’une part, en donnant à chacune une parcelle de pouvoir sur son territoire, sous la forme d’une région autonome, d’une Confédération ou d’un Etat. D’autre part, à assurer la « représentation équitable » des segments communautaires dans les charges publiques. Qu’ils soient démocratiques ou pas, tous les pays du monde appliquent la représentation équitable, la différence se situant dans les méthodes, les niveaux de développement, la structuration sociologique ou la puissance industrielle du pays.
Cas du Cameroun
Le Cameroun n’échappe pas à ces règles. Ses communautés ne sont pas plus pacifiques que le reste de l’Humanité et l’occupation spatiale actuelle n’est ni plus, ni moins que le produit de ces conflits permanents. L’idée d’un Cameroun qui aurait vécu dans une ère d’or avec des tribus entretenant des rapports pacifiés est une pure fiction. Le partage colonial dont dérive le Cameroun n’avait pas pour but de créer une Nation. Les Allemands, puis les Français et les Britanniques assimilaient notre pays à un champ qu’il fallait organiser dans le but exclusif de mieux l’exploiter. L’existence des Communautés n’était pas un problème, puisqu’ils avaient les moyens de les réduire par une force supérieure. L’accession à l’indépendance laissait aux Camerounais le soin de gérer un Etat multi tribal sans disposer des mêmes moyens que le colon. Un tel Etat ne pouvait assumer son autorité, c’est-à-dire, sa brimade légale, que s’il trouvait un moyen de neutraliser les tendances centrifuges. Même si, pour des besoins de la cause, le discours politique ne pouvait être que nationaliste et anti tribaliste, les responsables avaient quand même assez de bon sens pour comprendre que les comportements des tribus restaient encore très vifs et qu’on était obligé de les apprivoiser à travers un mélange subtil de brutalité, de séduction et de battage idéologique. C’est précisément dans ce cadre que s’est inscrit l’équilibre régional dont le but n’a jamais été, en première analyse, le développement équilibré qu’on aurait pu obtenir autrement, mais plutôt l’assèchement du potentiel centrifuge qu’aurait créée une groupe tribal peu impliqué dans l’appareil de l’Etat.
L’apport de la pratique sera très important, quoiqu’on puisse penser. Elle a fondé la légitimité de l’Etat de manière solide : en plaçant les ressortissants de chaque tribu dans les rouages du pouvoir, de l’armée et de l’administration, l’équilibre régional leur enlevait l’argument commun que celles-ci utilisent toujours pour s’attaquer à l’Etat, à savoir que les autres tribus utilisent la puissance publique pour comploter contre elles. Et on sait que le sentiment d’être menacé est le principal responsable du déclenchement des guerres civiles. Corrélativement, l’existence d’une élite dans toutes les tribus a permis de confiner la confrontation sociale à l’intérieur de chaque Communauté, et d’éviter que l’Etat soit confronté à des demandes permanentes directes des populations dont il n’aurait jamais pu sortir. Mais son rôle le plus important est qu’il a assuré une intégration nationale au moins formelle. En intégrant tout le monde dans la Fonction Publique, l’équilibre régional a permis à toutes les tribus d’être présentes sur chaque parcelle du territoire camerounais, à travers les multiples affectations de fonctionnaires (enseignant, policier, gendarme, médecin, etc.) C’était nécessaire, car toutes les tribus camerounaises n’ont pas des traditions de migration ; et le risque était que quelques-unes restent claquemurées dans leur territoire tribal si l’équilibre régional n’avait pas existé.
Un autre avantage plus actuel de l’équilibre régional est le confinement de la corruption. En imposant à chaque tribu un nombre fixe de places, il force les gens portés à dévoyer le système social par l’argent, le pouvoir ou la ruse, à exprimer leur venin sur la part qui leur est dévolue et à laisser les autres indemnes. Si des écoles (comme l’ENAM) n’étaient pas soumises à ce principe, on a peine à imaginer, avec cette effrayante indécence dans la cupidité que déploient les Camerounais, quel visage présenterait le Cameroun. Un peuple dont les hauts dignitaires ne clignent pas des yeux pour voler des milliards de FCFA ! Un peuple, dont les hauts dignitaires ne craignent pas de donner un score de 47 buts à zéro pour un anodin classement dans un championnat de football, ne peut fonctionner que s’il est encadré. Le dernier point sur lequel l’équilibre régional a joué un rôle important vient de l’utilisation des revenus. De fait, si les infrastructures peuvent être réalisées par des Camerounais d’autres régions, ces infrastructures n’épuisent pas tous les besoins d’une tribu. Il y a aussi le cadre de vie. Les quelques rares villas qu’on trouve dans les campagnes sont essentiellement construites par les élites locales et cela est bien que chaque village au Cameroun dispose au moins d’une belle maison, car c’est cela qui atténue les frustrations. En outre, ces élites jouent un rôle de redistribution des ressources tirées de l’Etat, en même temps que leur présence joue plutôt un rôle incitatif pour les jeunes à faire l’école.
Nature du principe d’équilibre
Contrairement aux idées répandues, l’équilibre national n’est pas une disposition à laquelle on pourrait opposer des lois. Si le Cameroun sombrait dans la guerre civile, personne ne viendrait demander si les gens qui entraient à l’ENAM avaient les meilleures notes, mais simplement pourquoi certaines communautés ont été marginalisées. C’est la pratique dans le monde entier : les reproches adressés aux dirigeants ne porteront jamais sur le niveau de compétence des fonctionnaires, mais uniquement sur le souci d’intégrer tout le monde dans le dispositif de la prise de décision. Parce que c’est cela seul qui compte. Et pour sortir de la guerre, personne n’évoquera les notes obtenues dans les concours, mais la participation de tous. Pourquoi ? Parce que la représentation équitable est une exigence pour l’existence même de la Nation, alors que la compétence est un critère de gestion. Avant de gérer, il faut d’abord s’assurer que le pays existe. La méconnaissance de ces principes ne peut aboutir qu’à des erreurs d’analyse et développe des idées erronées. L’une de ces erreurs est la fiction entretenue que l’équilibre régional fut conçu contre les Bamilékés. Rien de plus faux. Au moment où Ahidjo l’instaure dans les années 60, le niveau de scolarisation est surtout élevé dans la région du Centre-Sud et dans le Littoral, en raison d’une plus forte pénétration européenne et de la proximité de Yaoundé et Douala. A contrario, le pays Bamiléké, trop montagneux et très peuplé, n’intéressait pas le colon qui n’avait pas grand-chose à y tirer et qui, de plus, devint rapidement le siège d’une violente rébellion. Tout facteur qui n’encourageait pas à une forte scolarisation. Et il est d’ailleurs assez symptomatique que dans l’imagerie populaire, l’image de l’intellectuel n’ait jamais été associée au Bamiléké dont les performances, notamment dans les matières scientifiques émergeront plus tard. Lorsque l’équilibre régional est instauré par Ahidjo, les seules populations pénalisées sont les Bétis, les Bassa et les Douala. Les populations du Nord et de l’Est en bénéficient en premier, mais les Bamilékés en bénéficient aussi, quoique dans une moindre mesure. L’idée suivant laquelle Ahidjo aurait repris la logique de Lamberton n’est pas vraie, du moins sur ce point. Ahidjo n’en avait pas besoin pour détester quelqu’un et sa brutalité vis-à-vis des rebelles Bamilékés s’explique simplement parce qu’Ahidjo n’était pas le type d’homme qui aime la contestation. Le « problème Bamiléké » tel qu’il est posé aujourd’hui apparaît ultérieurement, au regard du parcours particulier de cette Communauté : soumis à des densités de plus en plus fortes, chassés des terres par l’insécurité du maquis, poussés par une structure gentilice très défavorable aux cadets, les membres de cette communauté commenceront progressivement à se déverser à Douala, puis dans les autres villes du Cameroun méridional où leur insertion deviendra une question de vie ou de mort. Face à un système économique occlus qui n’offre plus de perspectives, la marge de man?uvre laissée par l’économie camerounaise ne peut plus fournir les moyens requis pour absorber tout le monde. L’absence d’un arrière-pays où se replier rend chez les Bamilékés cette exigence plus intense et on comprend qu’ils soient légitimement tentés de réduire l’étranglement que leur impose ce parcours en remettant en cause un principe d’équilibre dont ils avaient naguère bénéficié. Malheureusement, le fait de masquer cette préoccupation légitime de survie, et ce désir de jouer des coudes pour avoir un peu plus de place dans la maison commune, derrière des arguties philosophiques et de grands principes républicains, est plutôt une maladresse.
Des maladresses
La démarche visant à combattre l’équilibre régional sur la base des concepts ne trompe personne. Plutôt, elle modifie la nature du problème qui est un légitime désir d’insertion dans un environnement trop rationné et le montre sous les traits d’un égoïsme intrinsèque. Dans ces conditions, les réactions des Bamilékés face à certaines attitudes telles que le discours du ministre Ali sur la non-éligibilité d’un Béti ou d’un Bamiléké après Biya ou la dénonciation de la surreprésentation Bamilékés de Mgr TONYE BAKOT ont beau susciter un grand émoi, on verra bien que cet émoi a une couleur tribale et n’a aucune signification aux yeux des autres. En réalité, il ne fait qu’aggraver le soupçon d’un sordide complot que les Bamilékés nourriraient contre la Nation. En second lieu, cette attitude humilie plutôt le pays en jetant à la face du monde les contradictions qu’il veut gérer en cachette : au Cameroun, les concepts ne sont pas fonctionnels par rapport au contenu que leur donnent les livres de philosophie ou de droit étrangers que nous copions volontiers pour nous donner à nous-mêmes l’illusion que nous sommes une Nation moderne. Ils ne sont utiles, utilisables et applicables qu’autant que leur mise en ?uvre effective correspond parfaitement à ce que nous sommes. Le citoyen camerounais n’est pas celui qui nie sa tribu au profit de la Nation, mais celui qui sait que l’Etat est fait pour toutes les Communautés, que tout le monde a les mêmes chances d’être fonctionnaire, d’être affecté partout ailleurs, et qui sait que le Cameroun ne peut exister que s’il réalise un modus vivendi avec sa tribu. Dans ce modus vivendi, il doit adopter un code de conduite où il proclame ouvertement sa préférence de la Nation camerounaise, mais à la condition évidemment que celle-ci respecte la participation de sa tribu aux affaires publiques.
Ce code de conduite est une hypocrisie collective acceptée et pleinement assumée. Il crée une unité nationale peut-être bancale, voire factice, mais en toute modestie, nous nous en contentons volontiers. S’appuyer sur des principes spéculatifs de la philosophie, c’est idolâtrer les idées et les concepts et en définitive, c’est nier le fait fondamental que le Cameroun reste une construction contingente que nous devons aimer et parfaire parce qu’il fournit la cadre approprié à ses habitants et ses communautés de prospérer. Les pays qui ne l’ont pas compris et se sont mis en tête de nier les réalités sociologiques ont basculé dans les guerres tribales ou ont volé en éclat.
L’autre conséquence de cette situation est qu’en révoquant le principe au lieu d’en proposer une reformulation, le débat se ferme et on entre dans l’ère des suspicions et des crispations. Tous les pays appliquent la représentation équitable qui, au Cameroun, a pris la forme de l’équilibre régional, il n’y a là rien de particulier. Le vrai reproche qu’on peut faire à ce principe est que notre formule est trop brute ; trop visible et de plus instrumentalisée par le pouvoir pour entretenir une clientèle assoiffée d’honneurs et de richesse et des élites corrompues qui y trouvent le moyen de placer abusivement les leurs. Mais il existe des réaménagements possibles comme sa mise en pratique seulement dans certains secteurs, son application partielle ou évolutive, etc. Toutefois, il faut d’abord en accepter le principe, condition pour amorcer une véritable réforme.
Enfin, la question de fond est la suivante : Quand bien même on supprimerait l’équilibre régional, qu’est-ce que cela changerait au Cameroun ? Peut-être un peu plus de Bamilékés, autant de Bétis, de Bassa et de Douala, un peu moins de Nordistes, de Westerns et d’Anglophones. Et après ? Après, rien : l’administration n’en serait pas pour autant améliorée. Par contre, on se retrouverait avec des parties du territoire qui seraient totalement décrochées avec, à terme, une guerre civile entre les bras. Dans son principe, l’équilibre régional est un très bon choix et en contester le bien-fondé au Cameroun n’est pas faire preuve d’intelligence. On ne peut pas résoudre les préoccupations d’ordre économique par la remise en cause des principes sans lesquels le Cameroun ne pourrait exister. Ce n’est pas la loi, ni l’armée qui maintient les Nations, c’est leur adhésion, le sentiment qu’ils sont partie prenante de l’ensemble, le sentiment qu’ils partagent les mêmes responsabilités et les mêmes problèmes. La pratique a beau faire l’objet des insultes et de la haine, elle est la seule à assurer la cohésion de cet ensemble hétéroclite qu’est le Cameroun.
La forme actuelle de la représentativité équitable que le Cameroun a prise et qui s’appelle équilibre régional n’est pas de ces principes qu’on peut supprimer par des textes juridiques ; et celui qui s’avise à le faire s’en sort avec d’éternels regrets. C’est en fait oublier que toute loi est d’abord et avant tout un rapport de force. En prenant une telle loi, avec quels soldats, quels policiers l’Etat du Cameroun pourrait-il contrôler les tribus qui s’entendront pour agresser l’Etat ? Si ce sont les Camerounais, comment faire pour que les ressortissants de ces tribus ne prennent fait et cause pour les leurs ? Et si ce sont seulement les Bamilékés ou les Bétis, comment faire pour empêcher les autres de prendre les armes et de les combattre ? Ce genre de pratique mourra de sa belle mort, quand elle se sera révélée inutile, pour les Communautés bénéficiaires. C’est quand les meilleurs Camerounais refuseront une carrière de sous-préfet ou d’inspecteur de police pour aller servir comme un Ingénieur dans des grandes entreprises avec un salaire douze (12) fois plus élevé que la pratique montrera son inutilité et personne n’en parlerait plus. Car, dans une économie normale, les vraies compétences ne se battent pas pour les postes administratifs, dédaigneusement abandonnés aux cancres ou aux immigrés. Ils se battent dans de puissantes industries, là où leur valeur éclate et à une échelle où l’unité commence aux millions.
