L’intellectuel apporte une grille de lecture sur le discours afro-sympathisant de l’auteur Christian D’ALAYER
Cher Monsieur d’Alayer,
D’emblée, je salue à la fois votre courage et votre propension au dialogue en venant vous frotter à moi et aux autres amis, sur mes terres. Tout le monde n’a pas cette témérité et bien que vous soyez en promotion de votre ouvrage, ce qui pouvant justifier cela, je vous laisse le bénéfice du doute. Je tiens tout autant à remercier Laetitia (même si je ne sais qu’elle n’en attend pas tant, tant ses convictions sont fortes et réaffirmées) pour être allée jusqu’au bout de sa logique qui rencontre celle de nombre de personnes sur cette page et plus généralement sur Facebook, car je suis convaincu que nous sommes extrêmement lus en ce moment où je vous écris. Et bien que Laetitia, par pudeur ou modestie avoue ne pas être une intellectuelle, la parfaite cohérence de son discours et la teneur claire de son message permettent de mieux illustrer son positionnement en sa qualité de citoyenne du monde qui demande qu’on la respecte comme telle et quelle que fût sa localisation géographique. Pour ces marques à la fois d’intelligence et de tolérance, je la remercie. Je vais maintenant m’essayer à apporter une grille de lecture moins simpliste bien que synthétique à votre discours afro-sympathisant ???
D’abord les faits: L’Afrique se porte mal (merci de vous en inquiéter) ; les intellos africains refusent qu’on les désigne comme facteurs de désagrégation de leur continent ; les intellos africains fustigent l’attitude paternaliste et manipulatrice de la France institutionnelle (qui n’a rien à voir avec les Français) que je pointe du doigt en premier car nous avons ensemble une histoire commune plus longue qu’avec quelconque autre nation dans le monde, exception faite de quelques pays hispaniques comme la Guinée équatoriale, ou lusophone. ; vous avez eu maille à partir avec ces intellos et avez décidé de les fustiger par l’insulte, en prenant toutefois la précaution de les opposer à leur congénères dits «non intellos.»
1/ Sur le premier point, l’Afrique noire se porte mal sur les plans social, économique et surtout POLITIQUE. C’est un secret de polichinelle depuis si longtemps et les causes en sont multiples ; elles tiennent à des facteurs endogènes et exogènes liés au contexte dans lequel nous nous situons. En effet, la théorie structurelle laisserait à penser que par nature, l’Africain serait condamné à demeurer dans sa condition d’assisté durant toute cette ère de la postmodernité. Ce qui me rappelle qu’il y a quelques années, les experts pensaient que la Chine, malgré son milliard d’habitants dans les années 1990 serait condamnée au sous-développement et pourtant sa capitalisation boursière aujourd’hui et sa croissance effrénée font rêver plus d’un pays occidental. Qu’a-telle démontré au monde sur le plan macro-économique ? Eh bien qu’il est possible d’allier l’économie de marché à des vestiges culturels existants et que cette alchimie nécessite de repenser le système dans lequel l’on se trouve, en tenant compte de l’évolution de la raison historique. Dilthey à ce titre ne pensait-il pas que « la raison elle-même est historique » ?.. La Chine a ainsi fait fi des valeurs occidentales comme les droits de l’homme qu’elle laisse bien volontiers à leurs pères fondateurs tels Grotius, Pufendorf, Montesquieu, Rousseau.et d’autres penseurs occidentaux qui ont imposé cette lecture de l’homme et ses droits au monde. Oh bien entendu, la Chine n’est nullement un modèle à bien des égards, mais je vous ferai remarquer que je me suis placé sur un plan strictement macro-économique et depuis 1997, elle a su allier du keynésianisme au dirigisme d’Etat, ce qui lui permet de posséder des empires financiers dans le monde capitaliste et des actifs capitalisables au sein de plus d’une nation mondiale ; même la plus grande puissance que sont les USA lui est redevable d’une importante dette. Cette illustration par l’exemple permet de montrer qu’il n’y a aucune fatalité, encore moins pour l’Afrique et je reviendrai encore plus loin sur cette thématique.
2/ Quand vous fustigez les intellectuels africains, cher Monsieur, mon propos est de vous amener à un réductionnisme méthodologique et non à un holisme dérégulateur. Oh, c’est vrai, ce n’est qu’un ouvrage que vous vendez, pas une thèse et c’est dommage, car vous sauriez vous défaire de cette forme de banalisation de propos qui peuvent vous paraître clairs et qui, à l’analyse engendrent plus confusion et bruit dans le discours qu’une meilleure appréhension des « descripteurs » (en linguistique, ce sont des mots clés). Ce que j’entends démontrer ici, c’est que sous le prétexte que vous voulez réveiller les consciences, vous décidez de les choquer et ceci me semble préjudiciable pour vous, au-delà des quelques dizaines d’ouvrages que vous écoulerez par cet épisode malheureux. « Ce que tu es parle si fort qu’on n’entend plus ce que tu dis » disait Jean-Luc Parodi, eh bien, le positionnement que vous voulez avoir vous astreint à une certaine hauteur que vos invectives desservent. Comment pouvez-vous imaginer une seconde que les intellectuels africains s’intéressent peu à leur continent? Au-delà des intellectuels, et faute de moyens statistiques pour étayer vos affirmations, savez-vous seulement ce que représentent les transferts de la diaspora africaine à destination de leur sous-continent ? En 2008, le montant de celle-ci a supplanté l’aide au développement des pays occidentaux ?
Dans vos justifications, vous mettez en balance leur apport avec le montant de l’IDE ; l’IDE est nécessaire aux pays africains, ce n’est pas une raison (j’en conviens) pour qu’ils dussent s’en alimenter et en faire un recours excessif. Après tout, les nations africaines, aidées par les lobbies altermondialistes se battent depuis des décennies pour que l’aide au tiers-monde soit revalorisée. Quand une économie devient compétitive et que des entreprises étrangères s’y intéressent assez pour y investir, les africains ne vont pas les rejeter. Toutefois, il faut s’assigner des objectifs de rentabilité et s’y tenir. Ce que je veux dire, c’est que l’aide, comme toute dette est un levier. En termes économiques, la plupart des pays, sinon tous ont recouru à la dette extérieure pour se développer (Corée, aidée par les USA et le Japon ; Japon aidé par les USA ; Russie aidée par l’UE et les USA ; l’Europe aidée en 1947 par le plan Marshall.) Des exemples comme ceux-là sont légion et vous ne me contredirez pas. Dans votre esprit, je pense aussi que vous faîtes une confusion entre la dette extérieur qui étrangle de nombreuses économies de nations subsahariennes et l’IDE qui est une participation au capital des entreprises ; les finalités ne sont pas les mêmes.
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Henri Georges Minyem |
J’ai par conséquent du mal à penser une seconde que l’intelligentsia africaine puisse être contre-productive dans son ensemble. Ce qui m’amène à la précision méthodologique suivante. Chaque fois que vous parlez des intellos africains, vous vous tirez une balle dans le pied car, concrètement, VOUS NE VOULEZ RIEN DIRE !!! Les intellos africains, c’est qui ? Vous voulez parler de Fatou Ndiaye qui vient de recevoir le Goncourt ? Elle sait écrire, cela n’en fait pas une intello. Son frère Pap Ndiaye lui, se répand en calembredaines et autres rodomontades anachroniques sur l’esclavage en tenant les lampions de son nouveau maître Pétré-Grenouilleau ! Il aurait meilleure inspiration à se taire sur cette thématique sur laquelle il n’a pas fait ses preuves académiques. Vous parlez de qui ? de Gaston Kelman? de Calixte Bayala? de Achille Mbembe? de Georges Minyem? de Pierre Ngahane, le préfet PACA d’origine camerounaise? de Assani Fassassi? de qui parlez-vous donc ? Voyez-vous, vous sacrifiez ici encore à une exigence de précision (et donc de sérieux) quand l’on choisit de défendre une thématique aussi complexe que celle du continent africain et ce n’est pas parce que vous sortez le montant de l’IDE sur l’Afrique (sans en préciser l’année et aisément vérifiable grâce à Google) que vous en êtes devenu un spécialiste.
3/ 3 personnes sur 4 issues des minorités visibles ont un niveau de qualification d’au moins bac +2 en France; c’est l’INSEE qui le dit, propos confirmés par la Halde ; cependant, ils souffrent de discrimination. Gaston Kelman qui a rejoint le ministère Besson ne me contredira pas sur ce point. Où veux-je en venir ? Sur ceci, Monsieur d’Alayer ! Intellectuel ou pas, un africain comme toute autre personne a d’abord besoin de se nourrir en Occident, de sécuriser sa famille et de s’occuper des problèmes de son continent.seulement après. Alors, tant que les germes et les relents putrides du racisme n’auront pas disparu de ce continent, l’Europe, alors, l’Afrique se délestera de toute sa matière grise et c’est d’abord cette abjection-là qui est condamnable. Alors, l’on peut se demander : qui est le responsable ? Ici aussi, une fois de plus, il faut traiter le problème avec précaution et non à l’emporte-pièce comme vous semblez en être coutumier !
Ainsi, de mon point de vue, la responsabilité est multipolaire.
En Afrique d’abord où l’ensemble des potentats locaux, installés depuis de Gaulle (puisqu’il est en réalité le véritable père de la Françafrique (avec Jacques Foccart son fidèle homme de main) pour qui connaît l’histoire) ont pleinement joué leur rôle d’éradication génocidaire des velléités émancipatrices chez les rares visionnaires de l’Afrique lors des mascarades qu’ils baptisèrent de la trouvaille lexicale de l’époque, en l’occurrence, les indépendances. Résultat : Vous regardez la carte de l’Afrique francophone et vous dressez la liste des personnes au pouvoir. Leurs patronymes sont tellement communs qu’ils sont rentrés dans le vocable usuel des nations africaines, je ne prendrai pas la peine de les citer. Toujours est-il que ces tartuffes viennent recevoir leur bénédiction auprès de leurs nouveaux maîtres qui les confortent ou non à leurs sièges et après, il ne leur reste plus qu’à administrer les affaires courantes de manière politicienne.
En France où les responsables politiques ont fonctionné à ce jour sur un modèle traditionnel de tutelle silencieuse grâce à leur cellule africaine, sans profonde remise en cause de leur politique. Comme je ne suis pas manichéen, je dois reconnaître à François Mitterrand d’avoir organisé la conférence de la Baule au terme de laquelle fut enjointe l’impérieuse question de la démocratie aux représentants légaux africains. Ah un mot bien d’ici encore. Alors, oui, les dictateurs africains l’ont appliquée à la lettre la démocratie, en libéralisant tout parti politique qui se présentait, en en créant de complaisance et au final, en mettant tout l’appareil d’Etat au service de leur légitimité, à moins que ce ne fût le contraire. Dans tous les cas, l’un alimentant l’autre dans un ballet infernal d’auto-légitimation par l’instrumentalisation du peuple et ici aussi, ce sont les réalités de la coopération internationale des républiques bannières d’Afrique avec leur tuteur historique qui génère cette inaliénabilité de la pauvreté structurelle de l’Afrique.
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Henri Georges Minyem |
Les intellectuels africains, les vrais, sont tout autant responsables du sous-développement de l’Afrique; je parle ici des Africains, des frères africains qui ayant réussi, faisant la «Une» des journaux, perdent tous leurs repères, se défont de tout esprit de sacrifice pour se complaire dans l’illusion égocentrique que leur renvoie un Occident intéressé qui ne manquera pas de les jeter une fois l’essorage terminé. Cette réification de l’intellect est une réalité bipolaire : d’une part, elle s’alimente de l’utilitarisme de la société dans laquelle on vit (qui est d’abord consomptible, y compris en faisant de l’homme son sujet), d’autre part elle dépend du seuil d’aliénation dont est capable l’homme face à plusieurs réalités quoi s’offrent à lui. De besoin physiologique, il doit se nourrir et nourrir les siens, tout en défendant des causes fortes : le degré d’engagement des uns et des autres dépendra de l’équilibre qu’ils seront amenés à établir face au dilemme d’appartenir à un collectif nommé Nation ou alors de défendre une cause nommée patriotisme (au regard du pays d’origine). Je suis intimement convaincu que beaucoup d’entre nous faisons le choix du réalisme, en réduisant la dissonance cognitive que ces choix parfois douloureux peuvent générer dans notre conscience de nous. Cependant, en faisant le choix de l’autisme, l’intellectuel africain bien souvent sacrifie à un besoin prégnant de reconnaissance qui l’amène à se croire au-dessus du peuple, du vulgum pecus. Dans cette logique égoïste condamnable mais compréhensive, l’intellectuel africain fait du tort à l’Afrique, son continent d’origine. Pour ma part, je reste convaincu que l’articulation des deux logiques schizophrènes chez beaucoup d’Africains peut leur permettre de servir leurs deux nations : la France dont ils adhèrent aux valeurs et leur pays d’origine qui est leur destination initiale et finale pour beaucoup. C’est une question de nature et une nécessité de conjugaison des systèmes. N’oubliez pas ce que disaient en ch ur Ralph Emerson et Stuart Mill : « L’homme est à la fois unique et porteur de culture ». C’est le savant dosage de ce double héritage qui fait de lui un animal social poïkiloculturel.
L’Africain pris de manière générale est aussi responsable de son état car très souvent il a tendance à se déconsidérer et à se percevoir de manière péjorative aux yeux de l’autre. C’est cette altération de son verbe, cette image déformée, ce silence fataliste, cette résignation existentielle qui le rend co-effecteur de sa culpabilité pour sa condition. Irrémédiablement, les longs siècles de déconstruction mentale et d’endoctrinement de la colonisation après l’esclavage, les décades de déconsidération et d’humiliations forcenées ont fini par le convaincre que le savoir se trouvait chez «le blanc», alimentant ainsi sa régression mentale et confortant le blanc dans cette illusion de supériorité. Nulle surprise donc dans le fait que certains «Don Quichotte» tels que vous, envisagiez de mener le combat en lieu et place des africains qui ne font rien, en apparence. Il me semble que les africains ne refusent aucune forme d’aide étrangère à leur cause ni à leur combat, du moins aussi loin que remontent mes souvenirs. Non! Les Africains refusent que quiconque se disant amoureux de l’Afrique et lui déclarant sa flamme leur enseignent de nouveau ce qu’il faut faire et comment le faire!!! Que cette vérité soit bien intégrée par vous une fois pour toutes! Si vous voulez soutenir les Africains responsables qui veulent infléchir le destin misérable de l’Afrique, alliez-vous à eux, sans vous croire à hauteur de leur enseigner quoi que ce soit! Que je sache, les Africains qui critiquent les pays occidentaux tout en y vivant le font pour leurs conditions de vie et ne s’ingèrent pas dans la politique interne de leur pays de résidences.
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Henri Georges Minyem |
De fait, si vous aimez vraiment l’Afrique, menez-y des projets, intégrez des organisations comme celle dont je suis le président, en l’occurrence LCN (LE CAMEROUN NOUVEAU) www.lcn-cameroun.org et militez activement pour que les DICTATEURS AFRICAINS LAISSENT LA PLACE ! Une action coordonnée et complémentaire auprès des nations européennes leur fera comprendre le meilleur bénéfice qu’il y a à tirer en favorisant l’accès au pouvoir d’une nouvelle génération plus rationnelle, dont les valeurs progressistes, humaines rencontrent celles du monde vers lequel l’humanité tend depuis près de 2 siècles.
Il ressort de cet exposé qu’en vous perdant en philippiques contre les «intellos africains» (dont je reste convaincu que c’est l’illusion que leur discours a pu vous donner d’un collectif indifférencié), vous vous êtes trompé à la fois de cible car ce n’est pas eux le problème et de logorrhée cathartique, c’est-à-dire que l’effet induit par votre propos aura été de créer une scission au sein de la «communauté» africaine alors que ce n’était sûrement pas le but recherché. Dans le malheur actuel de l’Afrique (qui, je le répète haut et fort) n’est qu’intérimaire, l’inversion des paradigmes du développement requiert une nouvelle génération d’hommes et de femmes conscients et ces derniers se trouvent peut-être au sein de cette diaspora avec laquelle vous avez eu maille à partir. Sont-ils conscients de leurs apories? Je reste convaincu que plus que vous, ils en sont conscients. Quel est leur poids réel? Quasiment nul! Quelle est leur réelle capacité à changer le cours des choses? Je doute que beaucoup restent un jour de plus sur vos terres occidentales s’ils avaient la possibilité de modifier les conditions socioéconomiques de leurs pays d’origine. J’en veux pour preuve les années 1990 quand avec d’autres amis étudiants africains, nous organisions des rencontres entre multinationales installées en Afrique et étudiants africains désireux de rentrer ; vous ne me croirez pas si je vous parlais de l’affluence qui se bousculait aux portillons du CNIT ou à l’espace Champerret pour rentrer chez eux, fût-ce au prix de leur alignement sur la grille de salaire locale ! Alors, de grâce, prenez du recul avant de critiquer d’une traite une communauté dont vous ne percevez que la partie grandiloquente, instrumentale et brouillonne, l’apparence sensible qui, comme vous devez le savoir relève plus de l’apparat que de la réalité réellement existante.
Sincèrement,Henri Georges Minyem