Cette activité cause des nuisances sanitaires et environnementales à cause des émanations.
Une corne de b uf entre ses doigts, un pied sur un amas d’ossements, des asticots et des insectes alentours, Séverin s’affaire à classer son butin. « Je range les os de b ufs que je viens de ramener des boucheries, parce que ce sera ensuite facile pour allumer le feu », confie-t-il. Et l’homme n’est pas le seul à exercer cette activité à la décharge située derrière le lycée de Bépanda, dans la ville de Douala. Débuté aux aurores par les principaux acteurs, ce travail consiste à collecter les ossements des bovins (cornes, pattes, cotes.), que ces derniers déversent dans ce site proposé par les dirigeants de l’établissement scolaire. L’activité regroupe à cet endroit une dizaine de personnes sans qualification et qui, au départ, étaient à la recherche de l’emploi.
Selon certains témoignages recueillis sur place, cette débrouillardise permet à ces travailleurs de subvenir quotidiennement à leurs besoins. « Je pratique ce métier depuis près de dix ans. L’Etat n’employant plus les jeunes, je dirai que grâce à ce que je fais, je trouve mon compte. Cette occupation me permet d’envoyer mes enfants à l’école, de les nourrir et de les soigner lorsqu’ils sont malades. Grâce à ça, je parviens aussi à payer mon loyer à la fin du mois », confie Séverin. Ce dernier indique que ses collègues et lui collectionnent les restes de carcasses de boeufs dans les boucheries et les restaurants de la ville. Une activité cependant controversée en raison des nuisances qu’elle cause aux riverains qui, en plus des odeurs, souffrent des émanations de fumées.
Sur l’approvisionnement, les acteurs de la décharge affirment qu’ils ont « des contrats avec certains bouchers. Lorsqu’ils reviennent de l’abattoir, ils mettent dans un sac que nous avons déposé au préalable, tous les os qu’ils ont recueillis. A la fin de la journée, nous passons le chercher », explique un jeune homme en pleine action sur le site. En échange de ce service, le boucher reçoit « quelques pièces de monnaie », apprend-on. Mais cette collecte d’os de b ufs dans les boucheries est jugée insuffisante, d’où le recours aux restaurants et aux vendeurs de grillades. « Nous nous promenons dans les tourne-dos du dimanche, qui sont spécialisés dans les bouillons, et nous ramassons les restes que les femmes entassent dans les recoins. Il faut automatiquement assembler une bonne quantité, sinon on ne pourra pas avoir un maximum de farine d’os », poursuit-il.
Récupération
Ces restes sont en effet brûlés et vendus aux éleveurs et commerçants des produits de provende. D’après les vétérinaires, cette farine d’os constitue la matière première des aliments complets utilisés pour l’élevage. « La poudre d’os de bovins que nous achetons dans les sacs de 50g est un produit indispensable dans l’élevage. Il permet de renforcer les os des poules lorsqu’elles sont grasses. Il faut ces produits pour leur redonner la force, sinon elles vont s’affaisser sur leurs pattes. Néanmoins, nous les conseillons davantage dans l’élevage de la volaille que celui des porcins », confie Odette Kamdem, vétérinaire à Afric éleveur. Des cendres qui en plus d’être cancérigènes, ont été à l’origine de la maladie de la vache folle en Europe.
Toutefois, cette opération de calcination menée au quartier Bépanda n’est pas sans conséquence. Les travailleurs évoquent notamment l’insécurité qui règne à cet endroit. Ils soutiennent que leurs cargaisons sont souvent dérobées dans la nuit par certaines personnes, qui viendraient d’autres décharges. « Si tu déposes un sac et que tu ne le classes pas avant de partir, le matin, tu vas constater que les propriétaires sont venus récupérer leurs biens », déplore l’un d’eux. Les travailleurs parlent aussi de la collecte des os, qui devient de plus en plus difficile à cause de « l’agrandissement du secteur ». Certains bouchers à la recherche du « meilleur gain », disent-ils, ne respectent plus leurs engagements. Ils évoquent ainsi des problèmes de ravitaillement, auxquels s’ajouterait la rareté de la clientèle.
Ces ossements amassés dans des gros sacs ne sont pas faciles à transporter. L’eau qui ruisselle des sacs lors du transport, coule sur le torse du porteur jusqu’à destination. Ce liquide serait à l’origine de nombreux désagréments de la peau. Chose curieuse, ces débrouillards n’ont aucun élément de protection. Les asticots qui côtoient ces ossements ne les empêchent pas de ramasser, de trier et de les classer pour en former un grand carré. Les odeurs nauséabondes qui se répandent dans cet emplacement sont désormais leur compagnon. « Ce métier, c’est notre gagne-pain, on ne peut pas dire qu’on va contourner les risques. Nous devons faire avec, faute de mieux », soutient Séverin.
Pour Comprendre
L’incinération en plein air est un danger de mort
Selon une étude réalisée par la fédération départementale pour l’environnement de Corrèze en France, l’incinération aggrave de manière très importante la toxicité des déchets au lieu de les rendre inoffensifs, à tel point qu’il a fallu fermer 170 incinérateurs en France en l’espace de six ans. Pour cause des incinérations, le taux de cancer est significativement plus élevé.
Cancérigènes, les émanations de fumée affaiblissent le système immunitaire.
Les mâchefers sont des cendres de l’incinération qui contiennent de nombreux métaux lourds ainsi que des dioxines; ces dernières sont reconnues comme faisant partie des 10 substances les plus toxiques sur terre. L’impact des dioxines sur la santé est bien plus important que ce que l’on avait supposé, même à de très faibles doses, et en particulier chez les f tus et les nourrissons allaités au sein.
Contrairement aux produits toxiques traditionnels, la dioxine attaque et modifie le génome des cellules, pouvant transmettre des altérations lourdes à la descendance des personnes contaminées. L’incinération anarchique et en plein air produit 240 fois plus de dioxine que ce qui est autorisé aujourd’hui (0,1 mg par mètre cube de fumée).