Le gouverneur de la BEAC a échangé avec des journalistes camerounais après la deuxième réunion annuelle du comité de politique monétaire (CPM)
Nous aimerions savoir comment les différentes perspectives de croissance que vous annoncez pourront se traduire concrètement dans le panier de la ménagère et au quotidien sur la consommation ?
C’est une question pertinente. Je crois que lorsqu’il y a croissance c’est qu’il y a un regain de l’activité économique, tant au niveau national que sous régional. Tout à l’heure, j’ai indiqué que la croissance était tirée par la demande intérieure. Dans certains pays il y a eu des augmentations de salaire, dans d’autres pays il y a eu augmentation des prix soit des produits alimentaires, soit des produits de rente comme le cacao. Toujours à la faveur de la croissance, j’ai parlé des télécommunications et des services dont l’offre s’est améliorée. Donc tous ces facteurs sont autant de choses qui pourraient profiter aux citoyens de la sous-région. Je crois savoir qu’il y a eu des recrutements, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public au Cameroun et dans les autres États. Voila autant de preuves que cette croissance est positive pour les citoyens de la sous-région. Lorsqu’il y a croissance, il y a augmentation de l’activité, qui elle-même entraîne la création d’emploi. Voila donc tous les éléments qui permettent d’être optimiste, puisque tout ce qui est fait, l’est pour l’amélioration du bien être.
Dans votre propos vous parlez du regain de l’Euro (monnaie européenne) sur le Dollar américain, comme d’un facteur positif, comment est-ce que cela s’explique. D’un autre côté, cette Europe connaît aujourd’hui une crise en Grèce et au Portugal qui est qualifié de préoccupante quel pourraient en être les conséquences dans cette même logique?
J’ai parlé dans le communiqué du regain des tensions inflationnistes. Nos différents pays sont en relation économique avec l’Europe. Lorsqu’il y a récession dans une partie du monde qui représente un partenaire économique de la sous-région, cette récession peut être importée. Cela dit, si les conditions sont défavorables en Europe, on peut craindre que l’inflation par exemple n’augmente à notre niveau. Donc il y aura une inflation importée qui va se répercuter sur nous. Et pour cela, il existe plusieurs canaux de transmission. C’est la raison pour laquelle nous avons intérêt à ce que les économies européennes n’entrent pas en récession.
Vous avez parlé d’un regain de tension inflationniste, nous voulons en comprendre la source; d’un autre côté, le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) fait état de ce que les dirigeants en ce qui concerne le Cameroun, doivent être prudents, car son économie n’est pas à l’abri des chocs exogènes. Est-ce l’une des préoccupations du gouverneur que vous êtes ?
Cela ne préoccupe pas seulement le gouverneur, mais l’ensemble de la communauté. Notre souhait c’est que les banques puissent financer l’activité économique. Comme nous n’avons pas de marchés financiers suffisamment forts, on a recours au crédit bancaire. C’est dans notre intérêt au niveau de la banque centrale, de voir les banques augmenter les crédits à l’économie. C’est notre préoccupation de toujours. Nous avons pris des mesures dans ce sens. Une information qui ne rentre peut-être pas dans votre question, nous avons déjà finalisé des avant-projets de textes à ce sujet; et ils doivent être transmis aux instances qui doivent décider. Et on l’espère cela améliorera la concurrence bancaire et donc l’offre de crédit aux économies de la sous région. D’un autre côté, je n’hésite pas à donner un certain nombre d’indications aux banques, pour les financer à cet objectif de financement, lorsqu’elles tendent à préférer des placements à la banque (BEAC). Je peux être amené à refuser l’accès à certaines ressources, pour les pousser à financer l’économie, qui est l’activité traditionnelle d’une banque. Je pense pour revenir à la question que le financement du développement préoccupe réellement la banque centrale. Nous avons par exemple à ce titre, pris une part importante dans la banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), justement pour permettre qu’il y ait ce financement de l’économie. Pour ce qui est du regain des tensions inflationnistes, j’en ai longuement parlé, dans certains pays, comme vous le savez la hausse du prix du pétrole a entraîné des répercussions à la pompe. Dans certains États il y a des subventions de ces prix, il y a l’inflation importée sur l’acquisition des produits alimentaire qui viennent de l’extérieure. A ce rythme là on peut observer le marché. Si les prix ont augmentés au Cameroun qui lui-même dans la sous région est exportateur. Il y a plusieurs autres facteurs, qui expliquent les regains des tensions inflationnistes. Mais nous devons rester optimistes, parce que nous n’avons pas dépassé le seuil maximal de 3% en vigueur dans la sous région. Nous devons respecter ce critère, et nous ne pouvons pas passer sous silence lorsqu’il y a un regain des tensions inflationnistes.
Vous avez semblé annoncer l’inflation avec pessimisme, alors que si l’on la perçoit comme une augmentation de l’offre de monnaie cela peut être une bonne nouvelle, pour sa relance ?
Je crois qu’en parlant du regain de tension inflationniste je n’étais pas pessimiste. Mon devoir est d’alerter ou d’en parler lorsqu’il y a une variation sur les indicateurs. Lorsqu’il y a une reprise de l’inflation, en tant que banquier central, cela nous préoccupe, parce que notre objectif est aussi de lutter contre l’inflation. Peut-être que celle-ci n’est pas trop grave mais cela pourrait le devenir. Sinon, les autres indicateurs macroéconomiques sont positifs.
Pourquoi maintenir les taux directeurs, alors que le risque pervers est justement que les banques centrales ne prêtent plus dans la marché interbancaire peu bénéfique et se contentent des actions comme souscrire aux émissions de titres publics, ou octroyer des prêts syndiqués au profit d’entreprises dont l’approvisionnement du marché local reste très limité?
Je dois dire que nous ne fixons pas des taux. Aujourd’hui on constate que la tendance est au maintien, peut-être sauf au niveau de la banque centrale européenne (BCE) qui a récemment donné un signal. Donc que ce soit nous ou toutes les autres banques centrales, ont maintenu leur taux. Ceci parce que nous sommes dans l’attente, pour voir comment la crise évolue. Nous décidons en tenant compte de la situation des autres régions économiques partenaire de la notre, comme l’union européenne, la Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Donc aujourd’hui, la prudence est de mise. On préfère maintenir les taux.
Est-ce qu’il y a un risque qu’il y ait rupture dans la chaîne de transmission entre les différentes banques, cet effet là peut effectivement être envisagé, mais cela n’a pas été nécessairement démontré pour ce qui est de notre sous-région. On note effectivement que les banques sont sur liquides (Trop d’argent). Dans ce cadre il y a un autre projet que nous pilotons, et qui certainement sera mis en uvre cette année, c’est la politique sur le projet de titres publics à souscription libre. Nous pensons que lorsque les États vont se financer entre eux, le recyclage de l’excédent de liquidité pourra se faire dans le cadre de ce projet et la BDEAC devrait y jouer un rôle important. L’objectif étant d’étendre les interventions dans les différentes économies.
Le Tchad est aujourd’hui dans la dynamique d’un emprunt obligataire. L’année dernière le Cameroun a aussi eu recours à ce mécanisme et le fera encore probablement cette année. Il y a là, comme un phénomène de mode et d’entraînement. Quel est le regard la banque centrale sur tout ça ?
La banque centrale ne peut que se réjouir de voir comment les États se financent par l’épargne publique, plutôt que de faire des déficits. Ce sont des emprunts à moyen et long terme, donc c »est une bonne décision des états. Quant aux des garanties, nous veillons à ce que les banques respectent toutes les normes prudentielles lorsqu’elles souscrivent à ces emprunts. Fusse-t-il pour soutenir les États, on ne va pas laisser les banques violer les normes relatives aux ratios imposés par la réglementation en vigueur. Nous ne pouvons que nous en réjouir donc que les États se finance au moyen de l’épargne local. Nous espérons que le projet sur le financement libre soit validé cette année, cela rendra encore plus simple, le financement de l’économie. En ce moment là la banque interviendra, en sa qualité d’intermédiaire des États. Mais pour l’instant, ces États se financent sans l’intervention de la banque centrale, et c’est une bonne chose.
