Il devient à partir de ce vendredi le nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali, et le chef de la Minusma
Le Tchadien Mahamat Saleh Annadif est le nouvel homme fort de l’ONU sur l’échiquier malien, toujours en proie à la guerre. Il devient à partir de ce vendredi le nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali, et le chef de la Minusma. Fin diplomate, il possède une vaste expérience nationale et internationale.
Depuis 2012, à la suite d’une rébellion touarègue revendiquant l’autodétermination du territoire de l’Azawad et la prise de contrôle du nord du Mali par des groupes djihadistes liés à al-Qaïda, le Mali est en guerre pour reprendre le contrôle de son territoire.
En janvier 2013, une offensive jihadiste salafiste sur les villes de Ségou et Mopti provoque l’entrée en guerre de la France, avec le lancement de l’opération Serval, et de plusieurs pays africains de la Cédéao, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest dans le cadre de la Misma, la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. Les islamistes sont repoussés dans le nord du pays et doivent progressivement abandonner de nombreuses bases reconquises notamment par les forces franco-tchadiennes.
Le 18 juin 2013 le gouvernement de transition du Mali signe un accord de cessez-le-feu avec différentes forces rebelles (MNLA, HCUA, MAA) qui permet la tenue de l’élection présidentielle dans le nord du pays. L’ONU prend le relais de la Misma et met en place la Minusma. Les affrontements reprennent en mai 2014 et après plusieurs mois de combats, un accord de paix, l’Accord d’Alger, est conclu le 15 mai et signé le 20 juin 2015. Mais cet accord de paix ne met pas un terme aux actions de guérilla qui continuent de fragiliser et de meurtrir le Mali.
La gestion de la Minusma dans un contexte sécuritaire tendu
Depuis son déploiement au Mali en juillet 2013, la Minusma, créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations unies, a eu plusieurs mandats. De juin 2014 à juin 2015, sa mission a consisté en priorité à faciliter le règlement politique et à étendre sa présence dans le nord du pays. Son deuxième mandat qui lui a été confié, pour la période de juin 2015 à juin 2016, consiste principalement à soutenir la mise en uvre de l’accord de paix sur le plan politique et sécuritaire.
Pour y parvenir, elle est autorisée par l’ONU à disposer de 12 640 personnes, dont 11 240 soldats. Or, d’après le rapport de Ban Ki-moon du 16 décembre 2014, les effectifs seraient de 10 638 soldats, dont plus de 1 100 Tchadiens qui constituent l’un des contingents les plus importants, après le Burkina Faso et le Bangladesh. Mais cette mission de maintien de la paix de l’ONU se révèle la plus coûteuse en vies humaines depuis la Somalie avec 60 morts en deux ans et demi.
Au niveau de son commandement depuis son installation au Mali, la Minusma a déjà usé un commandant en chef, le Rwandais Jean-Bosco Kasura (parti au bout de 18 mois) et trois adjoints au chef de la mission : le sénégalais Abdoulaye Bathily, le Béninois Arnaud Akodjenou et l’Américain David Gressly. Au niveau de sa direction, Mahamat Saleh Annadif devient le troisième chef de la Minusma dans cette courte période d’existence. Le premier de 2013 à 2015, le Néerlandais Bert Koenders avait été rappelé aux Pays-Bas pour occuper le poste de ministre des Affaires étrangères. Le second de janvier 2015 à janvier 2016, fut l’ex-ministre des Affaires étrangères de Tunisie, Mongi Hamdi, dont la gestion était critiquée par plusieurs pays qui évoquaient ses mauvaises relations avec le gouvernement du président malien Ibrahim Boubakar Keita (IBK), son manque de poigne dans la crise et ses difficultés à gérer la Minusma.
C’est donc dans ce paysage difficile que débarque Mahamat Saleh Annadif dont les talents diplomatiques et l’expérience dans des processus de paix au Niger, en République centrafricaine et en Somalie, sont très attendus.
Qui est Mohamat Saleh Annadif ?
Né le jour de Noël 1956 à Arada (nord-est du Tchad) dans une grande famille musulmane de la communauté arabe de la région de Biltine, Mahamat Saleh Annadif, aujourd’hui marié et père de six enfants, a une image de sage et d’habile négociateur comme le démontre son parcours. Après avoir décroché un Bac C avec mention très bien, il part à Madagascar faire ses études et revient au Tchad en 1981 avec un diplôme d’ingénieur des télécommunications.
Le retour est douloureux : les événements de 1979-1980 ont ébranlé le pays et le jeune Mahamat Saleh Annadif adhère au Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) d’Ahmat Acyl (le chef « charismatique » des Arabes tchadiens) et passe à la rébellion en 1982 après que Hissène Habré se soit emparé de N’Djamena. Un mois plus tard, à la mort d’Ahmat Acyl, il devient le numéro trois du CDR (dirigé alors par Acheikh Ibn Oumar). Il s’occupe des relations avec le pays d’accueil qu’est alors la Libye de Kadhafi et se révèle être un habile diplomate.
En 1987, il négocie secrètement avec le pouvoir tchadien grâce aux bons offices de Tarek Aziz alors ministre irakien des Affaires étrangères. A l’issue de l’accord de Bagdad début 1989, il est nommé Secrétaire d’Etat à l’Agriculture dans le gouvernement de Hissène Habré.
L’homme de confiance d’Idriss Déby
A la chute du régime de Hissène Habré en décembre 1990, il parvient à rebondir auprès d’Idriss Déby, le nouveau président du Tchad, qui lui confie dès janvier 1991 la direction des Télécommunications internationales du Tchad (TIT), et un peu plus tard, la direction de l’Office national des postes et télécommunications (ONPT).
En 1993, il crée avec le mathématicien Ibni Oumar Mahamat Saleh, originaire comme lui du nord-est du Tchad, le Parti pour les libertés et le développement (PLD), proche du gouvernement.
Nouvelle preuve de confiance du président tchadien : il est nommé en 1997 ministre des Affaires étrangères du Tchad et le restera pendant six ans jusqu’en 2003. Mais durant son mandat, il sera confronté à un choix sans appel. Car en 1999, Ibni Oumar Mahamat Saleh décide de se présenter à l’élection présidentielle de 2001 contre Idriss Déby. Mahamat Saleh Annadif devra choisir entre Ibni Oumar Mahamat Saleh, son compagnon du PLD, et le président Idriss Déby.
Dans un contexte de crise, alors que tous les ministres membres du PLD démissionnent du gouvernement, Mahamat Saleh Annadif reste ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Idriss Déby et rompt avec Ibni Oumar Mahamat Saleh qui devient le numéro un de l’opposition. Plus tard, le 3 février 2008, son ancien compagnon Ibni Oumar Mahamat Saleh sera enlevé à son domicile par des militaires et disparaitra dans une prison du régime.
A la faveur d’un remaniement en 2004, Mahamat Saleh Annadif devient le directeur du cabinet du président. En juin 2005, le président de la commission de l’Union africaine (UA), Alpha Oumar Konaré, sollicite le président du Tchad de « bien vouloir mettre à sa disposition son ancien ministre des Affaires étrangères, M. Annadif, pour sa grande connaissance des problèmes internationaux et sa remarquable expérience, en vue d’occuper le poste très sensible de représentant de l’Union africaine auprès des Nations unies ». Le président accepte de s’en séparer en mai 2006 pour occuper le poste de représentant permanent de l’Union africaine auprès de l’Union européenne à Bruxelles, mais il le récupère en mars 2010 pour le nommer secrétaire général à la présidence.
De la présidence à la prison
L’ascension de Mahamat Saleh Annadif prend un violent coup de frein en avril 2012. Soupçonné de malversations dans une affaire concernant un détournement de plus d’un milliard de Francs CFA appartenant à la direction générale des grands projets présidentiels, il est arrêté et enfermé dans le camp-prison de Moussoro au milieu des dunes du nord du Tchad. Durant sa détention de trois mois pour complicité de détournement de fonds publics, il clamera son innocence. De nombreuses voix à l’international s’élèveront pour le faire sortir et il est libéré le 17 juillet pour vice de procédure.
Mahamat Saleh Annadif tournera la page de cette affaire très compliquée avec le pouvoir de N’Djamena et dira un an plus tard à la journaliste Ghislaine Dupont de RFI [assassinée le 2 novembre 2013 avec Claude Verlon lors d’une mission à Kidal au Mali, ndlr] : « Dès le départ, je savais que le président Déby avait été induit en erreur. Les coupables, qui se reconnaîtront, ont sûrement la honte de leur côté. Idriss Déby a tourné la page, tout cela est derrière nous ».
Le diplomate des missions difficiles : de la Somalie au Mali
Mahamat Saleh Annadif dont les talents diplomatiques sont reconnus par tous est nommé représentant spécial du président de la commission de l’Union africaine en Somalie et chef de l’Amisom, la mission de l’Union africaine en Somalie de novembre 2012 à juillet 2014. Un poste qu’il occupera avec un certain succès et qui contribuera aussi à sa nomination comme chef de la mission de l’ONU au Mali.
Dans une interview au journal du Tchad le 18 décembre 2015, Mahamat Saleh Annadif évoquait sa nouvelle mission à la Minusma dans ces termes : « Ma première tâche est de réconcilier les Maliens avec la Minusma, qui est après tout, déployée pour les servir. Le deuxième élément : il y a des partenaires impliqués dans la crise malienne notamment les pays voisins, comme l’Algérie, qui a un rôle important à jouer et toute la Cédéao, et aussi des partenaires de poids tels que la France avec l’opération Barkhane, l’Union européenne et tous les pays contributeurs au Mali dont mon pays le Tchad, pour savoir ce qu’ils attendent de moi (…) Vraiment mon premier trimestre sera de comprendre, d’apprendre et de convaincre de la nécessité de la présence de la Minusma. Après cela, j’établirai mon planning, pour savoir quels sont les grands axes de mon action ».

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