Le spectre de la fièvre plane. Du coup, les viandes de porc-épic, de pangolin et de chauve-souris, n’attirent plus les accrocs abonnés à l’arrêt de Makénéné. Le constat d’Intégration
Pas vraiment facile de se défaire de l’allure usinière de la gare routière de Makénéné (Cameroun). C’est la borne que l’on franchit à plus d’une heure et demie de route à partir de Yaoundé. L’endroit a gardé son brin du panache de jadis. Là, une ode savoureuse au gibier se livre au voyageur, en majesté. Les marmites se sont toujours exprimées avec un sens précis que révèlent des menus pleins de bons sens, des trucs qui lui ont fait gagner de l’estime. Aussi, en partant d’autres localités camerounaises pour Makénéné, on est ivre d’un rêve: dévorer de bon c ur tout ce que les marmites peuvent offrir comme viande de brousse. Ici, on peut manger la hure de sanglier, des ragoûts d’écureuils, de singes†magistrats, des rôtis de jarrets de biches.assortis de pommes de terre. Cette mi†journée du 13 août 2014, le prestige de cette étiquette s’est considérablement écorné. Aujourd’hui, dans ce bazar hétéroclite, certains menus n’ont plus rien d’enthousiasmant. Ce jour, pas de porc†épic, encore moins de pangolin ni de chauve†souris. A l’aide d’une louche de bonne taille, seule une restauratrice lève des morceaux de porc épic, couleur de rouille et de très grandes dimensions. Pour un prix dérisoire : 300 francs Cfa. Depuis que le gibier a été stigmatisé par l’Organisation Mondiale de la Santé comme vivier probant du virus de la fièvre Ebola, les offres en porc†épic, pangolin et chauve†souris ne rivalisent plus de prouesses qualitatives. La semaine dernière, rapporte†t†on, plusieurs femmes ont jeté les contenus de leurs marmites à la décharge municipale, située à un jet de pierre de la gare routière. Elles avaient eu vent d’une probable descente des agents phytosanitaires de la mairie dans les comptoirs.
Paradoxe
«On nous a fait savoir que c’est à travers eux que le microbe responsable d’Ebola se transmet. Nos livreurs (chasseurs, Ndlr), ne nous les vendent plus. De même, ici à la gare routière, les clients en provenance de Douala particulièrement nous rapportent que c’est dangereux…Il paraît qu’on a interdit le gibier là†bas. Pour les vendre ces derniers temps, ce n’est pas facile. De là, vous comprenez pourquoi il n’y en a pas sur notre marché ». Sur l’horizon d’un présent qui fait pièce aux contradictions d’un passé, le virus de la fièvre Ebola a structuré le marché et la consommation de la viande de brousse à Makénéné. Il y a peu, ce qui se réduisait aux seules anecdotes entre vendeuses et consommateurs est devenu le reflet troublant mais régulateur de l’escale de Makénéné. La nouveauté apportée par les acteurs de la chaîne consiste aujourd’hui en un élargissement du champ d’inspiration.
Sur la base d’informations officielles, chasseurs, restaurateurs et clients revendiquent pour le porc épic, le pangolin et la chauve†souris, le don d’abriter le virus d’Ebola. Ici à Makénéné, ce raisonnement procède d’une conviction sincère : « Depuis des années, depuis les temps anciens, nos parents et grands-parents nous ont toujours dit que la viande de porc épic est dangereuse. Savez†vous pourquoi certaines parties de cet animal sont amères ? », confie Louis Calvin Koung. Evaluant le degré de sérieux de sa déclaration, ce chasseur estime qu’il n’y a qu’à observer que lors des parties de chasse, ses chiens la boudent. Selon Louis Calvin Koung, quand ses fauves sont lancés dans la recherche de la moindre d’information olfactive, ils répugnent de suivre les porcs†épics. De fait, on croit ici que, même les rigueurs excessives de l’hygiène n’éliminent pas les germes nocifs que ces animaux portent en leur sein. Chez les nombreux restaurateurs qui par le passé dégageaient d’énormes bénéfices de la vente des parties de ces espèces, on ne les évoque plus que sur un ton dédaigneux : «La chauve†souris, le porc†épic et le pangolin sont déjà démodés. Les connaisseurs disent que ce sont eux qui contaminent les hommes qui en consomment», balance Simplice Simo.
Et comme pour rassurer la colonie de clients, il n’hésite pas à mettre en avant le fait que dans ses marmites, il n’y a pas de «morceaux suspects». Plus simplement en tout cas, la menace que constitue Ebola a remis au goût du jour un courant d’idées. Il s’agit d’un formidable tissu d’images pittoresques ou fantastiques collées au porc épic: «Il est amer, sucré.Pala pala». En pétrissant cette vision, en multipliant les comparaisons avec d’autres animaux, les trois espèces se complaisent désormais dans leur statut de viande de second rang. A l’ombre d’autres espèces, bien évidemment. Les restaurateurs de Makénéné ont pris à leur compte tout ce qui se dit autour de ces animaux. Modifiant automatiquement leurs habitudes d’achat de gibiers et se découvrant des talents de vétérinaires : «Nous ne pouvons plus acheter le porc†épic et le pangolin.N’en parlons pas de la chauve†souris. Parce que lorsqu’il y a Ebola et quand il y a épidémie, nous déconseillons ces viandes même à nos clients parce que le virus peut passer d’une espèce vers une autre».
