Le philosophe camerounais, qui s’est toujours opposé à l’idée d’une philosophie africaine, a rendu l’âme le 02 juillet 2014 à 83 ans
Malade depuis plusieurs mois, Marcien Towa a rendu l’âme hier aux environs de 12h00 à Yaoundé. Son nom seul impose encore du respect dans les amphithéâtres des universités camerounaises, même à 83 ans, l’âge qui a vu son départ sur terre, la geste intellectuelle de Marcien Towa demeure magnifiée. «C’était quelqu’un de très grand intellectuellement», a déclaré le Pr. Lucien Ayissi chef du département de Philosophie à la faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé I, première université publique camerounaise, au lendemain de l’annonce du décès de cette éminence grise.
Le Pr. Rachel Bidja, chef du département de philosophie à l’université de Douala a témoigné à l’endroit de cette icône du respect et de l’admiration et confié par ailleurs qu’elle est en train de travailler sur l’ensemble de son uvre. «La famille philosophique camerounaise perd l’un de ses animateurs des premières heures», a reconnu ému le Pr. Ebénezer Njoh Mouelle, un autre monument de la discipline. Et pour cause.
Lorsque l’on cite le nom de Marcien Towa, c’est pour mettre ses idées en regard avec celle de ces intellectuels dont la pensée a irrigué les cercles des sciences humaines pendant la deuxième moitié du XXe siècle : Frantz Fanon, Paulin Hountondji, Aimé Césaire, Fabien Eboussi Boulaga et autres dinosaures.
Si Marcien Towa est devenu célèbre, c’est grâce à une pensée originale à rebours de l’idée séduisante de la négritude défendue par Léopold Sedar Senghor ou de la philosophie bantoue du père Placide Tempels. En clair, Marcien Towa était contre toute vision ethnocentrique du vécu de l’Africain. On sait que l’un des classiques qu’il a écrit: «Léopold Sedar Senghor : Négritude ou Servitude» publié aux éditions Clé en 1971 était en fait la quintessence de sa thèse de doctorat soutenu à la Sorbonne le 4 février 1969.
Son doctorat d’Etat en philosophie, il l’obtiendra cependant en juillet 1977, toujours à la Sorbonne avec une recherche menée sur les thèmes de l’identité et la transcendance. Ses positions contenus dans son doctorat d’Etat ont été publiées dans l’ouvrage : «L’idée d’une philosophie négro-africaine», aux Editions Clé en 1979. Travaux tous reliés par l’idée que l’ethnophilosophie reconnu par certains aux Africains constituait une antiphilosophie.
Un contemporain s’étonnait du fait qu’il y a de plus en plus de philosophes et beaucoup moins de philosophie. A cet égard, Marcien Towa était de ceux qui philosophaient encore. A l’heure où l’Africain semble perdre ses repères avec ces identités plus marquées, ces replis communautaires plus aigus et ces discours panafricanistes qui semblent conduire vers une impasse (sur ce point, lui-même était un fervent défenseur de l’union de l’Afrique à la Nkwame Nkrumah), la pensée de Marcien Towa est plus que d’actualité, en attendant qu’elle soit dépassée par un autre maître. Marcien Towa est mort, vive Marcien Towa !
Eléments de biographie:
1931 : Naissance à Endama, dans le département de la Lékié au Cameroun
1955 : Reçu au Baccalauréat, série philosophie au Grand séminaire d’Otélé
1977 (juillet) : Thèse de Doctorat d’Etat à la Sorbonne présenté sur le thème : «Identité et Transcendance»
29 janvier 1993 – 21 octobre 1993 : Recteur de l’Université de Yaoundé II
Janvier 1996 – juin 2002: Maire de la Commune Rurale d’Elig-Mfomo
02 Juillet 2014 : Décès à Yaoundé
Ouvrages :
– Léopold Sedar Senghor : Négritude ou Servitude, Yaoundé, Clé, 1971
– Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1971
– L’idée d’une philosophie négro-africaine, Yaoundé, Clé, 1979
– Identité et transcendance, Paris, L’Harmattan, 2011
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