Le livre du camerounais Romuald Ntchuisseu est une contribution importante de l’ uvre d’une romancière que la critique présente comme l’une des plus grandes du XXe siècle
La dénonciation du colonialisme, passée à l’examen par cette étude, participe des centres d’intérêt et des éléments d’actualité de cette publication en contexte de commémoration des cinquantenaires des indépendances africaines. Articulée autour de la notion de révolte, qui caractérise par ailleurs l’écriture et le vécu de Marguerite Duras, cette production se propose de montrer, à la fois, comment l’auteur d’Un Barrage contre le pacifique esthétise la dissidence et parvient à faire de l’écriture un objet de dissidence. Ainsi posée, cette problématique semble hardie, car Ntchuisseu Ngock ne se contente pas alors d’une simple démarche descriptive, qui se limiterait à dévoiler les ressorts de la dissidence dans les uvres en présence. Même si, de ce point de vue, son mérite n’aurait pas été moins grand, parce qu’en cette occasion, l’auteur fait montre d’une très grande habileté dans l’observation des faits textuels. Mais cette exégèse trouve encore toute sa pertinence dans sa perspective analytique, en ce sens que son auteur relève chez Marguerite Duras une quasi fusion entre son écriture et sa vision du monde. En ce sens, Ntchuisseu Ngock estime que l’écriture de Duras est celle de la déconstruction de l’ordre social : celui de la misère, de la colonisation, de la bourgeoisie, des injustices de la nature, etc. C’est ce constat qui conduit la romancière à une révolte dont les conséquences se mesurent à l’aune de l’anticapitalisme, l’antipatriotisme, la délégitimation de l’autorité publique, le refus du modèle familial, etc.
Pour le critique, le projet de Duras s’écrit à travers un style détonant, une intrigue discontinue, un espace éclaté et une temporalité plus psychologique que chronologique, des personnages qui ressemblent à des ombres errantes, à l’image du marin de Gibraltar. Manifestement, l’on se trouve ici éloigné du roman balzacien, dont le style est sobre, l’intrigue linéaire, des personnages typifiés, un temps et un espace qui corroborent la socialité ambiante. Fort de ce constat, le critique interroge cette double révolte durassienne, sociale et esthétique, à travers ce qu’il appelle une lecture axiologique, pour savoir si elle a enfin de compte abouti à une révolution. De son point de vue, l’écriture de Duras a, d’une part, révélé l’impuissance de l’homme, et, d’autre part, elle constitue une pseudo-révolution, parce qu’on y perçoit d’ailleurs une sorte de défaitisme de la romancière. À l’observation, on pourrait davantage retenir de cette romancière l’image d’une anarchiste qui ne s’accommode d’aucune discipline. Il s’agit d’une femme en rupture avec sa société, et qui traduit son exacerbation à travers l’écriture qui se pose dès lors chez elle comme une thérapie. De la sorte la révolte de la romancière pourrait être perçue à travers le triptyque liberté, libération, libertinage. Au demeurant, ce texte que propose Romuald Ntchuisseu Ngok, outre sa qualité éditoriale, dévoile les qualités de critique littéraire de son auteur, notamment par son regard englobant et la pertinence de ses intuitions et ses interprétations. En prenant à bras le corps la démarche thématique, son aspect de lecture des formes pour la détermination des significations, le critique a réussi le pari épistémologique qui régule toute analyse littéraire. Enfin, cet ouvrage constitue une somme pour la saisie de l’ uvre intégrale de Marguerite Duras, bien qu’il ne soit fondé que sur deux textes de cette romancière. Cela révèle tout le mérite du critique qui, à partir d’un cas, a su faire une généralisation qui n’est guère dans ce contexte abusive.