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Maurice Kamto : « au Cameroun les voyants sont au rouge »

Le président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, de passage à Paris, a accordé un entretien au journal Libération.…

Le président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, de passage à Paris, a accordé un entretien au journal Libération. Alors que 124  militants de son parti croupissent en prison, depuis un an, il persiste à suivre une voie pacifique, dans un pays déchiré par la présence de groupes islamistes dans le Nord et sécessionnistes dans les régions anglophones.

Journal Libération – Quelle est la situation du Cameroun aujourd’hui ?

Maurice Kamto – Tous les voyants sont au rouge. Sur le front sanitaire par exemple, le pays ne s’est pas relevé du «Covidgate» : le Fonds monétaire international avait accordé un moratoire de trois ans sur le remboursement de la dette, afin que cet argent serve à lutter contre la pandémie. Mais l’argent s’est volatilisé, comme l’a confirmé la Cour des comptes. C’est la même chose pour les préparatifs de la Coupe d’Afrique des nations (Can)  déjà reportée en 2019 car le pays n’était pas prêt.

Or aujourd’hui, le grand projet de stade à Yaoundé reste largement inachevé, alors que la Can est prévue début 2022. Depuis 10 ans, seuls 40 kilomètres ont été construits pour la nouvelle autoroute entre Yaoundé et Douala (les deux principales villes  du pays). En pleine brousse ! C’est absurde. Des sommes folles sont officiellement affectées à des infrastructures qui ne voient jamais le jour. Tout le pays est en état de déliquescence.

La situation sécuritaire semble également préoccupante…

Plus que jamais. Dans l’Ouest, la guerre contre les sécessionnistes anglophone (qui a démarré en 2016) a déjà fait entre 600000  et 800 000 déplacés internes, souvent livrés à eux-mêmes. Ce qui fait exploser la prostitution. 40 000 personnes se sont également réfugiées au Nigeria voisin. Le conflit prend une nouvelle ampleur. Au cours des quinze derniers jours, 15 militaires ont été tués, un véhicule de l’armée a été défoncé par un obus. Les sécessionnistes ont de nouvelles armes, plus puissantes. Même le ministre de la Défense l’a reconnu, en déclarant récemment que la guerre change de paradigme.

Pourtant au départ, les revendications étaient modestes : des avocats anglophones défilaient pour adapter  le code des affaires en version anglaise, des profs voulaient préserver l’enseignement en anglais. Mais au lieu de discuter avec eux, le régime a préféré tirer sur les manifestants désarmés, précipitant les modérés dans les bras des sécessionnistes.

Dans le Nord, la situation est tout aussi préoccupante avec la reprise récente des attaques des islamistes de Boko Haram. Même si la la situation n’est pas aussi grave qu’en 2015, ils recrutent hélas facilement sur le terreau de la pauvreté alors que tous les projets de développement ont été arrêtés.

Comment réagit la communauté internationale face à ces dérives ?

C’est assez surprenant. Sur des crises moins graves, l’ONU et l’Union africaine (UA) s’impliquent de façon plus visible. Au Tchad, après le décès inattendu du président Idriss Déby, en avril et la prise de pouvoir par son fils, l’UA a nommé un représentant spécial.

La crise anglophone a déjà fait 3000 morts officiellement, certainement le double en réalité, et pourtant la communauté internationale se contente de déclarations inquiétantes. Michelle Bachelet, la haute-commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme s’est rendue à Yaoundé en 2019. Et alors ? Rien n’a bougé. Elle a même accepté de recevoir une médaille des mains du régime, alors que je me trouvais en prison.

La France semble tout aussi discrète…

Je crois que le président Emmanuel Macron a joué un rôle dans ma libération en octobre 2019, et je l’en remercie. Cela montre que la France a encore de l’influence. Mais je sens aussi une défiance par rapport à quelqu’un comme moi. Je n’avais pourtant des coups à prendre en m’engageant en politique. Mais Paris semble trop souvent s’en tenir au credo d’une prétendue « stabilité » et veut surtout préserver les entreprises françaises sur place. Tous les grands groupes français sont présents au Cameroun.

Mais c’est une vue à court terme. Aujourd’hui, le principal créancier du Cameroun, c’est la Chine. Or c’est le président Paul Biya et non Maurice Kamto qui a fait venir les chinois. La France devrait mieux prendre en compte les dynamiques en cours, s’intéresser aux alternances politiques. En ce qui me concerne, depuis les élections de 2018, malgré mes demandes répétées, je n’ai jamais été reçu par le Quai d’Orsay.

Au moins 124 militants de votre parti, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, sont en prison depuis un an. Quelle stratégie reste-t-il à l’opposition camerounaise ?

Moi, je n’ai pas d’armes, je n’ai pas de milice. J’ai toujours défendu une voie légaliste et pacifiste. C’est même écrit sur les pagnes de notre parti : « Nous voulons le changement dans la paix et par les urnes ». Ce n’est pas évident. Après les élections de 2018, nous avons été devant le Conseil constitutionnel et nous avons apporté la preuve que les procès-verbaux de 32 départements sur 58 étaient des faux.  Nous avons épuisé tous les recours institutionnels et juridiques, sans résultat.

Depuis la manifestation pacifique du 22 septembre 2020, une partie de non sympathisants sont en prison. Nous ne connaissons même pas les charges qui pèsent contre eux, ni même pourquoi 116 d’entre eux seront traduits devant un tribunal militaire. Début septembre, leurs avocats ont jeté l’éponge, considérant que la défense était impossible dans ces conditions. Même nos initiatives les plus désintéressées  sont rejetées.

Quand je propose d’acheter des masques et du gel pour les donner au ministre de la Santé, celui-ci refuse, préférant sacrifier la lutte contre la pandémie plutôt que de me laisser contribuer. Malgré tout, il faut tenir. Continuer à réclamer la réforme du code électoral, qui autorise  par exemple l’instance chargée des élections à garder seule pendant quarante-huit heures tous les PV électoraux.

C’est la voie royale pour truquer les résultats. Nous venons de créer une plateforme rassemblant sept partis d’opposition et nous allons faire des propositions pour réformer le code électoral. Nous persistons à essayer d’instaurer un débat.

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