Les chefferies traditionnelles spontanées émergent au jour le jour conduisant les pouvoirs publics à réagir
Quoi de mal à avoir un chef à la tête de chaque regroupement communautaire ? Certainement, on n’en voit aucun. Mais depuis quelques mois déjà, la région de l’Adamaoua est devenue un véritable bastion de chefferies traditionnelles. L’ Adamaoua est envahi par une pluralité de chefferies traditionnelles représentant chaque groupe ethnique. Une pilule que les pouvoirs publics ont du mal à avaler. Les autorités locales parlent alors des chefferies traditionnelles spontanées. Spontanées parce que selon ces autorités, elles naissent selon la volonté de certaines personnes sans préavis et sans consultation des administrateurs censés leur attribuer le titre de chefferie de troisième degré.
Trop de dirigeants désacralisent le pouvoir ?
Selon certains avertis, il s’agit d’une prise en otage du pouvoir réel de l’Etat. L’on craint le recours à un traditionalisme conservateur avec une justice arbitraire conduisant à la limite, à une absence ou à un abandon de l’administration légalement connue par tous. La question qui taraude les esprits aujourd’hui est celle de savoir d’où vient cette réclamation spontanée des pouvoirs traditionnels, et pourquoi cela est-elle une particularité de la région de l’Adamaoua ? L’histoire géopolitique de cette circonscription porte d’effets considérables sur son fonctionnement sociologique aujourd’hui. Les conquêtes islamo-peuhles notamment celle conduite par Modibo Adama (d’où le nom Adamaoua) ayant reçu son étendard du redoutable Ousman dan Fodio dans les années 1830, viennent ravir la vedette d’occupation aux peuples autochtones MBUM alors majoritaires. Du coup, les influences sociopolitiques se multiplient de parts et d’autres. La philosophie de l’administration islamo-peuhle semble être à l’origine de leur succès. C’est dans cette logique que les regroupements ethniques se multiplient. Traditionnellement, la ville est organisée autour d’une autorité locale appelée lamidat, à la fois chef spirituel et séculier, détenteur d’un pouvoir sacré et garant d’une organisation psycho-sociale paisible. Mais avec la provincialisation, puis la régionalisation de la ville dans le cadre de la politique du renouveau incarnée par l’actuel Chef de l’Etat Paul BIYA, la réalité se veut tout autre. Avec la mise en place d’une administration politique moderne, le pouvoir traditionnel a été relégué au troisième degré. L’attribution même de ce statut requiert d’abord certaines conditions historiques et sociologiques. La politique de la décentralisation vient toutefois limiter le pouvoir du Chef traditionnel : on parle de l’auxiliaire de l’administration chargé de régulariser certains processus notamment celui des consultations électorales ; celui qui peut garder l’urne par exemple. De toutes les façons, la valeur du pouvoir du troisième se pérennise dans les consciences locales et cela ne reste pas sans conséquences. C’est pourquoi l’Etat veut mettre de l’ordre.
La réaction du pouvoir public face aux conséquences de la pluralité des chefferies traditionnelles
L’émergence des chefferies traditionnelles dans la région de l’Adamaoua génère des conflits. Il est question beaucoup plus de conflits territoriaux. Il y a généralement une confusion notoire sur l’occupation de l’espace où se circonscrit chaque chefferie. Certaines emboîtent sur l’espace des autres regroupements ethniques. Précisément, il s’agit d’une anarchie totale. Le décret de 1995 interdit strictement la création de toute chefferie de troisième degré. Mais les concernés font toujours la sourde oreille. Le gouverneur de la région de l’Adamaoua Abakar AHAMAT se saisit de ce dossier hautement sensible si l’on s’en tient à la représentation symbolique du pouvoir traditionnel dans cette partie du Cameroun : « Je ne cautionne pas le concept. C’est la décision. Quand un village est crée, il lui faut un chef, mais sur quel base le nomme t-on ? J’ai demandé à tous les sous-préfets de faire un listing des chefferies traditionnelles spontanées créées depuis 1995. Ce sont des chefferies occupant les territoires des gens, il faudrait un texte pour les réglementer afin de mettre de l’ordre ». La situation reste préoccupante actuellement. Elle est d’ailleurs un frein à la transparence sociale, et à l’émergence d’une société homogène. Le système appliqué par certains chefs traditionnels ne cadre en aucun cas avec la politique de la bonne gouvernance de l’Etat du Cameroun. Il ne vise qu’à couvrir les intérêts égoïstes des uns et des autres, ou d’un groupe quelconque. Si rien n’est fait, cela entraînerait des gros risques d’ici quelques années, comme des conflits ethniques parfois meurtriers.