Par Olivier Bilé, PHD, Président du Bureau Exécutif National de l’ Ufp
M. Le Directeur de publication, dans votre parution du mardi 20 janvier 2014, votre journal affirme sans la moindre réserve que les partis politiques sont absents du débat public. Sans m’ériger en avocat de tous les acteurs politiques, cette sortie de votre rédaction, qui me semble fort discutable, me donne l’occasion inespérée d’exprimer ce que je pense à propos de cet éternel procès en immobilisme qui est fait à nos partis, alors même que la réalité de notre environnement médiaticopolitique est bien plus complexe que cela. Je suis d’autant plus à l’aise d’apporter une contribution que j’espère utile et constructive à ce débat, que ni l’UFP mon parti ni moi-même, n’avons été nommément épinglés dans ce dossier par vos reporters à qui notre présence et notre visibilité médiatiques sur les grands sujets, n’ont probablement pas échappé. A cet égard, je rappellerais simplement nos diverses interviews y compris sur le thème de la double nationalité, ainsi que nos récentes tribunes notamment sur « la grande affaire du mariage homosexuel en France et dans le monde », sur la problématique de la régulation des médias à la faveur des dernières sanctions du CNC à l’endroit de certains de nos organes de presse ou encore plus récemment, notre réponse au message du Président de la République à la nation du 31 décembre 2013. Pour revenir à l’essentiel, je commencerais par mon principal argument selon lequel, si l’on peut avoir l’impression que nombre de leaders politiques et non des moindres sont absents du débat public, la responsabilité première en incombe moins aux politiques qu’aux médias locaux, privés et publics.
Fondé sur l’évidence selon laquelle la communication politique moderne se déploie principalement à travers les tribunes et les espaces médiatiques, qu’ils soient télévisuels, radiophoniques, écrits ou cybernétiques, mon opinion, pour un contexte médiatique tel que le notre où la télé et la radio sont prépondérants, est que nos organes de presse, par leur mode de fonctionnement, contribuent plutôt (peut-être inconsciemment) à atrophier et à brider le potentiel d’expression des acteurs politiques et par conséquent le progrès démocratique du pays. Je mesure toute la portée de cette affirmation et c’est précisément pourquoi je veux y attirer l’attention. Pour illustrer mon propos, je vous fais observer que la quasi-totalité des émissions de débat les plus suivies sur nos télévisions sont des émissions à forte coloration journalistique et non politique (Scènes de presse, Canal Presse, Droit de Réponse, Le Club de la presse, 7 Hebdo, VoxafricaPress Club,etc.). Même si de temps à autres, on peut y avoir, à l’occasion, un politique comme invité, les acteurs premiers et privilégiés desdites émissions sont des journalistes pour lesquels elles ont du reste souvent été conçues. C’est pourquoi les politiques qui s’y aventurent,peuvent parfois s’y retrouver un peu comme des cheveux dans la soupe. En matière de radio, en dehors de quelques rares initiatives que je tiens à saluer mais hélas pas encore assez connues, le constat est le même que pour la Télé, ajouté au fait que les logiques du mimétisme programmatique aidantnos radios se sont jusqu’ici employées à faire valoir un modèle quasi-unique d’émission de débat, qui s’articule essentiellement autour d’un plateau surchargé d’invités dont encore une fois des journalistes, des membres de la société civile mais aussi, parfois, quelques politiques qui, contrairement à ce qu’affirme votre journal, y débattent régulièrement des sujets d’actualité (Electorat sur Magic FM, Policam et Zap presse sur RTS, Le Grand Collège désormais sur Amplitude FM, Les matinées de l’information sur CRTV Radio ou Par ICI Le Débat sur CRTV Télé, et bien d’autres encore). Bien difficile dans ces foires à empoignes, d’avoir le temps de développer un discours construit, à même d’être bien perçu par le public.
De surcroît, en ce qui concerne les télévisions, les rares émissions courues à l’instar de L’Arène ou Actualités Hebdo, qui auraient pu servir d’espaces d’expression spécialement dédiés aux femmes et aux hommes politiques, ne jouent pas ce rôle. Non seulement elles sont consacrées au tout venant, mais en plus, quand elles veulent bien consentir à recevoir un acteur politique, les entretiens sont systématiquement enlisés dans cette orientation polémiste et belliciste (L’Arène) dont nos médias ont le secret, qui s’attarde davantage sur les controverses, les faux parchemins, le « kongossa » et la vie privée des invités plutôt que sur les sujets de fonds, les approches idéologiques et programmatiques ou encore les grandes questions d’actualité auxquelles Le Messager fait allusion dans son dossier et qui auraient en effet vocation à tirer le public vers le haut. Au total, il n’existe finalement aucune véritable émission dédiée aux acteurs politiques dans notre pays, toutes chaines confondues. Cela est suffisamment curieux pour être relevé. Certains prétendront que nombre de nos politiques fuient les médias pour toutes sortes de raisons mais je pense que cet argument est bien spécieux, tant il est vrai que l’invitation aux émissions les plus courues ou la parution sur les « Une » et les colonnes de certains journaux, répondent souvent à des critères pour le moins étranges et irrationnels. Comment envisager alors la construction d’une véritable culture démocratique dans ce contexte ? Comment s’étonner que chaque semaine, l’on ne puisse disposer d’une tribune à travers laquelle les politiques que l’on accuse régulièrement d’inertie, s’expriment et donnent leur point de vue sur les grandes questions de l’heure ? Il est tout à fait normal que comme ailleurs, les journalistes disposent de tribunes où ils peuvent hebdomadairement ou quotidiennement éplucher et commenter l’actualité. Il me semble que dans un Etat qui aspire à la modernité démocratique, il est tout aussi normal, la moindre des choses est, pour les médias, d’initier des interviews, plus ou moins longues, créer des espaces et des tribunes spécialement dédiés aux leaders et autres acteurs politiques.
S’inscrivant dans le registre des célèbres programmes français tels que «L’Heure de Vérité» sur Antenne 2 dans les années 1980 auxquelles ont succédé d’autres comme « 100 minutes pour convaincre», « Le Grand Jury LCI-Le Figaro », « Le Grand Rendez-vous » sur I-Télé, «Des paroles et des Actes» sur France 2 et bien d’autres encore, de telles émissions dont je suggère la création en s’inspirant de celles sus évoquées, deviendraient à n’en point douter, de très importants rendez-vous radiophoniques et télévisuels fédérateurs d’audience. Ils permettraient non seulement aux partis politiques d’être plus présents sur la scène, mais surtout au public de mieux connaitre sa classe politique ainsi que les idées que les uns et les autres portent sur les différents sujets. Tout cela serait de nature à faire progresser la culture démocratique, une meilleure politisation de la société ainsi que des choix électoraux plus conséquents et plus rationnels le moment venu. L’élévation du niveau du débat public passe par l’implication dans ce débat, des acteurs politiques dont la crédibilité pourra aussi être mesurée à l’aune de leurs propositions concrètes sur des questions aussi bien de politique économique, fiscale, monétaire, industrielle, agricole, environnementale, sécuritaire, africaine, internationale, culturelle, qu’éducative et sanitaire, etc. A l’heure où des préoccupations sociétales liées à des sujets comme l’homosexualité ou l’occultisme, au moment où les dynamiques de la mondialisation imposent aux Etats de nouveaux périls ainsi que de nouveaux défis, il me semble que les politiques dont la vocation est de gouverner en vue d’apporter le mieux-être, ont à la fois le droit et le devoir de s’exprimer sur leur conception et leur représentation du monde. Les médias de masse nationaux, publics et privés, ne sauraient durablement se soustraire à l’obligation de leur aménager des espaces attrayants et valorisants à cet effet. Au demeurant, la véritable activité politique ayant une forte charge tribunitienne, ceux des politiques qui sont habituellement rétifs à se soumettre à l’exigence de communiquer, seront facilement identifiés et se priveront assurément des faveurs de l’opinion. Si nous sommes d’accord sur l’objectif de la quête pour notre pays, d’un meilleur niveau de modernité politico-institutionnelle et socioéconomique, nous devons également être conscients du rôle de facilitation de la modernité médiatique à cet effet. Je voudrais enfin rassurer tous mes amis et collègues des médias, journalistes, technico-artistiques et autres, de mes sentiments positifs, lesquels ne sauraient être démentis par le caractère critique de la présente contribution dont la seule intention est de faire progresser nos pratiques médiatiques, notre débat public et partant notre édifice démocratique.
Que Dieu bénisse le Cameroun.
Olivier Bilé, président du bureau exécutif national de l’UFP