Les parlementaires français ont finalement adopté mercredi un rapport sur la politique africaine de la France. L’auteur du rapport revient sur certains points qui ont créé la polémique
C’est un rapport qui a fait polémique en France, avant même sa publication. Un rapport parlementaire sur la politique africaine de la France, notamment sur les interventions militaires françaises sur le continent africain et la politique française de développement. Le 15 mai, sa publication a été reportée – fait rare – par la présidente de la Commission Elisabeth Guigou, qui a demandé aux auteurs de revoir leur copie après des débats houleux. Une nouvelle version du texte a finalement été adoptée hier mercredi 6 mai. Y-a-t-il eu censure ou non ? Qu’est-ce qui, dans le contenu de ce rapport, a suscité pareille polémique? Florence Morice de RFI a posé la question au député socialiste Philippe Baumel, rapporteur de ce texte.
Philippe Baumel bonjour
Bonjour.
Le 15 avril après la présentation de votre rapport en Commission des affaires étrangères, Madame Guigou vous a demandé « d’enrichir » et de « préciser »votre texte, sous-entendu d’enlever les mots qui fâchent, quels mots en particulier ?
Il y a des passages du rapport qui ne satisfaisaient pas un certain nombre de nos collègues, on en a débattu, et à la lumière du débat, on a décidé, en accord avec la Présidente de la commission, de préciser un certain nombre de choses. J’ai vu apparaitre à postériori dans la presse une polémique liée à je ne sais quel qualificatif sur un chef d’Etat africain,
Ce qualificatif, c’est «illégitime», il concerne le président camerounais Paul Biya
Illégitime est un mot qui a été prononcé par un des experts que nous avons invité. Tout naturellement, le compte rendu des propos figure dans le rapport, parce qu’on ne s’est pas autorisé à aller caviarder les propos qui ont été tenus devant nous, donc ce n’est pas nous qui l’avons prononcé, on l’a entendu, nos collègues l’ont entendu. En une semaine, on a réorganisé la première partie pour qu’elle soit plus lisible et on a changé deux ou trois verbes dans le texte, voilà.
[Il est difficile encore aujourd’hui de critiquer les partenaires historiques de la France tel que le Cameroun ?]
Notre sujet n’était pas de critiquer, de savoir que tel président est meilleur que tel autre. Ça n’a jamais été notre sujet. Ce que nous avons constaté au Cameroun, c’est qu’il y a de véritables évolutions de démocratisation, il y a des institutions nouvelles, il y a un parlement bicéphale, il y a des élections qui se déroulent régulièrement, mais on s’est posé la question de savoir s’il y avait une véritable vie démocratique contradictoire. Si finalement le fait d’installer des institutions n’était pas un simple paravent? On peut le dire du Cameroun comme on peut le dire pour d’autres Etats africains.
Parmi les choses qui ont fait débat, il y a aussi le fait que vous regrettiez une militarisation couteuse et pas toujours efficace de la politique africaine de la France. Vous regrettez que le ministère de la Défense ait pris ces dernières années trop d’importance au détriment du ministère des Affaires étrangères ?
Ce n’est pas une logique d’un ministère contre un autre, c’est la volonté de voir restaurer très vite une stratégie politique de la France vis-à-vis du continent noir. Et ça ne peut pas uniquement passer par une réponse militaire. La totalité du coût de ces opérations extérieures est d’à peu près d’un milliard d’euros par an. Ce qui est considérable pour le budget de la France surtout dans une période d’exigence budgétaire et de rétrécissement du déficit.
Au détriment de la politique de développement ?
Trop souvent, l’action de la France en Afrique est plus une réaction qu’une action. Réagir aux crises, c’est une chose mais il faut évidemment se préoccuper des racines du mal. Ces crises ne viennent pas toutes seules spontanément, elles sont nourries d’un déficit de développement, d’efficacité de nos propres politiques de développement puisque la France est un des premiers acteurs sur le terrain et lorsque ça se passe mal elle est responsable aussi en partie de ces difficultés.
Par exemple ?
L’exemple le plus cruel sincèrement c’est le Mali où ont été déversés des centaines de millions d’euros et plus encore, ça se chiffre en milliards, pour un pays qui s’est effondré en 15 jours à tel point que le président a appelé la France par téléphone pour dire «venez nous sauver parce que nous sommes au bord du gouffre». On a là un témoignage extrême de politiques de développement qui n’ont pas réussi et avec aussi, malheureusement, des conséquences sur la prévarication de la classe politique. Quand on voit qu’à peine débarassé des problèmes de sécurité, ce pays-là se dote d’un avion présidentiel, on se demande quand même si c’est tout à fait la première urgence.
Dans votre rapport, vous préconisez la création d’un ministère spécifique qui serait chargé de gérer la politique de développement, est-ce que ce n’est pas un désaveu pour l’actuel chef de la diplomatie française?
Non, ce n’est pas un désaveu du tout, c’est simplement remettre au c ur de la politique gouvernementale, une stratégie politique de développement. Ça n’est pas le cas aujourd’hui tout simplement parce qu’on a un ministère des Affaires étrangères qui s’occupe de la totalité des problématiques mondiales. Il faut une véritable stratégie et un véritable budget. C’est ce qui nous manque aujourd’hui. Les différents organismes qui interviennent sur le développement sont financés soit par les Affaires étrangères, soit par le ministère des Finances, finalement ils sont gouvernés par trop de monde et par personne. Maleureusement aussi, nous parlementaires, nous avons du mal à voir clair sur l’usage fait des fonds publics.
Dans quel genre de situations avez-vous du mal à savoir ce qui est fait de l’argent public ?
Je parle par exemple de l’AFD (Agence française de développement, ndlr). La représentation parlementaire est dérisoire et elle ne peut pas peser. Le budget de l’Agence française de développement ne passe jamais devant le Parlement.
Vous écrivez dans ce rapport que «la France est mal vue», vous alertez en quelque sorte sur cette dégradation de cette image de la France dans certains pays. Que répondez-vous aussi avec ce rapport à ceux qui vous reprochent d’affaiblir l’image de la France en Afrique ?
Nous n’avons pas voulu être pessimistes ou optimistes. On a voulu être réaliste. Lors de la mission au Cameroun, moi je vous avoue avoir été stupéfait d’entendre ce qu’un certain nombre de journalistes camerounais sont venus dire à la délégation de parlementaires français qu’à force d’interventions militaires, on devenait finalement une armée d’occupation. Ça m’a fait très mal d’entendre ça. On croit porter l’étendard de la liberté à travers les interventions militaires, mais lorsque cela dure trop, lorsque cela n’est pas accompagné par un redressement économique et social, il y a des moments où on se dit: «mais qu’est-ce qu’ils font là ces militaires français si ce n’est finalement reconstituer une présence militaire que l’on avait nous même condamnée il y a quelques années?»
Vous avez cette conclusion finalement: la politique africaine de la France est à inventer encore aujourd’hui ?
Oui, il faut qu’on tourne définitivement une page qui était celle de la décolonisation d’une certaine façon, ça c’était l’histoire du XXème siècle. Mais aujourd’hui, on est au XXIème siècle.
