Pourquoi Biya va perdre la guerre qu’il mène à la diaspora camerounaise

Par Patrice Nganang, écrivain

L’on ne peut comprendre la loi fameuse qui paraît-il ‘donne le droit de vote aux Camerounais de la diaspora’, que si celle-ci est mise dans le contexte général de la guerre que Paul Biya, président du Cameroun, mène, ou a décidé de mener à la diaspora camerounaise, et surtout de sa stratégie de conservation du pouvoir que celle met à nu : la triangulation de ses ennemis. La triangulation est une tactique guerrière, utilisée aussi en politique, qui consiste à bloquer et à frapper dans le centre névralgique de son adversaire pour le défaire totalement. Si le pacte avec John Fru Ndi, alors que le RDPC détient une super-majorité à l’Assemblée nationale, est l’exemple le plus visible de triangulation, la loi qui est passée par l’Assemblée nationale le 9 Juillet et a été signée par Biya le 13, ne peut être lue qu’à partir de cette tactique qui ici se manifeste de trois façons : premièrement à travers ce que cette loi ne fait pas ; deuxièmement à travers ce qui rend son application impossible avant le 11 octobre 2011, date de l’élection présidentielle ; et finalement dans la mesure où elle sert dans la bataille pour la survie politique d’un homme de paille poussé à la porte.

De la demande toute logique des Camerounais vivant à l’étranger d’avoir autant de droits qu’ils ont des devoirs, les grandes ambitions n’ont choisi que la plus immédiate et visible de leurs revendications : le droit de vote, qui il faut le souligner, d’ailleurs est un acquis inscrit dans la Constitution de 1996 qui elle donnait le droit de vote à tous les citoyens camerounais – donc, à ceux des Camerounais vivant ou résidant à l’étranger aussi. Redondance donc que celle loi No2011/013, qui si elle se limite à l’élection présidentielle et au referendum, n’en passe pas moins sous silence : 1) le droit des Camerounais vivant à l’étranger à être éligibles, 2) leur droit à jouir de la double nationalité, 3) la possibilité pour ceux qui ne sont plus citoyens camerounais d’avoir une carte de résident au Cameroun, et donc de participer à des élections, 4) la possibilité pour ces Camerounais d’être représentés, etc.

Autant ce que cette loi ne fait pas est immense ; ce qui en fait rend son application impossible avant l’élection du 11 octobre 2011 est inscrit dans la loi elle-même, et dans son article 5 qui dit clairement : ‘des textes réglementaires précisent, en tant que de besoin, les modalités d’application de la présente loi.’ Voilà donc une loi qui se suicide, elle qui a écrit l’évidence de sa mort dans son propre texte, elle qui pour être effective dans deux mois, n’a pas seulement besoin que les chancelleries et ambassades camerounaises établissent des listes électorales, et donc invitent tous ceux des Camerounais qui veulent participer à l’élection (selon les chiffres de Charles Ndongo à la CRTV, il s’agit au bas mot de 2,5 millions de personnes) à le faire, et mette en jeu les conditions effectives de décompte de leur vote ; mais elle qui pour effectivement devenir applicable le 11 octobre a besoin d’arrêtés ou de décrets administratifs qui eux, évidemment ne sont pas encore signés.

Le tyran peut ainsi se laver les mains d’avoir promulgué la loi qui ‘donne à la diaspora le droit de vote’, et lorsque celle-ci ne pourra pas voter, accuser plutôt des agents subalternes (ministres, ambassadeurs, etc.), d’être les seuls responsables de sa non application. C’est ici pourtant que le côté tactique de la loi apparaît le plus évidemment : son instrumentalisation dans la guerre que Paul Biya veut mener à la diaspora camerounaise. Et c’est ici aussi qu’il est facile de dire au tyran qu’il échouera cette fois aussi. C’est que la diaspora camerounaise est plus vieille que notre pays, elle qui en 1958 déjà comptait des upécistes, et qui depuis la disparition du permis de sortie avec les années de braise, compte au fond tout le monde. Il n’est presque plus de famille camerounaise qui n’ait un de ses membres à l’étranger. Oui, sous Biya, l’étranger est devenu le futur de toute une génération de camerounais, à majorité des jeunes en âge de voter, qui pour la plupart ont été chassés de notre pays, étranglés qu’ils étaient par les pratiques assassines des grandes ambitions et par ses brimades au quotidien.

L’histoire camerounaise de l’exclusion, et depuis 1958 notre pays a été bâti sur l’exclusion systématique d’une partie importante de sa population, celle dissidente surtout, fait qu’il soit une évidence que le RDPC (héritier de l’UNC) ne puisse pas compter sur la diaspora comme chambre d’écho. Durant ses voyages en Chine et ailleurs, Paul Biya se fait d’ailleurs toujours précéder par une cargaison des militants de son parti voyageant du Cameroun pour emplir les rues à son passage à la place de la diaspora dont en réalité il a fait son ennemi. Ainsi ces militants ont-ils à Washington DC en ce début d’année, formé le groupe vocal qui devant l’ambassade chantait sa gloire. Il ne suffit pourtant pas de se fabriquer un substitut de diaspora pour vaincre cette dernière ; il faut aussi frapper dans son c ur, en vidant ses plus profondes revendications de leur substance. C’est cette stratégie guerrière, la triangulation, qui donne à la loi No2011/013 son outrecuidance.

En séparant le droit de vote des nombreuses autres demandes des millions de Camerounais vivant à l’étranger, et puis surtout en signant une loi qui sera anéantie par la lenteur de son application, lenteur qui elle, donnera l’alibi clair d’un repoussage de l’élection, Biya croit s’en sortir vainqueur. Il croit pouvoir se laver les mains à la Pilate et gagner du temps, dans le même temps qu’il aura terrassé l’adversaire le plus coriace de toutes les politiques camerounaises : la diaspora. Sa tactique est d’autant plus établie qu’en sourdine, dans leur propagande systématique dans les medias, la diaspora à laquelle il vient de ‘donner le droit de vote’, ses hommes l’accusent de ‘ne rien comprendre des réalités locales’, d’avoir ‘fui la misère quotidienne que nous vivons’, et de préférer le ‘luxe’, etc. Ils lui rappellent au tout venant que le ‘vrai combat se fait au mboa’ – au pays. En fin de compte, la diaspora est accusée d’être la cinquième colonne de l’impérialisme de Sarkozy et d’Obama, car Biya a découvert soudain en elle ‘les traitres à la patrie’.

Ce qu’il oublie cependant, Biya, c’est ceci : s’attaquer à la diaspora camerounaise ce n’est pas seulement réveiller ces Camerounais dont l’histoire est aussi vieille que celle de notre pays ; c’est en fait retourner le père resté au pays contre ses fils qui sont au Gabon ou en France ; c’est retourner la jeune femme contre son fiancé qui est allé ‘se chercher’ en Afrique du sud ; c’est retourner le petit frère contre son ainé qui est en Allemagne et veut ‘le faire venir’ ; c’est retourner en fin de compte les membres de nos familles les uns contre les autres. Il n’était pas suffisant que de 1984 à aujourd’hui, ce pouvoir ait retourné les Fulbé contre les Toupouri, les Bulu contre les Bamiléké, les Douala contre les Bassa, et au besoin ait inventé les ‘Anglo-Bami’ quand il fallait diviser les anglophones aussi ; non, aujourd’hui, il veut retourner ceux-là qui ‘sont au pays’, qui sont ‘sous le soleil tous les jours’, contre ceux qui selon lui ‘ont fui le vrai combat’. Acculé vers la porte, Biya veut opposer ses ‘vrais Camerounais’ aux ‘faux Camerounais’. Sourd aux ravages de l’ivoirité en Côte d’ivoire, l’apprenti sorcier ouvre lui aussi la poubelle de la camerounité – allons-nous le laisser faire ?

Patrice Nganang
cidal.diplo.de)/n


L’Info en continu
À LA UNE


SondageSorry, there are no polls available at the moment.
Back top