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Prix à la pompe: Pourquoi le gouvernement camerounais se tire une balle dans le pied

Par Dieudonné Essomba, cadre au minepat, ingénieur principal de la statistique hors échelle, économiste

Depuis un certain temps, les pouvoirs publics ont lancé une campagne de sensibilisation visant à justifier une probable suppression prochaine de la subvention pétrolière, avec des déclarations sur commande de quelques citoyens dont certains vont jusqu’à reprocher le Gouvernement de les avoir maintenues si longtemps. Leur argumentaire tourne autour de deux pôles. Le premier utilise les statistiques pour prouver que les subventions profitent 6 fois plus aux riches qu’aux pauvres. Cet argument est totalement démagogique et n’a aucune base économique pertinente, car on devrait alors cesser de construire aussi les routes, au motif que ce sont les riches qui les utilisent le plus parce qu’ils ont des voitures. En économie, un bien n’est pas important dans son utilisation, mais dans son utilité. Et de ce point de vue, une route bitumée sera plus utile à un paysan qui peut désormais écouler sa production une fois par semaine qu’à un Directeur Général qui l’utilise chaque jour, mais qui ne s’impose à lui comme une nécessité puisque sa 4×4 circule parfaitement sur des routes non bitumées. En outre, une politique économique n’a pas pour objectif d’aider les pauvres, mais de supprimer la pauvreté.

Le second groupe d’arguments renvoie aux usages alternatifs de ces subventions. A en croire le Pr TSAFACK NANFOSSO de l’Université de SOA, les 400 Milliards consacrés cette année à ladite subvention permettraient de réaliser deux barrages de type Lom Pangar ou l’autoroute Yaoundé-Douala et nous dispenseraient du recours à la dette extérieure. Cet argument est totalement faux : les barrages et autoroutes ne se construisent pas avec du FCFA, mais avec des devises, c’est-à-dire, la monnaie des pays qui fabriquent des bulldozers, des engins et des équipements lourds utilisés pour ces travaux. Et pour avoir ces devises, il faut leur vendre le cacao, le café, le coton, le bois ou le pétrole. Ainsi, pour 200 Milliards consacrés à la construction d’un Lom Pangar, il faut 160 Milliards en devises. A contrario, les subventions de l’Etat relèvent d’un simple transfert de pouvoir d’achat local qui comprend 80% d’impôts prélevés sur les coiffeurs, les bars, les balayeurs de rues, le mil, le macabo et d’autres activités, et seulement 20% des devises (part des exportations dans notre PIB). De ce fait, les 400 Milliards de subventions n’ont qu’un contenu en devises limité à 80 Milliards de devises, ce qui est très insuffisant pour un seul barrage. Et si on remettait à TSAFACK NANFOSSO ces 400 Milliards pour construire, non pas deux Lom Pangar comme il le soutient, mais un seul, il ne pourrait même pas achever les travaux et irait en prison, accusé par de plus ignorants que lui d’avoir volé l’argent alors que le problème est ailleurs.

Cette erreur est très récurrente au Cameroun, ainsi que le témoigne la récente et loufoque campagne du « Prophète » TSALA ESSOMBA visant à collecter l’argent auprès des citoyens pour engager des projets de développement, en compagnie de plusieurs Ministres de la République ! Un grand nombre de Camerounais s’imaginent en effet qu’on peut collecter l’argent au Cameroun pour construire les routes, ce qui est totalement faux. En effet, pour construire une route, il faut des bulldozers et pour avoir des bulldozers, il faut des sacs de cacao parce que c’est le cacao qui est utile dans le pays qui les fabrique. En conséquence, c’est le nombre de sacs de cacao qui conditionnent notre capacité à construire les routes et non les subventions, la collecte de l’argent, la bonne gouvernance ou le volume du budget d’investissement.

En définitive, l’argumentaire présenté par les pouvoirs publics pour justifier l’arrêt des subventions est économiquement faible et il est plus simple d’expliquer aux Camerounais que notre Trésor Public est au bout du rouleau. Certes, les pouvoirs publics l’ont reconnu en évoquant la « soutenabilité », un terme mystérieux qui signifie que les Caisses de l’Etat ne peuvent plus « soutenir » cette dépense et qu’il faut y mettre fin. Mais cela a été fait de manière à faire croire que l’Etat, dans un accès de bonne gouvernance, aurait subitement pris conscience que les subventions aux carburants seraient mieux utilisées ailleurs.

Quoi qu’il en soit, volontaire ou fatale, la suppression de la subvention sera un terrible coup de massue sur l’économie camerounaise. C’était le dernier moyen par lequel l’Etat du Cameroun soutenait un secteur productif local épuisé par la concurrence extérieure. Sa suppression va entraîner l’élimination des biens locaux présentant une forte substituabilité avec des analogues importés : ainsi, l’augmentation du prix du manioc consécutive aux coûts du transport déportera davantage la demande alimentaire vers le riz importé. Quant à l’amélioration du pouvoir d’achat, il ne faut pas y songer, le pays ayant déjà les pires difficultés pour prendre en solde les 25.000 jeunes qu’il a recrutés et pour mener décemment son propre budget de fonctionnement qu’il est obligé de réduire subrepticement.

Cette situation était prévisible. Un pays ne peut évoluer durablement que si ses exportations compensent en permanence ses importations, faute de quoi il se surendette et doit subir un ajustement structurel permanent. Cette exigence minimale n’est pas respectée par le Cameroun dont les importations s’accélèrent à cause de la croissance quantitative de la population, l’amélioration du niveau intellectuel qui encourage l’urbanisation et modifie le profil de la consommation au profit des importations et l’entretien ou l’extension du système productif.

Par contre, ses capacités d’exportations sont assujetties à de nombreuses contraintes : faible productivité, non-extensibilité des terres, instabilité des cours internationaux, épuisement du pétrole, réserves minières difficiles à exploiter. Ses maigres devises sont ainsi absorbées par la brocante européenne et la pacotille chinoise, nous empêchant d’importer les bulldozers requis pour entretenir et étendre le réseau routier, les turbines pour produire l’électricité, etc. Il en découle, d’une part, l’impossibilité de renforcer nos capacités productives et l’étouffement de la croissance qui se traduit par un chômage massif et des salaires très faibles. D’autre part, une tendance à un déséquilibre permanent de la balance commerciale dont le déficit connaît depuis 5 ans une évolution explosive. En 2007, au lendemain de l’Atteinte du Point d’Achèvement, ce déficit n’était que de 70 Milliards ; en 2008, il est monté à 203 Milliards, puis à 417 Milliards en 2009, à 606 en 2010 et à 1076 Milliards en 2011.

Soit un montant cumulé de 2 372 Milliards et qu’il faut rapidement résorber au risque de se transformer en dette définitive ! Des obligations qui viendront alors s’ajouter à la dette officielle proprement dite qui figure dans les comptes de la Caisse autonome d’amortissement et qui, alimentée par les prêts chinois et d’autres francs-tireurs nord-africains, s’élevait à 1280 milliards en 2011. Soit un endettement effectif de 3.652 Milliards qu’il faut payer en devises. Le plus grand problème est que cet endettement ne s’accompagne d’aucune véritable perspective. Mal dirigées, les mesures prises par les pouvoirs publics ont tendance à verrouiller le système. L’Etat s’est mis en tête de réaliser les grands projets et d’augmenter l’investissement public, mais cela se révèle très difficile. Car, en tentant coûte que coûte de réaliser son programme, il se retrouve obligé d’utiliser les devises revenant aux entreprises privées qui, n’ayant plus assez de moyens pour importer, doivent alors réduire leurs activités, ce qui entraîne la réduction des recettes budgétaires et par ricochet, de graves tensions de trésorerie.

Impasse
Hélas ! Une bonne volonté mal éclairée est en train de pousser le pays dans l’impasse. La question essentielle est la suivante : que faire ? Avant de répondre, il faut noter que toute activité qu’on peut mener au Cameroun peut donner lieu à un revenu : qu’on balaie une rue, qu’on produise le mil, qu’on garde les enfants, qu’on dispense un cour d’hygiène à la population ou qu’on joue au football, on produit un bien ou un service utile qui devrait se traduire en principe par un revenu. Il serait donc possible de générer un volume immense de revenus en faisant travailler tous les Camerounais. D’où vient donc tant de chômage dans un pays qui n’a encore rien fait, qui n’a pas de routes, d’hôpitaux ou d’enseignants alors que les pays qui ont déjà tout fait obligent les gens à travailler à des âges très avancés faute de main-d’?uvre ? En voici la raison : lorsqu’un Camerounais balaie la rue, il acquiert un revenu. Malheureusement, il s’agit d’un revenu local qui n’a aucune contrepartie à l’extérieur, ce qui ne l’empêchera pas de l’utiliser pour acheter un téléviseur au Japon. Ce faisant, il met en devoir les planteurs de cacao, de café ou de coton de produire les devises qui financeront son téléviseur. Lorsque ces devises ne suffisent plus pour financer de tels achats, le revenu local ne permet plus d’avoir le téléviseur et cesse d’être intéressant. La conséquence est automatique : l’immense revenu potentiel intérieur que le Cameroun pourrait générer est étouffé par l’incapacité de l’utiliser pour avoir accès aux biens manufacturés qu’on n’acquiert que par des devises. Or, celles-ci ont un volume très faible puisqu’elles sont restreintes aux produits agricoles et aux minerais dont les recettes dépendent davantage des conditions de la nature, des dotations aléatoires de la géologie et de cours internationaux. Continuer à s’appuyer sur les revenus d’exportation pour améliorer notre bien-être est totalement suicidaire et il n’existe pas d’autres solutions que de réduire la pression à la demande extérieure en remplaçant les importations par la production intérieure, c’est-à-dire, à produire nous-mêmes un grand volume de biens manufacturés, consacrant ainsi nos devises à l’achat de l’outil de production ou des biens très évolués.

Et cela demande des mesures macroéconomiques d’un ordre autrement plus puissant que de simples initiatives sur des « stratégies de compétitivité » ou « des séminaires de mises à niveau » de 2 ou 3 PME. Et d’ailleurs, comment le Cameroun pourrait-il être compétitif ? Le pays est trop petit : la moitié de ses maigres 20 Millions d’habitants est formée de petits enfants. Quant au reste appelé « population active », la moitié est également formée de paysans incapables de lire une notice technique. Reste donc 5 Millions d’adultes qu’on retrouve en ville, mais dont la majorité occupe de petits métiers d’un niveau très bas. Ce n’est pas avec un tel capital humain qu’on bâtit la compétitivité, car il faut bien le rappeler, la compétitivité est la capacité de battre l’adversaire et peu importe comment. C’est un concept amoral d’un monde darwinien que se partagent les puissants munis de griffes et de crocs. Quand la Chine baisse ses prix à l’extérieur, c’est la compétitivité ; quand la France et la Grande Bretagne vont fusiller Kadhafi, c’est la compétitivité ; quand la Chine et l’ex – URSS soutiennent Bassar El Assad, c’est la compétitivité. Quand Bolloré pousse le Président français à exercer des pressions sur le Président Biya, c’est la compétitivité. Lorsque la France refuse que ses fonds CD2 soient utilisés par la Chine pour construise le pont sur le Wouri, c’est la compétitivité. Lorsque les agro-industries à capitaux chinois ou français préfèrent importer des tracteurs de leur pays d’origine au lieu d’acheter les tracteurs indiens montés à Ebolowa, c’est la compétitivité.

Stratégie de l’évitement
Le Cameroun est beaucoup trop maigrichon pour s’insérer dans une jungle aussi violente et peuplée de puissances aussi maléfiques. Il doit adopter la stratégie de l’Evitement et se protéger. Il existe à cet effet un grand nombre de mécanismes traditionnels de protection d’une économie : douane, contingentements, norme, subventions, dumping pour la conquête de marchés extérieur, etc. Malheureusement, ces protections classiques sont dénoncées par la redoutable OMC (Organisation mondiale du commerce) et entraînent le risque de rétorsion de nos partenaires. En outre, elles sont peu sélectives, très coûteuses et d’application difficile. Par contre, il existe une seule mesure, simple et qui ne coûte pratiquement rien : il suffit de rendre une proportion de 20% des billets de banque qui circulent au Cameroun totalement inconvertibles. D’un point de vue mathématique, c’est la seule mesure capable de remettre le Cameroun dans la voie qu’il a connue de 1960 à 1987, quand sa croissance annuelle était de 7% et que le système productif était capable d’absorber tous les Camerounais dans l’économie moderne et bien payée.

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