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Professionnalisation du football: Etat des lieux et perspectives au Gabon et au Cameroun

Par Romeo Lado, expert du développement du football

Le programme FIFA « gagner en Afrique avec l’Afrique » vise à encourager les pays africains à se doter d’infrastructures adaptées capables de favoriser l’émergence d’un football de qualité. Cette initiative au budget USD de 70 millions a été lancée en 2006 en vue notamment de mieux préparer la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Il est prévu entre autres des programmes au niveau des infrastructures, et davantage un renforcement des compétences des différents intervenants dans le domaine du football (journalistes, arbitres, entraineurs, managers, etc.). Le véritable problème du football africain réside aujourd’hui dans le déficit criard d’infrastructures et bien sûr le manque de structuration des clubs. Voilà pourquoi la promotion du professionnalisme semble être la solution idoine. Toutefois, il faut des préalables. Les pays africains s’engagent progressivement au côté de l’Afrique du Sud dans la voie du professionnalisme parfois sans un diagnostic et une programmation sérieuse. Ce document vise à donner un aperçu de ce qui est fait à ce jour au niveau du Cameroun et du Gabon afin d’ouvrir quelques perspectives.

Le Gabon : Equipes sous « perfusion »
Après l’organisation de la CAN 2012 par le Gabon, le championnat professionnel a pris corps sous l’impulsion du Président de la république Ali Bongo qui se trouve être un grand fan de football. Le projet monté par les experts venus de tous les horizons a démarré en novembre 2012 avec un schéma tout à fait atypique : la prise en charge totale des clubs par la subvention de l’Etat. En effet, chaque club reçoit 30 200 000 f par mois qu’il loge dans un compte spécial ; le smic des joueurs ayant été fixé à 400 000 FCFA. Soit un total mensuel de 422 millions à débourser par l’Etat gabonais pour les 14 clubs du championnat professionnel géré par la LINAF (Ligue Nationale de Football). La Ligue nationale de football va verser une prime de cinq millions de FCFA à chaque équipe remportant un match de championnat, contre 2 500 000 FCFA pour un résultat nul. Côté infrastructures, le Gabon a profité de la récente CAN pour se doter d’un nouveau stade (Stade de Libreville) d’une capacité de 40 000 places. Le stade de Franceville a été rénové et sa capacité s’est vue doublée passant de 20 000 à 40 000 places. Ce sont ces deux stades qui ont abrité les matches de la CAN 2012. En plus des deux stades, nous avons le Stade OMAR BONGO d’une capacité de 40 000 places. Toutefois, ce modèle qui privilégie « l’Etat Providence » est-il adapté pour une préparation idéale des clubs au professionnalisme ? La responsabilité de l’Etat ne devrait-elle pas davantage être orientée vers un accompagnement institutionnel et infrastructurel ? Il serait souhaitable que les clubs prennent leurs responsabilités en développant l’esprit d’entreprise pour ne pas être d’éternels assistés.

Le Cameroun : Malgré les hésitations, l’espoir est permis.
Suite aux états généraux du Sport et de l’Education physique tenus à Yaoundé en Novembre 2010, l’atelier dédié au football avait recommandé la professionnalisation du football camerounais. Au cours de l’assemblée générale de la FECAFOOT de mai 2011, les statuts de la nouvelle Ligue de Football Professionnel du Cameroun (LFPC) sont adoptés. La Fédération Camerounaise de Football (FECAFOOT) et le Ministère des Sports et de l’Education physique (MINSEP) ont par la suite convenu de lancer le projet à travers une période transitoire de 2 ans où le Président de la Ligue serait désigné d’accord partie. La saison 2011/2012 a connu la participation de 28 équipes réparties dans 2 divisions : 14 équipes en élite one et 14 équipes en élite two. A la fin des 26 journées, 3 équipes d’élite one ont été reléguées en élite two (Scorpion de Bé, Aigle Royal de la Menoua, et Tiko United) tandis que les trois premières équipes d’élite two ont été promues en élite one (DAC de Douala, UMS de Loum, et Tonnerre de Yaoundé). Le cahier de charges adopté par le Conseil d’Administration de la Ligue prévoit que les clubs professionnels se transforment dès la saison 2012/2013 en véritables sociétés sportives. Quant au financement, les clubs ont bénéficié pour la saison 2011/2012 de l’appui de l’Etat à hauteur de 560 millions de francs CFA dont 26 millions 250 mille pour chaque club d’Elite 1 et 13 millions 750 mille pour chaque club d’Elite 2. A cela il faut ajouter 434 millions versés en appui direct par le Sponsor officiel MTN (dont 20 millions pour chaque club d’Elite 1 et 11 millions pour chaque club d’élite 2). Soit en définitive 46 250 000 FCFA pour chaque club d’Elite 1 et 24 750 000 FCFA pour chaque club d’Elite 2. Ces sommes destinées principalement à la rémunération des joueurs ne seraient malheureusement pas parvenues dans la totalité aux intéressés qui accuseraient pour la plupart 2 à 3 mois d’arriérés de salaires. Cela peut être dû à 3 facteurs principaux :
– Le manque d’une procédure idoine d’octroi de la subvention avec des contraintes à respecter par toutes les parties.
– L’opportunisme de certains dirigeants de clubs qui ne mettent pas les intérêts des joueurs au centre de leurs préoccupations ;
L’absence d’un actionnariat sérieux et stable pour certains clubs ; ces derniers se contenteraient alors de la subvention comme seule ressource du club.

A l’actif de la nouvelle Ligue, on devrait signaler la création d’une dynamique nouvelle autour du concept du professionnalisme, les spectateurs reviennent progressivement aux stades. Le stade de la réunification à Douala a battu le record de spectateurs notamment grâce à l’émergence des clubs tels Union sportive de Douala, Les Astres et New Stars. Toutefois le taux de remplissage des stades reste bas avec en moyenne 1 500 spectateurs par match. Le problème des infrastructures reste le talon d’Achille de ce championnat : en effet, pour 28 équipes, la ligue ne dispose guère que de 4 stades acceptables (Stade Amadou Ahidjo de Yaoundé, stade de la réunification de Douala, stade omnisport de Garoua, stade municipal de Mbouda aménagé par MTN). Les autres stades municipaux accueillant les matchs du championnat sont dans de mauvais états et suivant les saisons, on joue soit dans la poussière soit dans la boue ce qui ne permet pas toujours une bonne expression des talents.

Perspectives.
En l’état actuel de la mise en place du professionnalisme notamment pour le cas du Cameroun, trois constats majeurs se dégagent :
– Le professionnalisme nécessite beaucoup de moyens (financiers et infrastructurels) dont beaucoup de clubs ne disposent pas encore. En Afrique subsaharienne, il faut au minimum 80 millions de francs CFA à un club pour fonctionner et payer ses joueurs à un niveau acceptable. Les subventions étatiques permettent à peine d’assurer le tiers de ce budget, d’où les grognements des joueurs qui accumulent des arriérés de salaires ;
– Le manque d’infrastructures est criard ; quand elles existent, elles sont inadaptées à l’expression des talents des joueurs ;
– L’instabilité des programmations des matches ne facilitent pas la mutualisation des droits TV (cas du Cameroun et du Sénégal).
Par conséquent, l’émergence véritable du professionnalisme en Afrique passera inévitablement par :
– La restructuration des clubs par la constitution d’un actionnariat stable capable d’inspirer confiance aux investisseurs. Beaucoup de clubs restent fragilisés par des querelles intestines et de leadership ;
– L’implication de l’Etat par la prise de mesures fiscales incitatives (cas du Cameroun à saluer), la promotion des programmes d’équipement en infrastructures de proximités de moyenne capacité.
– La révolution mentale au niveau des promoteurs et présidents de clubs : l’argent seul ne suffit pas, il faut que les responsables de clubs acquièrent l’esprit du professionnalisme : il faut s’organiser en véritable entreprise sportive qui a vocation à créer de la valeur ajoutée.
La mise en place d’organes de régulation (cas du Maroc, du Sénégal et de l’Algérie) devant accompagner de manière pédagogique, mais rigoureuse l’entrée des clubs dans cette nouvelle dynamique.

Les propos du Président de la CAF, Issa Hayatou, en disent long sur le chemin exaltant et exigeant du professionnalisme : «Vouloir professionnaliser le football c’est bien, mais pour cela il faut une organisation rigoureuse, affirme-t-il. Les calendriers doivent ainsi être respectés pour optimiser les conditions de travail des médias et attirer des partenaires économiques».

Romeo Lado, expert du développement du football
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