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«Que faire? Ou quelle politique mener?»

«Notre production dans les idées en ces domaines reste rudimentaire et accessoire» Pendant longtemps nous avons été, dans l'écrit, l'objet…

«Notre production dans les idées en ces domaines reste rudimentaire et accessoire»

Pendant longtemps nous avons été, dans l’écrit, l’objet du discours des autres, le seul livrable, même pour la plupart de nos intellectuels. Nous sommes restés absents de ce terrain de l’écriture, alors même qu’elle est née chez nous, en Afrique (Egypte nègre). D’aucuns tiennent même à perpétuer la tradition de ce défaut de notre intelligentsia! Au motif que nos sociétés seraient sans «écriture», de tradition «orale»! Et ce uniquement parce que c’est écrit, par d’autres, dans leur propre justification de leurs entreprises d’occupation et d’exploitation. Ces agents, ces intellectuels qui préfèrent leur verbe et l’oralité des médias de masse, voudraient ainsi ignorer et faire ignorer les avantages de l’écriture dans la transmission du savoir et du savoir-faire dans l’espace et le temps. La conséquence de cette défection dans l’écriture est qu’un désordre sans nom s’est introduit dans l’esprit de nos lettrés, surtout anciens de la période des nationalités ethno-organiques triomphantes (1920-1948); elle-même issue des théories évolutionnistes, dont celle de Charles Darwin (1809-1882). Il en est sorti toutes sortes d’inepties sur l’Afrique et ses peuples, au point que les Africains doutent systématiquement d’eux-mêmes et de leurs semblables, malgré leurs performances quotidiennes, ici, là-bas et ailleurs. Ils s’en tiennent à la confusion des résultats d’une politique de collaboration d’élèves spécialement formés pour constituer la nouvelle élite de nos sociétés après l’occupation, alors appelés des «évolués». Des hommes incapables de s’émanciper, malgré les années et les revendications des populations.

Avec vous, je m’inscris dans une autre tradition, celle, non pas du Livre, mais des livres ! C’est avec bonheur donc que je me suis plié à l’exigence du Cercle Mont Cameroun, de produire un écrit pour rejoindre votre aréopage ! Car plus que jamais nous devons être des sujets de discours. Mon discours ne s’inscrit cependant pas dans cette croyance, énoncée ou non, qu’il n’est possible de produire qu’avec une langue étrangère. Il se veut une rhétorique cohérente sur la situation du Cameroun, d’autant qu’il sied que nous portions notre regard sur son parcours après 50 ans, un demi-siècle, toute une vie, de gestion de l’Etat par des concitoyens, dont la caractéristique principale est leur impréparation politique très souvent publiquement assumée. Mon discours est l’expression d’une analyse de la situation, qui est sensée pouvoir se traduire dans chacune de nos langues nationales!

A mes amis marxistes, marxisants, ou ayant marxisé et lu Lénine (1870-1924) (Que faire ?, 1902), aucun clin d’ il à ce grand penseur russe et son ouvrage. Non point que je doute des qualités qui pourraient se retrouver dans ma production (il écrit à 32 ans, j’en ai 68; et à 32 [1974] mon engagement politique ne doit pas être jugé inférieur au sien). Mais mon discours étant politique, d’aucuns ne manqueront pas de l’exploiter pour ou contre. Comme si en 1902, des Camerounais qui auraient lu Karl Marx (1818-1883), auraient attendu Lénine pour se faire une opinion sur leur société, dont l’organisation des différentes collectivités avait permis jusque là une participation au commerce international des produits de l’agriculture, du sol, du sous-sol, et de son artisanat. Pour ceux qui l’ignorent, quand Saker consacre en 1855 le Camerounais Georges Nkwé, pasteur à Douala, Lénine n’est pas né ! Pas plus maintenant qu’auparavant, le contexte économique, social et politique des pays africains ne se prête à une transposition des analyses faites pour les sociétés industrielles de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Sans paradigmes propres à trouver ou à intégrer, comme les lignages, qui en structurent les communautés, bien plus que «les tribus», qui ont la faveur de nos politologues, et que seule l’oralité favorise, face à l’inconsistance de leur définition, dont l’élément majeur, sinon unique, appréhendable est le parler, lui-même mal défini pour l’identifier comme langue en face d’autres parlers. Un élément, qui a servi à l’administration coloniale pour multiplier presqu’à l’infini le nombre de nos «tribus-races» et installer dans l’imaginaire de beaucoup un Cameroun éclaté en plus de 260 ethnies introuvables, quand on connaît l’unité culturelle de l’Ouest où elle a dénombré bien plus que la moitié des identifications ethniques de ses décomptes! Mon questionnement n’a ainsi de soubassement ni marxiste, ni léniniste! La théorie n’a pas eu raison de l’homme pratique. En s’en appropriant, il a modifié ses comportements et son environnement et l’a rendue caduque ! L’instrument n’a pas totalement failli; il a montré alors ses limites et exigé des améliorations. Nous comptons participer à celles-ci; et seuls nous pouvons et devons le faire pour le meilleur de nos pays.

Etat social
Les sociétés, y compris celles d’Afrique, ont évolué, quoi qu’en pensent ou qu’en disent certains, comme Nicolas Sarkozy ; même pendant ce laps de temps où la science européenne prétend en avoir la connaissance étendue, et débat de ses apports à la « Civilisation Universelle ». Elles ont subi les contraintes démographiques internes, les agressions politiques et culturelles externes, qui les marquent. Si les structures sociales, clans, lignages, ethnies et les hiérarchies, qui les caractérisent, restent une constante, les relations sociales, économiques et politiques se sont modifiées, dans un Etat produit et héritier de l’appareil d’exploitation colonial, et d’une distribution nouvelle des activités (exode rural, urbanisation).

Intellectuels de la diaspora: une ressource désormais aussi pour nous
L’expérience renouvelée de nos contacts avec les sociétés industrielles a changé la perception imaginaire que nos nouvelles élites présentent de leur réalité; perception qui continue à sustenter l’idée de notre incapacité à gérer nos Etats en toute indépendance. Et n’y aura pas suffit la réaction d’une négritude, aliénée au combat politique et culturel (philosophique). Les sciences humaines et sociales cependant se sont transformées grâce aux progrès de la recherche, et à la pratique d’un monde plus ouvert, où l’information est plus disponible et sa circulation plus rapide. Les outils d’analyse ont évolué, anthropologie, sociologie, histoire, linguistique, psychologie, à la faveur aussi de leur confrontation avec notre réalité et de nos contributions, encore qu’insuffisamment investis par nos chercheurs. Notre production dans les idées en ces domaines reste rudimentaire et accessoire, le principal disponible étant au compte d’experts commandités par et dans l’intérêt de sociétés extérieures, dont l’objet ne peut échapper à un débat épistémologique pour nous l’approprier, alors que cette production est centrale pour la connaissance subjective et aussi bien qu’objective de nos sociétés propres, celles dont nous sommes les constituants et les acteurs. Un moyen indispensable de leur mobilisation pour les défis auxquels nous sommes confrontés avec elles.


L’appareil d’Etat d’origine colonial à reformuler
Il en est ainsi du défi de la transformation d’un appareil d’Etat mis en place par des Allemands, à partir de 1884, après leur Traité signé suite à une véritable traitrise de King Bell. Les Douala se sont retrouvés pris au piège d’une division inattendue dans leurs rangs. Sa condamnation à mort (1883), pour crimes et assassinats politiques, puis intelligence avec le compétiteur étranger, par le même Ngondo, organe de gouvernement des Douala (Sawa), exerçant son pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, ayant exécuté le Prince de Deido (Didot) Eyum’ Ebelle quelques années plus tôt (07/12/1876), après un procès équitable pour refus de livrer son neveu Mududu’a Diboti, meurtrier, était celle d’une des deux têtes de leur direction bicéphale de fait (Bell-Akwa), et en fut largement la cause. Il convient de noter à propos du Ngondo, que le fait de l’exécution de 1876, sur décision de l’institution, enregistré chez les Européens fréquentant la côte, encore pris comme unique, est l’objet de diverses considérations aujourd’hui chez les Blancs pour continuer à refuser l’existence de l’Etat camerounais avant 1884; comme si cette existence dépendait de ce qu’ils en disaient, malgré ce que nous savons et disons de l’histoire de nos institutions.

La signature du traité s’étant faite à la hâte du règlement de la situation du King Bell, les Allemands ont laissé les affaires continuer comme auparavant. Un simple consul est désigné, à l’image des Britanniques, Max Buchner. Dans le lignage de King (Ndumbe’a Lobe) Bell, Bonanjo, en fait plusieurs segments ou clans, Bonadouma, Bonamandone, Bonapriso, Bonaberi, en plus du lignage Bojongo, sont opposés au Traité. Constatant la faiblesse de la protection allemande, en décembre 1884, ils s’attaquent à des concessions de King Bell, qu’ils brûlent. Buchner alerté fait intervenir l’escadre navale allemande en patrouille (Admiral Knorr). Ses troupes (fusiliers et marins) débarquent sur Bonaberi (Hickory Town), contre son prince, Kum’a Mbape, dit Lock Priso, brûle la ville et détruisent son palais, avant d’aller bombarder Bonapriso aussi (plus de 25 morts douala, et un agent européen de la firme Woermann à Bonanjo, le plateau Joss est occué par les Allemands, cf. R. Austen). King Akwa, Dicka Mpondo, qui s’opposait jusque là au drapeau allemand dans sa cour, est invité à son tour, et doit fuir à Ndonga, son clan maternel, et laisser planter le drapeau allemand dans sa cour. Menacé de se faire « destituer », c’est-à-dire ne plus commercer avec lui aux conditions que lui confère le statut de King (accostage à son port d’attache des bateaux, paiement de divers droits de douanes et de redevances portuaires et commerciales), il doit revenir avec son conseil et son cabinet (secrétariat, interprète, coursier).

Les Allemands installent leur bureau civil, petite force militaire formée d’Africains étrangers au Cameroun, et quelques moyens de transport, des bateaux à vapeur. Ces éléments vont croître petit à petit, jusqu’en 1895. Julius Freiher von Soden et Eugen von Zimmerer occupent les fonctions de gouverneurs, cinq ans chacun, pour les Allemands. C’est le suivant, Jesko von Puttkamer (1895-1907), qui entame l’ uvre coloniale. Il commence d’abord par sortir deux décrets interdisant aux Princes et autres marchands douala, leurs activités commerciales sur toute l’étendu du territoire, le premier (22 mai 1895) dans les termes suivants: Il est interdit aux hiérarques, aux commerçants, à tous les membres de la tribu duala et celles de la côte qui sont apparentées de se livrer à la chasse aux éléphants, au commerce et d’engager un personnel pour ces activités; Les contrevenants seront sanctionnés par des amendes jusqu’à mille marks ou par une détention. Le second (18 juin 1895) stipulait: Il est interdit aux membres de la tribu duala de s’installer, dans le but de faire le commerce ou la chasse, dans la région qui s’étend de la Sanaga jusqu’à l’embouchure de la Kwakwa en aval.

Ces décrets marquent le début d’une occupation silencieuse et d’une administration aliénante du territoire par les Allemands, la mise hors jeu des institutions établies dans la cohérence avec celles des Camerounais, comme la Cour d’Equité, en 1856, et le signal de l’appauvrissement inexorable des Camerounais.


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