Landry Simo et Hervé Lado, pour Camer Vision
Du 28 janvier au 05 février 2013, le Président de la République du Cameroun, Paul Biya, a effectué une visite de travail en France. Au programme, une audience avec le Président français François Hollande, une rencontre avec le patronat français le MEDEF, et un échange avec des Camerounais de la diaspora. Une visite de travail principalement à caractère économique. Qu’espéraient les Camerounais de cette visite ? Comment cette visite s’est-elle déroulée ? A-t-elle été à la hauteur des attentes de la diaspora camerounaise en France ? Quel bilan peut-on en faire ? Tels sont les questionnements qui étaient au c ur du débat organisé à la Maison de l’Afrique (IREA) à Paris, mardi le 05 mars 2013. Cette troisième édition de Camer Vision, espace de réflexion, d’échange d’informations et de débats des Camerounais en France, avait pour invités trois témoins de cette visite : l’écrivain Gaston KELMAN, le Délégué en France du patronat camerounais GICAM Jean-Marie TALLET, et l’avocat Serge BAKOA qui a notamment suivi côté Medef le volet économique de la visite et présenté au président les doléances de la diaspora. L’économiste Hervé LADO, coordonnateur de Camer Vision modérait le débat.
La visite du Chef de l’Etat a été « globalement satisfaisante », nous dit Gaston Kelman en introduction. Tout en précisant qu’il n’a pas été dans le « secret des dieux », il a apprécié cette visite dans son volet politique -la rencontre avec le Chef de l’Etat français- et économique -la rencontre avec le monde de l’entreprise. Néanmoins, quelques points brident l’efficacité de telles rencontres. D’abord, les propositions faites au Président de la République lors de la rencontre avec les délégués de la diaspora apparaissaient quelque peu individualistes. Les Camerounais y sont allés en rang dispersés, apportant chacun des propositions et des idées concernant soit une association qu’ils avaient créée, soit une problématique qui les concerne directement. Aucune proposition d’ensemble telle que celle relative à la facilitation des investissements n’a été formulée, excepté celle relative à la double nationalité. D’ailleurs, estime Gaston Kelman, qui se dit ‘émigré’ et non pas membre de la ‘diaspora’ qui évoque d’autres réalités, la double nationalité doit faire l’objet d’une réflexion en profondeur sur le sens que nous donnons à l’acte de naturalisation, car un acte « d’une telle puissance » ne doit pas se faire à la légère. Il conviendrait donc de mieux préparer les prochaines visites avec des propositions plus globales et plus structurées, tout en résistant à la tentation de la critique systématiquement négative. Gaston Kelman a justement insisté sur le danger que représente la tendance à systématiquement critiquer et de façon négative les pays africains. Il y a déjà assez de voix pour le faire. « Nous ne savons pas à quel point on donne de la voix à son maître lorsqu’on pense que la seule perspective que nous puissions avoir c’est de porter une critique systématique sur tout ce qui se fait » dans nos pays. En un mot, il convient mieux nous organiser pour réussir les prochaines rencontres, réfléchir au sens que nous donnons à l’acte de naturalisation, et résister à la tentation de la critique négative.
Serge Bakoa quant à lui s’est proposé de retracer les grands moments de la visite du Président de la République. Cette visite de travail a mobilisé en France plus de 110 institutions publiques et privées. D’abord la rencontre le 31 janvier entre le Chef de l’Etat et le patronat français qui était le point d’orgue de la visite. Les ministres camerounais de la suite du Président, le Président du Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM) André FOTSO, le Président du Mouvement des entrepreneurs du Cameroun (MECAM) Daniel Claude ABATE, ainsi que le Président de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat Christophe EKEN, ont longuement échangé avec les membres du patronat français. Les discussions tournaient autour de l’environnement des affaires au Cameroun et des opportunités d’investissement. Certaines entreprises, déjà fortement engagées au Cameroun ont pu échanger directement avec le Chef de l’Etat. C’est le cas de GDF SUEZ, actuellement en partenariat avec la SNH sur la centrale de gaz à Kribi ; du groupe SOMDIAA maison-mère de Sosucam ou du groupe LAFARGE qui porte le projet d’extension de Cimencam. Ensuite, a eu lieu la rencontre avec une délégation de la diaspora le 04 février : le Président de la République est d’abord revenu sur son absence quelques jours auparavant pour s’en excuser. Puis Manu Dibango a plaidé pour la création d’une Académie des Arts et des Lettres, et Véronique Lehman a insisté sur l’organisation d’un Forum des professionnels de la santé. Serge Bakoa a précisé que le discours présenté au nom de la diaspora est le résultat d’un consensus des Camerounais ayant travaillé à sa formulation et a attiré l’attention du Chef de l’Etat sur la prise en compte de la diaspora par le prestataire technique de la compagnie nationale Camair-Co (que le Président a mentionné à trois reprises dans ses propos) des intérêts du Cameroun, et sur les possibilités de mobilisation par le Cameroun des financements à l’étranger. Le Président de la République a conclu en ces termes : « Nous avons bien enregistré les doléances qui ont été présentées, nous allons les examiner, et nous allons revenir vers vous à ce sujet ».
Quant au rôle joué par le Gicam lors de cette visite, son Délégué en France, Jean-Marie Tallet, a souligné que ceci rentre dans la nouvelle dynamique engagée par le Gicam depuis un peu plus d’un an. Pour lui, cette institution, active depuis 1957, et qui regroupe les entrepreneurs et les dirigeants des principales entreprises camerounaises, s’ouvre désormais à toutes les hautes compétences désireuses de contribuer au développement du pays. Jean Marie Tallet a rappelé qu’il vient de conduire une délégation de la diaspora à Douala pour participer aux Journées de l’Entreprise organisées du 09 au 16 février par le Gicam, et qui ont également permis de préparer, en amont avec le Président du Gicam et en liaison avec les autorités publiques camerounaises, la visite de travail du Président de la République en France. Des objectifs précis étaient associés à la participation de la délégation économique conduite par le Président André Fotso : poursuivre la promotion du Cameroun économique auprès des investisseurs français, rencontrer des partenaires économiques déjà engagés au Cameroun et associer les efforts du Gicam à ceux du gouvernement dans cette entreprise commune qui permettra de redynamiser l’économie nationale afin de générer des points de croissance supplémentaires nécessaires à l’émergence en 2035. Pour Jean Marie Tallet, la mission a été largement accomplie et il invite les membres de la diaspora qui hésitent encore à rejoindre au sein de la délégation du Gicam en France cette dynamique constructive en marche.
Poursuivant le débat, le Premier Conseiller de l’Ambassade du Cameroun à Paris, Victor Tchatchouwo, a révélé que « le Chef de l’Etat est rentré très satisfait de la visite ». Evoquant l’appel lancé par le Président de la République depuis 2009 en direction de la diaspora pour qu’elle participe aux projets en cours au Cameroun, et du Premier Forum Economique et Commercial de la diaspora qu’il avait ensuite initié en août 2010 à Yaoundé avec une forte participation de la diaspora de France, le Premier Conseiller a souligné l’importance que le Chef de l’Etat accordait à cette visite, et apprécié l’accueil chaleureux dont il a fait l’objet. Le Premier Conseiller a distingué trois étapes majeures : d’abord, la rencontre du 30 janvier avec son homologue français, réunion de travail : les deux Chefs d’Etats ont réaffirmé leur engagement à renforcer les liens d’amitié entre les deux pays, ont discuté du défi de la stabilisation du Mali pour lequel le Président de la République a salué l’intervention française en soulignant qu’il va dans le sens de la lutte contre le terrorisme. Il a également réaffirmée la disponibilité du Cameroun à jouer un rôle moteur dans la sous-région. Pour ce qui est de la rencontre du 31 janvier au Medef, il s’agissait d’une rencontre voulue par le Président de la République lui-même pour attirer davantage d’investisseurs au Cameroun et passer le message que « le Cameroun est un bon risque ». En ce qui concerne la diaspora, le Premier Conseiller a loué la forte mobilisation des Camerounais et souligné que le Chef de l’Etat s’était excusé pour son empêchement à travers le discours prononcé par le Ministre des relations extérieures. Il a rappelé que le Président avait pris bonne note en 2009 des doléances sur la question de la double nationalité et celle du vote des étrangers. Ce second point a été résolu avec le vote des Camerounais en France à l’élection présidentielle de 2011, le premier point est en examen : « Il faut attendre dans la sérénité ».
Dans le débat avec la salle, le journaliste Serge Mezatio a relevé pour le regretter le caractère discrétionnaire et discriminatoire de la sélection des délégués de la diaspora qui ont rencontré le Président de la République. Engelbert Endomba lui a emboîté le pas en attirant l’attention sur l’exigence de la structuration de la diaspora, pour une meilleure cohérence de ses initiatives. Pour lui, il faut bien reconnaître que chacun y est allé avec ses propres intérêts, et par ailleurs certains Camerounais se sont même demandé si les délégués étaient encore Camerounais. Lorsqu’on analyse le fond des doléances, on se rend bien compte qu’elles vont dans l’intérêt des personnes présentes. Ceci est d’autant plus vrai que le Premier Forum économique et commercial d’août 2010 au Cameroun était un « véritable gâchis, une catastrophe ». Mal organisé de bout en bout, on y est allé en rang dispersé chacun avec ses propres préoccupations. Des structures parallèles ont émergé -associations et fédérations- toutes prétendant représenter les Camerounais de France. Alors même que l’une des conclusions de ce forum avait été la création d’une structure fédérative, rien n’a changé depuis lors. « Le bilan de la visite du Chef de l’Etat devrait nous amener à mieux structurer notre organisation vis-à-vis du Cameroun et vis-à-vis de ce type de rencontres ». Il convient d’établir à l’étranger des structures transversales pour fédérer les actions et projets des Camerounais de la diaspora. Serge Bakoa a retracé l’historique récent du projet de création par les Camerounais eux-mêmes d’un Conseil Supérieur des Camerounais de France en liaison avec l’Ambassade, et le Premier Conseiller a confirmé que les documents fondateurs (projet de statut, plan d’actions et bureau provisoire) sont en relecture auprès des autorités au Cameroun. Arguant que l’institution est censée représenter l’ensemble des Camerounais de France, y compris les membres de partis politiques, Paul-Eric Emery (en charge de la communication du RDPC) a toutefois objecté l’idée que la présidence de la structure provisoire doive être confiée à un Camerounais non encarté dans un parti politique, idée avancée pour garantir l’impartialité, l’objectivité, la transparence et la représentativité.
Le débat s’est terminé sur une exhortation des trois invités à « changer de paradigme ». En effet, « on a longtemps pensé que l’investisseur, c’est d’abord l’entreprise française ou américaine. Aujourd’hui, l’investisseur c’est le Camerounais lui-même ». Les investissements et transferts de la diaspora représentent un poids significatif dans l’économie camerounaise, se chiffrant à près de 240 milliards de FCFA, les seuls transferts d’argent étant estimés de 7 à 8 milliards de FCFA. Le Président de la République a promis de revenir en France d’ici la fin de l’année. Il conviendrait d’ici là, pour sortir de l’improvisation et de l’impréparation, de finaliser le projet de Conseil Supérieur des Camerounais de France et d’engager résolument la coordination des initiatives aujourd’hui éparses et illisibles, et à ce sujet, la délégation du Gicam en France a déjà lancé l’inventaire des entreprises de Camerounais en France. Pour le prochain Camer Vision n°4, Hervé Lado a annoncé le prochain rendez-vous pour le 02 avril pour débattre de cette première de l’histoire du Cameroun, les Sénatoriales du 14 avril 2013.
