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Raoul Nkuitchou Nkouatchet rend hommage au journaliste camerounais Pius Njawé

"On devinait mal ce gaillard vieillir tranquillement dans sa maison de Bafang, tant il semblait déterminé à mener son destin…

« On devinait mal ce gaillard vieillir tranquillement dans sa maison de Bafang, tant il semblait déterminé à mener son destin jusqu’à son terme. »

On devinait mal ce gaillard vieillir tranquillement dans sa maison de Bafang, tant il semblait déterminé à mener son destin jusqu’à son terme. Pius Noumeni Njawé s’en est allé sur une autoroute de Virginie, là où le miracle américain avait pris naissance au début du 17e siècle. Cet homme qui était descendu de Bafoussam avec son petit journal sous la main, au début des années 1980, allait tenir quelques années plus tard, l’équivalent au Cameroun des Révolutions de Paris ou du Courrier de Provence de l’époque révolutionnaire en France ! Pius Njawé a tout connu : le succès, la consécration et la gloire, les difficultés, l’échec, la persécution, la prison, le deuil de son épouse, et finalement une mort violente à seulement 53 ans. Même par sa mort, il a défié la banalité. A-t-il échappé aux balles ? Il partira dans un accident de la route, très loin de Douala, sur le sol de ce pays qu’il admirait, les Etats-Unis d’Amérique. Il retournera chez lui en héros, comme Mgr Ndongmo, Jean-Marc Ela, et un jour les Abel Kingué, Félix Moumié. Amadou Ahidjo.

Les choses n’auront pas vraiment été données au fondateur du journal Le Messager. Repéré depuis longtemps comme « ennemi public numéro un », on ne lui a guère facilité la tâche ! Mais le bonhomme consommait à merveille l’art de se faire respecter. « Le principe de l’honneur et du courage, c’est, au fond, de tenir pour petits les maux les plus grands quand ils viennent du destin et, à l’inverse, pour grands même les plus petits quand ils émanent des hommes. » Tel est le vade-mecum que Schopenhauer aurait pu souffler à Pius Njawé. D’un naturel aimable, il savait mépriser les nains qui commettaient l’imprudence de se prendre au sérieux. C’est la marque des hommes de caractère. Etait-il conscient d’appartenir depuis longtemps à l’histoire du Cameroun, lui le provincial autodidacte ? Sans aucun doute. Mais il la jouait modeste. L’homme savait ne pas éclabousser ses contemporains ; il était d’ailleurs d’une modestie non feinte. Cependant, les murs de son bureau étaient tapissés de ses photos avec les grands de ce monde, Nelson Mandela, Helmut Kohl, Bill Clinton et consorts. Ca parle de faire valoir la hauteur où l’on est arrivé, surtout lorsqu’on ne l’a pas volé. Il lui arrivait de rendre visite à son illustre voisin là-bas à Akwa, le cardinal Christian Tumi à qui il vouait un véritable culte. Ils avaient toujours des choses à se dire.

A la base, Pius N. Njawé n’est pas homme de culture. Il y accèdera grâce à un effort de longue haleine. C’est instinctivement, comme souvent chez les hommes décisifs, que ce journaliste formé sur le tas prend conscience, vers la fin des années 1970, alors qu’il est encore très jeune, sous Ahidjo ! qu’il n’est pas de grand moment politique sans l’éruption des journaux qui préparent et accompagnent l’évènement. Ce grand moment auquel Njawé donnera son nom, c’est l’avènement – ou le retour – du multipartisme. Pendant plusieurs années, tous les praticiens, tous les spéculatifs ont été amenés à prendre position par rapport au Pouvoir ; ils ont donc rêvé de publier au journal de Pius Njawé. Au cours de ces années-là, la vie politique fut tout. Le peuple camerounais se réveilla subitement et se mit à revendiquer ses droits. Ce moment de l’histoire du Cameroun doit beaucoup à Monsieur Njawé.

D’instinct encore, Njawé avait pris le parti de ne pas céder à la peur, ce principe du gouvernement despotique que met en lumière toute la philosophie politique classique. Être vif et de tout feu, Njawé était également doté d’un courage physique exceptionnel. Il avait ce je-ne-sais-quoi qui en faisait un héros à la Baltazar Graciàn. L’homme ne se laissait intimider ni par les gendarmes du régime ni par ces ministres-professeurs qui dégainent leurs titres à tout-va au Cameroun. On l’a vu à plusieurs reprises mettre une fessée à quelques uns parmi ces derniers ! Le fondateur du Messager aura été, dans ce pays miné par le culte imbécile du diplôme, un rappel à lui tout seul : l’histoire se fait par des hommes qui ont du caractère. Les parchemins universitaires ne représentent qu’une option pour des types qui ont quelque chose de consistant à donner au monde.

Chez Njawé, le combat pour le Cameroun ne tenait pas d’un principe abstrait ; il savait que la vitalité de ce pays était nécessaire à son propre accomplissement. Voilà, peut-être, le secret de son acharnement à rester dans l’ il du cyclone, alors que nombreux sont les combattants d’hier qui ont depuis déposé les armes. Il faudrait laisser Raymond Aron dire « au revoir » à Pius, tous les deux étaient des passionnés de la liberté. « L’existence humaine est dialectique, c’est-à-dire dramatique. » On pourrait ajouter absurde.

Pius Njawé
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