«Le devoir de mémoire est celui là qui pourrait nous aider à reconstruire notre histoire afin que la jeunesse comprenne comment les ainés ont vécu»
Après avoir passé 30 ans de protectorat allemand (1884 – 1914) et environs 45 ans sous tutelle française et britannique, le Cameroun commémore cette fois ses 50 ans d’indépendance (1960-2010). Notre cher pays aura donc connu l’influence allemande, britannique et française pour atteindre son autonomie. Avec son indépendance il saura se hisser en ligne du droit des peuples à disposer d’eux même avec cette fois une élite administrative locale.
Mon grand-père, sorti de l’Ecole Supérieure de l’époque faisait partie des premiers cadres de cette administration. Avec fierté il me racontait toujours comment ils étaient fiers d’avoir remplacé les blancs et pouvoir servir dans l’administration. J’aimais bien son expression. Il parlait un français très simple mais doué d’une pensée qu’il laissait glisser dans chaque fin de phrase. Il n’hésitait pas souvent de me rappeler que l’école d’antan formait l’homme dans la discipline, dans l’ardeur et dans l’abnégation. Je me souviens encore de cette phrase que j’ai gardée de lui:
«Nous sommes les propres artisans de notre destin. Qui compte sur les souliers d’un mort court grand risque de marcher nus pieds.»
Ce rappel dans toutes les circonstances pourrait s’étendre dans toutes les sphères et je le comprends toujours comme ce cri pour la valeur et l’effort afin de compter sur ses forces sans attendre qu’autrui vienne comme un Messie pour donner un sens à notre épanouissement. Aussi je me rappelle de cette phrase d’une vielle dame me disant «mon fils du temps des colons on avait de quoi manger. On ne gagnait certes pas trop mais avec le peu que nous avions il était possible de couvrir les besoins de la famille.» Ma curiosité me poussait à savoir combien mon grand père cadre de l’administration de l’époque pouvait toucher pour garantir une éducation à ses enfants. En compte pas beaucoup au regard de la surenchère de la vie de nos jours. Mais je peux bien comprendre que le coût de vie au Cameroun ait exponentiellement évolué tout comme sa population. Si pendant la période coloniale la ville capitale de Yaoundé comptait près de 20 mille habitants et qu’aujourd’hui nous soyons à plus de 1,5 Millions d’habitants cela prouve avec quelle progression les choses ont pu changer en 50 ans. L’Etat Camerounais aurait certainement pendant toute cette période su consolider et ajuster ses plans de développement urbains et ruraux en tenant compte de sa poussée démographique.
Les moniteurs indigènes ont fait place aux instituteurs. Toutes les catégories professionnelles ont connu de grandes métamorphoses par le biais des structures de formations qui y sont instaurées depuis des lustres. Je me suis toujours penché dans cette comparaison entre le passé éducatif et le présent au Cameroun et j’ai rencontré des vieux instituteurs au cours de mes parcours pour qu’ils me donnent leur opinion sur les changements ainsi que leur souvenir des temps passés. Ne dit-on pas toujours qu’un vieux qui meurt est une bibliothèque qui brûle?
Donc bien avant je me suis toujours intéressé à la conservation de ce patrimoine d’expériences. C’est ainsi que lorsque je me rendis dans un petit village je vais rencontrer un «Maledi», qui signifie en langue Douala le Maitre. Avec lui j’ai voulu échanger le plus longuement possible pour me plonger dans son enfance et aussi dans l’éducation qui leur était dispensée. Septuagénaire Maledi me reçoit dans sa plantation d’ananas en toute fierté en me disant «mon fils c’est nous qui avons formé les têtes de ce pays. Mais parfois nous avons l’impression que la nation nous a oublié.» Comme une onde de choc je me retins et lui demandai: comment cela Papa? Vous n’êtes pas pensionnaires? Lui demandais-je? «Oui me répondit-il mais c’est minable trop minable même pour que mon épouse et moi passions une retraite paisible. C’est pourquoi j’ai cette plantation pour récolter les légumes et la pension pour mes soins de santé.»
Pour ce cinquantenaire je voudrais suggérer mes doléances à l’endroit de ceux là dans différents domaines qui ont servi la nation et ont donné de leur énergie pour nous jeunes:
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André Ekama |
S’il se souvient encore de ses études pendant la période coloniale et ensuite la période postcoloniale plus précisément celle de l’indépendance où il a exercé pendant plus de 30 ans dans l’enseignement primaire au Cameroun, il demeure très fier d’avoir servi la nation avec honneur et avoir été un enseignant toujours soucieux d’attribuer aux jeunes un message soit sur l’histoire du Cameroun qu’il maîtrise parfaitement ou sur les phénomènes de migrations des peuples bantous. Je le remercie pour m’avoir accordé de son temps pour me glaner toute son expérience. Car ce devoir de mémoire est celui là qui pourrait nous aider à reconstruire notre histoire afin que la jeunesse comprenne comment les ainés ont vécu. Il garde de son parcours dans l’enseignement et aussi de cette éducation d’abord au village auprès des vieux sages de sa tribu et ensuite des missionnaires de l’époque beaucoup de marques. Pour nous jeunes, il s’agit de rapprocher les écoles. Nous devons prôner cette union entre les traditions et le modernisme si nous voulons affirmer nos valeurs identitaires dans ce monde en globalisation.
Si Maledi voit en la période coloniale où il fit ses études, un sens premier qui fut celui de sortir l’Homme de l’état de nature tout en développant en lui différentes facultés à savoir morales, intellectuelles, physiques et psychiques. Il insiste sur le fait que le développement de toutes ses facultés ne pouvait être sans faire appel aux interventions des méthodes pédagogiques adéquates. Aussi éduquer l’homme ou l’enfant en miniature a toujours nécessité la discipline. Au début c’était la discipline coercitive. Elle fut remplacée par les méthodes actives qui tenaient compte de la personnalité de l’enfant et lui offraient le droit à l’expression et la liberté. Seulement Maledi me raconta comment fut son enfance et je puis me faire une idée sur le développement que l’école a pu connaitre au Cameroun.

Un extrait de mon livre «L’Ecole d’Antan» en parution
Maledi me raconta: «Au village ou je naquis j’avais été orphelin de père à partir de l’âge de six mois. Ma mère entreprit de m’élever. Elle souhaitait me voir entrer à l’école du blanc. Elle s´y rendit chez l´un de ses cousins qui était catéchiste pour lui demander conseil. Lorsqu´elle se trouva à la grande cour elle rencontra d´autres femmes du village qui voulaient aussi inscrire leurs enfants à l´école car elles ne voulaient plus que ceux-ci deviennent des planteurs comme l´avaient été leurs époux. Une espèce de calme régnait dans le salon du catéchiste si bien que l´une des femmes s´exclama si le Saint Esprit y était présent pendant cet entretien. Elle s´écria d´une façon qui lui était connue lorsqu´elle semait les arachides aux champs et animait le groupe de travail qui l´accompagnait. Même le catéchiste ne restait pas indifférent à cette objection. Il appela l´un de ses fils aîné et lui demanda d´apporter du vin de palme aux mamans.
Maman Kabo, la plus vieille exigea de la nourriture. Ne nous rendons pas en état d´ivresse chaque fois que nous siégeons leur dit elle. Si nous sommes rassemblées ici, c´est pour discuter de l´avenir de nos enfants et du devenir de notre village. Allons-nous demeurer des paysannes? Quel destin voulons-nous pour notre lieu natal? Dieu nous l’a rendu fertile. Nous n´avons qu´à voir nos récoltes. Nous avons la pluie au cours de l`année et nos terres n´ont pas besoin d´engrais. Seulement n´est il pas le moment de voir fructifier une autre moisson dans notre village? Celle des têtes autour de nous, puisant leur force dans cette nature qui nous est chère et sur lesquelles le développement en dépendra? Si nous avons usé depuis de la paume de nos mains pour élever ces enfants, il nous reste aussi le devoir de les instruire pour faire illuminer le savoir. Nos enfants ne devront pas s´affirmer par le dur labeur des champs mais exploiter les ressources de ces champs pour en faire d´autres produits. Seule l´école pourrait créer ce nouveau type d´hommes. Laissons leurs champs libres à une autre façon d´appréhender la nature et ouvrons le village aux méthodes nouvelles sans toutefois perdre nos traditions car un peuple sans tradition est déraciné et demeure sans élan pour éclore son génie. Dès que Maman Kabo avait terminé toutes les femmes applaudirent pour saluer la clairvoyance de ce message.
Celles qui se lamentaient encore de voir leurs enfants ne plus les assister aux champs, murmuraient au coin mais trouvaient néanmoins les conseils assez progressifs. Ma Sira elle plaidait pour plus de l´importance sur la connaissance des valeurs traditionnelles pour ces enfants. Lorsqu´ils s´imprégneront de l´école du blanc, ils nous oublieront et ne sauront plus qui ils sont. Le catéchiste ajouta dans le même ordre que Maman Kabo mais insista sur la reconversion chrétienne des âmes du village. Depuis que je crois en Dieu le Père mon espoir est plongé dans la paix et l´amour.
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André Ekama |
Le catéchiste poursuivra son sermon et ordonna une prière qui dura encore davantage. Mais dans une atmosphère décontractée, les femmes se réjouissaient du moins d´un recueillement du genre différent du rythme régulier des travaux de champs. A cette époque le village n´avait pas encore de mission. La maison du Catéchiste disposait d´une vaste cour ou se réunissait des fidèles les dimanches. Après avoir longuement prié, le Catéchiste discuta donc du problème qui avait amené les femmes chez lui. Celui de l’inscription des enfants à l´école.»
C’est dans les termes d’illustration sur l’école et aussi sur les réflexions des femmes de l’époque que je voudrais voir projeter les prochains 50 ans du Cameroun, le berceau de nos ancêtres. Nous devons du respect à nos ainés. Nous devons renouer avec nos valeurs et que le respect des règles qui régissent une société ne soient en aucun cas bafouées. Nous devons considérer la personnalité et respecter les droits de l’homme. Nous devons prôner le dialogue et pour terminer, reprendre les termes de Maledi
«Il faudrait que l’on s’attèle progressivement dans ce processus de l´éducation moyen de transformation de l´individu par l´enseignement qu´il acquiert. Car il ne peut avoir de nouvelles générations sans éducation adéquate. Un pays sous instruit est un pays sous-développé».
Vive le Cinquantenaire du Cameroun
Et Respect de la Mémoire de tous ceux qui y ont péris au champ d’honneur pour voir notre pays indépendant.
Vives les Héros du Cameroun
