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Richard Keuko: «Combler les blancs de l’histoire du Cameroun»

Tel est l'objectif affiché de cet auteur, à travers son sixième ouvrage qui vient de paraitre aux éditions Cauris d'Or…

Tel est l’objectif affiché de cet auteur, à travers son sixième ouvrage qui vient de paraitre aux éditions Cauris d’Or

Votre livre retrace la vie de 50 personnes que vous appelez les «Hommes de l’indépendance du Cameroun» pourquoi ce thème?
La célébration des cinquantenaires de l’Indépendance et de la Réunification est une occasion exceptionnelle pour ouvrir le débat sur une période qui a frustré beaucoup de Camerounais dont moi-même. En effet, 1950-1970 est une période déterminante de l’histoire du Cameroun, mais paradoxalement la plus mal connue. Notre histoire nationale est enseignée de façon parcellaire, et certaines figures qui ont marqué l’époque sont passées aux oubliettes, alors qu’elles méritaient d’être portées au panthéon ou vouées aux gémonies, cela dépend, mais toujours présentes pour nous rappeler en permanence le danger de prendre certains chemins. C’est pour cela que je me suis aussi bien intéressé à ceux qui ont uvré pour que le Cameroun devienne indépendant qu’à ceux qui freinant des quatre fers, ne le souhaitaient pas. Des indépendantistes tels que Ruben Um Nyobé, Félix Moumié ou Kingué Abel cohabitent avec des personnalités comme André-Marie Mbida, Charles Okala ou Douala Manga Bell qui défendaient l’intégration dans l’Union française auprès des Nations unies.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser cet ouvrage, partant de la collecte des données jusqu’à la publication?
C’est un projet sur lequel je travaille depuis des lustres. Restituer même partiellement la mémoire de mon pays m’a toujours hanté, parce que j’ai grandi dans une grande frustration; celle de ne pas savoir qui je suis véritablement. J’ai toujours compris que l’histoire de mon pays qu’on nous enseignait à l’école comportait d’énormes blancs. Il fallait un jour les combler. D’abord pour moi-même et ceux de ma génération, mais surtout pour que ceux qui viennent après ne souffrent des mêmes frustrations. J’ai compris qu’il était important de faire quelque chose: Participer, mais sans chercher à l’influencer, simplement essayer de présenter une époque de notre histoire comme elle a été vécue. Ce travail ouvre la voie à toutes sortes de critiques, c’est vrai, mais vous savez, en matière d’histoire il est difficile d’être totalement objectif. Déjà pour ne retenir que 56 visages sur tous les hommes et femmes politiques qui ont meublé cette riche époque, il a fallu que je fasse un choix subjectif. Mais j’estime que le choix fait est assez représentatif de cette époque.

Vous avez fait le choix d’illustrer le livre par des toiles plus que par des photos, pourquoi?
J’ai fait ce choix parce que je pensais que le coup de pinceau des artistes redonnerait vie à ces personnalités, en tout cas plus que la pâleur historique de vieilles photos que j’ai trouvées ici et là. C’est un choix artistique, d’autant plus réussi que ceux qui ont réalisé ces illustrations ont fait preuve d’une certaine liberté d’esprit. Au final, les visages ont perdu la neutralité de la photographie posée, et se rapprochent de l’idée que se fait la mémoire collective de tel ou tel personnage. C’était l’objectif poursuivi.

Richard Keuko, auteur
Journalducameroun.com)/n

Qu’est ce qui selon vous peut expliquer le fait que l’on ne mette pas un accent particulier sur l’enseignement de l’histoire de notre pays à l’école?
En dehors du fait que c’est l’histoire du vainqueur ou l’histoire vu selon le vainqueur qui s’enseigne généralement dans les écoles, il me semble que les blessures et les rancoeurs accumulées à l’époque étaient si vives qu’il paraissait difficile de l’aborder sans que ne ressurgissent les démons du passé. Or il fallait construire l’unité nationale, taire au moins provisoirement les récriminations des uns et des autres, rassurer ceux qui partaient de ce que leurs intérêts seraient toujours protégés. Or je pense qu’aujourd’hui, il est de nouveau possible de parler.

Avez-vous le sentiment que le sujet préoccupe tant que cela les décideurs que de redonner de la valeur à ces hommes de l’indépendance?
Le message à la Nation du chef de l’Etat à la fin d’année 2009 était assez clair là-dessus. Il y était question de ceux qui se sont battus pour l’indépendance de ce pays, des gens qui méritent de la considération. A mon avis, ce discours met un terme à la polémique qui a cours au Cameroun depuis l’indépendance et qui nous empêchait de lever le voile sur ce pan de notre histoire, parce qu’on ne savait pas si on avait le droit de parler d’untel ou d’untel sans être mal vu. Aujourd’hui, les langues et les esprits doivent se libérer.

S’il fallait refaire le livre ou alors écrire un deuxième volume quelles personnalités choisiriez-vous et pourquoi?
Si c’était à refaire, je referais pareil. J’éviterais bien entendu quelques coquilles qui se sont malencontreusement glissées dans le travail, par exemple les dates de décès de Félix Moumié et de Ndeh Ntumazah (Ndr, 1960 et 2010, au lieu de 1959 et 2009). Si je devais faire un autre tome, je remonterais plus loin dans le passé. L’entre-deux-guerres est historiquement parlant fort intéressant aussi, avec le Traité de Versailles, la crise de 1929 et leurs conséquences sur le Cameroun. A cette époque aussi, il y avait des nationalistes et des collabos, qui ont eu des descendants, etc. Mais tout est brouillé, à cause du grand mensonge qui a corrompu la mémoire collective. Intéressant…

Où et à combien peut-on avoir le livre?
Le livre se trouve dans toutes les bonnes librairies. Il coûte 10 000 Fcfa.

Cinquante six visages au total camerounais et étrangers se côtoient dans cette galerie de portraits
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