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Riposte au Covid-19 : communication de crise ou communication politique, là est la question…

Eric Léonel Bayongock est communicant pour le cabinet de lobbying bruxellois Commz.EU. Dans son analyse, au Cameroun il dénonce un…

Eric Léonel Bayongock est communicant pour le cabinet de lobbying bruxellois Commz.EU. Dans son analyse, au Cameroun il dénonce un système de communication politisé qui surmédiatise les ministres au détriment des vrais héros… Pour lui, le Cameroun a véritablement du mal à s’affirmer en tant qu’Etat stratège et protecteur depuis le début de cette pandémie. Décryptage

Face à une crise de l’ampleur du covid-19, on ne peut ne pas informer les citoyens sur l’état de la situation sanitaire. Il y va de la mission des différents Etats d’informer quotidiennement les populations sur les chances qu’elles ont de survivre à ce virus. Cet exercice de transparence systématique est d’ailleurs capital à plusieurs titres : il confère dans un premier temps du crédit aux acteurs, qui ont été mobilisés pour gérer la situation ; puis, dans un second temps, il permet au gouvernement de garder minimalement le contrôle du récit autour de la crise.

Notons cependant que le discours autour d’une crise sanitaire comme celle que nous traversons va bien au-delà du décompte des cas infectés, du nombre de patients guéris et des décès enregistrés. A côté de ce discours, il y a un ensemble de sujets très importants sur lesquels il faut communiquer. Mais dans le cas du Cameroun, ces sujets ont été efficacement récupérés par la rue et les internautes. Il s’agit notamment des probables mesures curatives une fois qu’on a contracté le virus, le niveau de prise en charge des cas infectés, le traitement qui est réservé aux citoyens camerounais de retour dans leur pays, le processus ou le traitement par lequel certaines personnes infectées ont pu guérir, les mesures d’accompagnement pour les secteurs d’activités affectés par le ralentissement de l’économie et plus encore…

Présenté ainsi, il va de soit que la communication de crise ne peut se limiter à un décompte macabre. Elle doit embrasser tous les sujets qui gravitent autour du problème pour y donner une lecture juste et moins alarmiste. L’objectif étant de rassurer les populations et de les amener à adopter de nouveaux comportements pour leur propre sécurité afin d’éviter une psychose qui serait contre-productive dans la stratégie de lutte contre le virus.

  Face au risque, point de Lenteur – point d’hésitation 

Le gouvernement camerounais dans la gestion de la crise opère une montée en puissance au fil de la courbe des cas infectés. Dès le départ, le gouvernement a manqué d’anticipation et de célérité dans la prise de décisions. La crise éclate en Chine, principalement dans la ville de Wuhan, puis elle se propage dans presque toute l’Europe et sur le continent américain. Durant des jours et des semaines, de nombreux cas sont enregistrés et les premiers pays touchés par le virus déclarent des pertes en vies humaines par centaines.

Sachant que nous sommes une des destinations africaines privilégiées de la Chine et des pays de l’Union européenne, les dirigeants camerounais auraient dû aussitôt prendre des mesures à nos frontières et dans nos établissements sanitaires pour que nous ne soyons pas percutés de plein fouet par la vague d’infections venues de la Chine et du vieux continent. Soit, nous n’en sommes plus là. Par la suite, après avoir enregistré nos premiers cas infectés, et connaissant nos capacités limitées en matière de gestion de ce type de pandémie, nous aurions dû, pour éviter une large propagation, couper les villes aéroportuaires du reste du pays et préparer des camps de quarantaine, pour la plupart hors des hôpitaux habituels pour limiter l’infection de ceux qui s’y rendent pour d’autres maladies. Ceci nous aurait évité le fiasco des centres de quarantaine improvisés dans certains hôtels des villes de Yaoundé et de Douala, sans réel suivi et prise en charge sanitaire et psychologique.

A cette préparation logistique, on aurait dû associer une gestion stratégique de l’information afin de ne pas perdre l’opinion publique. En effet, nous vivons dans l’ère du doute généralisé, de l’information fragmentée et de la contestation systématique de la parole publique. Le gouvernement doit réussir à endiguer ce doute par sa mobilisation et sa transparence, par une communication de crise qui ne peut se permettre la moindre approximation. Le principe est simple : la proactivité, l’occupation de l’espace public, l’uniformité du discours public et la crédibilité des porte-parole.

La structure mise en place pour la gestion de la crise du Covid-19 au Cameroun peine à s’imposer sur le champ de l’information. Passé le décompte des cas infectés et du nombre de décès par le ministre de la Santé publique (via son compte tweeter), le discours de la rue prend le pas. Faute d’une parole publique qui s’impose, les thèses complotistes sur la nature du virus et son caractère inoffensif pour les peuples de l’Afrique tropicale abondent et s’ajoutent aux fausses informations pour participer à l’inefficacité de la communication publique de crise déployée par le gouvernement. Les gestes barrières sont péniblement adoptés, les sorties publiques du gouvernement sont tournées en dérision, les mesures barrières prescrites par le Premier ministre sont boudées, contestées et défiées dans certains cas et, des rétropédalages sont observés notamment sur la mesure relative au regroupement dans les points de consommation. Résultat, le bilan des infections explose, la population est de plus en plus hystérique et l’économie s’affole.

Dans les bons points, notons tout de même que le gouvernement a littéralement été secouru dans sa communication par une mobilisation spontanée du secteur privé et de la société civile, qui, à leur niveau, ont entrepris de sensibiliser leurs clients et leurs usagers. Des messages sont diffusés par les opérateurs de la téléphonie mobile avant toutes les communications téléphoniques. Les chaines de télé et les stations radio prennent sur elles de concevoir des spots de sensibilisation et des campagnes sur les réseaux sociaux.

Non le Cameroun ne souffre pas du problème africain

En considérant l’Afrique, uniquement comme un écosystème homogène, on pourrait alors soutenir que nos limites sont inhérentes à l’ensemble des pays du continent. Cependant, dans cette même Afrique, des pays comme le Rwanda, le Sénégal ou encore le Nigeria font fière allure avec leurs structures sanitaires, qui selon des observations crédibles, peuvent mieux encaisser le choc du covid-19.

En supposant que l’ensemble des pays du continent africain présentent les mêmes griefs structurels sanitaires et économiques, la problématique de l’anticipation de la crise depuis sa naissance en Chine et de sa gestion par les autorités camerounaises par rapport aux autres Etats du continent demeure. Là est le débat.

Le débat concerne notre capacité à s’affirmer en tant qu’Etat stratège capable de lire les enjeux et d’anticiper les mouvances stratégiques, notre capacité d’assumer la fonction d’Etat protecteur capable de mettre sa population à l’abri de tout danger. Enfin, celle d’assurer le rôle d’Etat providence capable de secourir les victimes et d’assister les plus vulnérables. La Côte d’ivoire et le Gabon ont pris des mesures socio-économiques pour empêcher l’effondrement de leur société, le Nigeria a aussitôt mis en place un vaste système de contrôle et de tracking des cas infectés et le pays a acté la mise en quarantaine de Lagos, la principale ville du pays, pour éviter la large et rapide propagation du virus. Le Sénégal, pour sa part, s’est appuyé sur une vaste mobilisation de la société civile soutenue par les pouvoirs publics. Et au Maghreb, le Maroc a pour l’instant baissé ses prix à la pompe. Une réduction de 1,7 dirham par litre pour le gasoil et de 2,8 dirhams par litre pour l’essence, soit des baisses respectives de 20 % et 32 % sur un mois.

 Le Cameroun face à un confinement total

Avec un système sanitaire aussi fragile que le nôtre et qui pourrait en un temps record arriver à saturation, le confinement total serait la solution pour éviter une rapide propagation du virus, qui entraînerait un étouffement de nos établissements sanitaires donc, une baisse drastique de notre capacité à prendre en charge les citoyens infectés.

Cependant, posons un regard holistique sur cette mesure. Imposer un confinement total obligerait le gouvernement à mettre en place des mesures d’accompagnement socio-économiques pour tous les secteurs d’activité, principalement le secteur informel qui nourrit plus de la moitié de la population des grandes villes. Les villes sont les potentiels épicentres de crise. A très court terme, la question du ravitaillement des quartiers va se poser. La demande en eau potable, en denrées alimentaire et en l’électricité va se faire de plus en plus croissante. Des phénomènes de panique urbaine pourraient apparaître et fragiliser ainsi le pouvoir en place.

Alors Pour répondre à cette problématique, les pouvoirs publics devraient mettre à contribution la société civile et le secteur privé (Gicam, Ecam et Mecam). Ces derniers peuvent répondre concrètement à l’approvisionnement des quartiers en denrées alimentaires. Ils seront aussi utiles dans la mise en œuvre des mesures économiques à prendre pour permettre l’effectivité d’un confinement total.

 De la crise Sanitaire à la crise Politique : les risques

Dans une moindre mesure, cette crise va remettre en débat la capacité de l’Etat à protéger ses populations. Elle traîne avec elle un arrière-goût des précédentes crises économiques, politiques et sécuritaires durant lesquelles l’Etat n’a pas pu apporter des réponses convaincantes aux problématiques sociales et culturelles. Je pense à la plus actuelle ; la crise anglophone qui continue de faire autant de morts.

L’issue de cette crise (Covid-19) va influencer durablement le paysage social et politique. En effet, dans un scénario de morts en série dues au Covid-19 ou d’un effondrement de l’économie, qui affectera assurément les classes moyennes et les petits commerçants, et donc le bas peuple, le pouvoir en place sera obligé de faire des mouvements dans sa matrice dirigeante et de nombreuses concessions pour anticiper et/ou faire face à une très probable grogne sociale. D’autant plus que le régime de Yaoundé, déjà sous pression, est inéluctablement arrivé à la croisée des chemins : une transition inévitable.

 L’absence du président camerounais l’autre crise du Covid-19

L’heure n’est plus à faire le procès de la présence du président camerounais face à une crise. Il est clair que c’est une situation exceptionnelle qui demande que le plus haut niveau de l’Etat soit mobilisé. Mais gardons en mémoire que face à d’autres crises majeures le président de la République ne s’est souvent montré très loquace. Dès fois même, il a laissé la situation suffisamment dépérir avant d’assumer le leadership. On a envie de dire que c’est son mode opératoire.

Et dans ce storytelling politique devenu habituel, il existe toujours un second temps, qui est le come-back. Ce comeback est généralement accompagné d’actes politiques fortes et stratégiques dont l’objectif immédiat peut être de renforcer l’image du messie ou de gagner en temps. Pour répondre à la polémique sur la vacance du pouvoir du fait d’un très long silence, il a pris le soin de poser trois actions fortes qui vont détourner le débat sur leur faisabilité plutôt que sur sa santé. Par ailleurs, ne disposant de réponse concrète à la problématique des mesures d’accompagnement sociales et économiques, il commande une étude d’évaluation de l’impact du covid-19 … évidemment, une fois de plus le président Biya gagne en temps.

Cependant, ce mode opératoire du silence long, est révélateur de l’incapacité du peuple à changer l’ordre des choses ou à influencer les pouvoirs publics. En effet, dans une société où les contre-pouvoirs ont gardé leur indépendance et leur influence, les dirigeants consentent à un minimum de responsabilité face des situations exceptionnelles parce que la stabilité de leur pouvoir pourrait être mis en jeu. Ce qui n’est plus le cas au Cameroun depuis longtemps. Malheureusement.

Relevons tout de même, que sa longue absence en ce temps de crise générale, a laissé l’espace à de la surenchère politique et populiste, a accentué l’hystérie au sein de la population et remis sur la table les capacités physiques du président à rester capitaine du bateau Cameroun. Mais restons lucide, l’issue politique de cette crise, se déterminera avec des acteurs du système politique actuel sous un parrainage supranational.

 Communication de Crise Vs Communication Politique

Notre administration apprend à rendre compte et à dialoguer avec les publics. C’est évident. L’ère du tout-communication et de l’instantanéité contraint les gouvernants à la souplesse dans leur mode de communication.

Une chose me frappe cependant, dans la communication face au Covid-19. Observez la manière avec laquelle le ministre de la Santé publique a éclipsé l’expertise médicale. Il est en réalité beaucoup trop visible au détriment de ceux qui peuvent mieux que lui, rassurer : les personnels de santé. Dans son langage, M. Malachie Manaouda utilise beaucoup le « sous très haute instruction du président de la République », asseyant son autorité sur la légitimité présidentielle. Ce storytelling n’est pas à son avantage : il envoie le message qu’il n’est qu’un exécutant et qu’il ne dispose pas des pleins pouvoirs pour prendre les décisions fortes quand il le faut. Donc, (01) il est peu rassurant (02) il souligne l’absence du Président de la République.

Dans un système de communication autant politisé ou il faut faire attention de ne pas mettre en mal l’image du président, M. Manaouda devrait communiquer uniquement sur des faits liés aux mesures de politiques publiques dans le domaine de la santé. Puis, s’effacer derrière l’expertise médicale et épidémiologique. Le message envoyé serait différent et le discours autour de la santé publique serait plus solide et crédible et moins polémique.

Vu le niveau de défiance dont souffrent les autorités dans leur communication, on ne peut pas se contenter de mettre en scène le ministre de la Santé dans un exercice de listing des cas infectés et de décès. Les deux piliers d’une communication de crise sont : l’action et l’information. Il faut trouver le bon équilibre. Au sein de la cellule de riposte, il faut constituer un groupe de porte-parole, deux membres triés sur le volet, plus proche de la santé que de la politique. À l’un, la parole scientifique, les nouvelles moins heureuses et le décompte des malades énoncés avec clarté et dans un ton rassurant lors des points réguliers. À l’autre, le rôle politique d’information qui annonce les bonnes nouvelles : les personnes qui survivent au virus, l’acquisition d’un nouveau matériel sanitaire, une découverte importante qui va booster le niveau de la riposte, etc. Et qui se chargera d’occuper le terrain auprès du personnel soignant et des populations. 

Par ailleurs, le nombre d’observateurs, qui confirme que le niveau d’angoisse semble élevé aujourd’hui plus qu’au début de l’épidémie dans la population, révèle à quel point le gouvernement peine à rassurer et à inspirer le calme. L’échec de la communication autour de l’origine du virus et de la capacité que nous avons à répondre à la demande en chloroquine laisse des traces. Clairement, l’intervention ambiguë de la ministre de la Recherche scientifique vient davantage brouiller un message que le ministre de la Santé publique peine à faire passer. En somme, accorder 60 % de la communication entre un décompte macabre et une polémique sur le nombre de chauves-souris que compte la ville de Yaoundé est loin de faire l’affaire.

À chaque fois qu’un événement a un impact sanitaire, on devrait associer les blouses blanches à l’administration. On veut des blouses blanches ! Les médecins eux, connaissent de quoi il est question. Ils sont en première ligne contre ce virus et par conséquent, ils inspirent plus de respect et de confiance.  

L’espace est saturé par les ministres et le personnel de la Fonction publique en poste, soit au ministère de la Santé publique soit dans les services connexes.

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