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RSE en Afrique: Les multinationales et le développement durable du continent

Par Thierry Téné, Directeur de A2D Conseil et Co-fondateur de l'institut Afrique RSE Un proverbe africain stipule que « si…

Par Thierry Téné, Directeur de A2D Conseil et Co-fondateur de l’institut Afrique RSE

Un proverbe africain stipule que « si la musique change, changeons aussi la danse ». Depuis plus de dix ans, les africains dansent désormais au rythme d’une croissance annuelle du PIB de plus de 5 % (exception de 2009 où le PIB était de 2,9 % en Afrique alors que le monde était en récession). Mais ils ne ressentent pas assez le son des risques et opportunités de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), notamment des multinationales, dont la petite musique pourrait rajouter des fausses notes à la chanson de l’émergence. En 2011, on estime que les filiales étrangères de Sociétés Transnationales (STN) ont employé 69 millions de personnes qui ont créé 28 000 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 7 000 milliards de dollars de valeur ajoutée, en hausse de près de 9 % par rapport à 2010. Il s’agit là de moyens financiers colossaux que les africains peuvent lever pour le financement de leur développement. Mais la musique à changer car la RSE est désormais un instrument musical important de l’investissement international. Nous devons donc changer de danse et esquisser les pas de la RSE. L’Administrateur Directeur Général de la filiale camerounaise d’une grande banque française, qui nous reçoit cette mi mars dans son bureau à Douala, est catégorique. C’est à cause des risques environnementaux et sociaux en lien notamment avec les Principes de l’Equateur, que son institution n’a pas financé deux projets importants d’investisseurs au Cameroun. Il s’agit de la production de l’huile de palme et de l’achat d’un tanker pétrolier monocoque. A l’échelle africaine, combien de projets ne trouvent plus de financement à cause des risques RSE ? Parallèlement les pratiques de certaines multinationales en Afrique sont très éloignées de la RSE. Il y a urgence d’agir dans ce cas.

Parmi les outils de référence de la RSE pour les sociétés transnationales (STN), les africains peuvent s’appuyer sur les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales qui sont des recommandations pour une conduite responsable des entreprises dans le contexte international. Ils pourraient servir de fondation pour l’implication des STN dans le développement durable de l’Afrique. Le continent pourrait d’ailleurs compter sur le soutien l’OCDE et ses Points de Contacts Nationaux (PCN). En effet, le rapport annuel sur les principes directeurs de l’OCED à l’intention des entreprises multinationales 2012 précise qu’ «en ce qui concerne les activités d’ouverture, les PCN sont convenus de continuer à saisir toutes les occasions possibles de promouvoir les Principes directeurs dans les économies émergentes et les autres pays en développement.» Malgré qu’ils ne soient pas membres de l’OCDE, l’Egypte, le Maroc et la Tunisie ont créé au sein de leur Ministère de l’Economie respectif un Point de Contact National (PCN) pour recevoir les plaintes des parties prenantes sur le non respect des Principes directeurs. Ils pourraient servir de locomotives. Fruit de la première édition du forum international des pionniers de la RSE en Afrique organisé en novembre 2011 par le Groupement Inter-patronal du Cameroun, Le GICAM et l’Institut Afrique RSE, le Manifeste de Douala sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises en Afrique insiste particulièrement sur l’obligation de reporting extra-financier et le soutien des multinationales pour l’implémentation de la RSE dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Ce Manifeste peut également servir de base de travail pour les parties prenantes africaines intéressées par la Responsabilité Sociétales des multinationales. Comme M. Jourdain qui faisait la prose sans le savoir, les responsables des multinationales rappellent constamment qu’ils ont toujours fait la RSE en Afrique. Mais il est surprenant de constater que leurs filiales africaines ne sont pas spontanément citées comme des références de leurs pratiques responsables et exemplaires. Et paradoxalement les entreprises et les organisations patronales sont souvent vent debout contre l’Initiative pour la transparence des Industries Extractives, la loi Dodd-Franck aux Etats-Unis, les projets de Directives Européennes ou toutes législations nationales sur la transparence et le reporting extra-financier des multinationales. Où est la cohérence ? Il ne suffit plus de s’auto-proclamer responsable, il faut le prouver et c’est aux parties prenantes d’en juger. Comment les entreprises peuvent évoquer une RSE en Afrique alors qu’elles sont rares à respecter les lois sociales, environnementales et fiscales? L’enjeu de la Responsabilité Sociétale des Multinationales en Afrique est la priorité accordée aux questions centrales par rapport à la philanthropie. Peut-on évoquer une éventuelle RSE alors qu’on met en place des stratégies pour éviter de payer les impôts en Afrique ? Le rapport de l’OCDE lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices met en exergue l’ampleur de l’évasion fiscale au niveau mondial. Les cadres et managers des multinationales sont des adeptes de Michael Porter, le gourou du management des entreprises et de la valeur partagée. Par contre les STN présentes en Afrique partagent en général les miettes de leurs revenus grâce aux dons et autres projets sociaux dont les coûts représentent Epsilon par rapport à leurs bénéfices qu’elles sortent d’Afrique sous forme d’évasion fiscale sans compter les externalités négatives (sociales et environnementales) de leurs activités. On est très loin des théories de Michael Porter et la contribution au développement humain en Afrique.

D’après le du Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD «Le développement humain est également essentiel afin de participer aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Contrairement aux idées reçues, le paiement de bas salaires et une grande force de travail peu qualifiée ne suffisent pas. Même l’assemblage des composants fabriqués dans un autre pays s’avère être une tâche complexe nécessitant des compétences individuelles et sociales afin d’assurer une coordination et une organisation à grande échelle. Les individus peuvent se doter de telles compétences à travers l’éducation, la formation et une politique de soutien ». Il précise également que «l’offre d’emplois décents et bien rémunérés contribue à l’indépendance économique, notamment chez les femmes. Pourtant, l’environnement mondial concurrentiel d’aujourd’hui oblige les travailleurs à produire plus en moins de temps et pour un salaire plus faible. Tant au niveau du développement humain qu’au niveau commercial, la compétitivité est améliorée en augmentant la productivité du travail. Une compétitivité basée sur de bas revenus et une hausse du temps de travail n’est pas viable.» Selon le PNUD « la flexibilité du marché du travail ne devrait pas conduire à l’adoption de pratiques qui remettraient en cause la décence des conditions de travail. Au moins 150 pays ont signé d’importantes conventions de l’Organisation internationale du travail portant sur des sujets tels que la liberté d’association et la discrimination sur le lieu de travail. Les lois relatives au travail portant sur le salaire minimum, la protection de l’emploi, les heures de travail, la sécurité sociale et les types de contrat visent toutes à réduire les inégalités, l’insécurité et le conflit social ; elles encouragent également des entreprises à poursuivre d’ambitieuses stratégies de gestion. L’opinion selon laquelle une plus grande régulation n’est jamais positive pour l’entreprise a fait son temps. » A destination des multinationales, il suggère que « les distributeurs internationaux et les agents d’approvisionnement sont tenus de veiller à ce que les conditions de travail des sociétés dans lesquelles ils s’approvisionnent en intrants respectent les normes internationales. » Acteurs incontournables de l’investissement international en Afrique, les multinationales sont les premières interpellées sur la RSE.

Thierry Téné, Directeur de A2D Conseil et Co-fondateur de l’institut Afrique RSE
journalducameroun.com)/n

Le Rapport sur l’Investissement dans le monde 2011: Modes de production internationale sans participation au capital et développement de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) indique qu’ « au cours des dernières années, les normes de RSE sont devenues une caractéristique unique du «droit souple» ou droit «non contraignant». Ces normes de RSE concernent le plus souvent les activités des STN et, en tant que telles, exercent de plus en plus d’influence sur l’investissement international à mesure que les efforts de rééquilibrage des droits et des obligations de l’État et de l’investisseur s’intensifient. » La CNUCED constate également que les politiques d’investissement sont de plus en plus influencées par une myriade de normes volontaires de RSE. En effet, à travers leurs investissements étrangers et leurs chaînes mondiales de valeur, les STN elles aussi peuvent influer sur les pratiques sociales et environnementales des entreprises partout dans le monde et particulièrement en Afrique. Mais l’organisation onusienne note que, les normes de RSE posent un certain nombre de problèmes systémiques. Un problème fondamental concernant la plupart de ces normes tient à leur application effective par les entreprises. On observe en outre des lacunes, des chevauchements et des incohérences entre les normes pour ce qui est de la portée, des aspects visés, des problématiques industrielles et de la participation des entreprises.

Les normes volontaires de RSE peuvent venir compléter les efforts publics en matière de réglementation, mais elles peuvent aussi les affaiblir, s’y substituer ou en détourner l’attention. Enfin, la publication d’informations par les entreprises sur leur application des normes de RSE continue de souffrir d’un manque de standardisation et de comparabilité. D’après la CNUCED, Ceci est particulièrement vrai pour les modes de production Sans Participation au Capital (SPC) qui peuvent servir de mécanisme de transfert de meilleures pratiques sociales et environnementales mais aussi être utilisés par les STN pour les contourner. Si la production SPC représente un important gisement de création d’emplois en Afrique (sous-traitance manufacturière, l’externalisation de services et la franchise), les conditions de travail peuvent être une source de préoccupation (recours abusif aux intérimaires, non respect du code de travail et emplois à bas coût non décents) dans les pays à faible gouvernance. Les modes de production SPC sont également des sources de valeur ajoutée directe dans le PIB de l’Afrique, mais il existe un risque qu’elle soit limitée à cause de la faible part dans la chaîne de valeur globale ou du produit final. Pour limiter ces risques, nous pouvons jouer la mélodie initiée à Rio de Janeiro. Intitulée L’Avenir que nous voulons, la déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable Rio + 20, adoptée au Brésil en juin 2012, fait également mention à la RSE. Il s’agit des paragraphes 46 et 47. Le premier propose de s’appuyer sur les partenariats public-privé comme outil précieux de développement durable grâce à la mise en place de cadres nationaux, notamment dans le domaine réglementaire, qui permettent aux entreprises commerciales et industriels d’adopter des initiatives en matière de développement durable en tenant compte de leur responsabilité sociétale. Tandis que le second insiste sur l’importance de la communication, par les entreprises d’informations sur l’impact environnemental de leurs activités et encourage, en particulier les entreprises cotées et les grandes entreprises, à étudier les possibilités d’insérer dans leurs rapports périodiques des informations sur la soutenabilité de leurs activités. Cependant, pour que les chaînes d’approvisionnement africaines ne restent pas sourdes à la musique de la RSE, il est indispensable de les soutenir et les accompagner dans cette démarche.

Dans son rapport sur l’Investissement dans le monde 2012 : Vers une nouvelle génération de politiques d’investissement, la CNUCED consacre tout un paragraphe sur l’aide aux fournisseurs pour le respect des normes RSE. Vu son intérêt, nous le reprenons tel quel: Depuis le début des années 2000, on observe une prolifération des codes RSE â^’ internes aux STN et sectoriels â^’ dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Il est aujourd’hui courant, dans de nombreux secteurs, que les STN imposent à leurs fournisseurs des codes de conduite énonçant les normes sociales et environnementales applicables tout au long de leur chaîne d’approvisionnement au niveau mondial. À cela il faut ajouter que les codes et les normes de RSE ainsi que leur application deviennent de plus en plus complexes. Le respect des codes RSE dans les chaînes mondiales d’approvisionnement augure de progrès dans le domaine de la promotion du développement durable et équitable dans les pays d’accueil, du transfert des connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux critiques et de l’ouverture de nouveaux débouchés pour les fournisseurs locaux qui s’y conforment. Cela étant, le respect de ces codes pose aussi des problèmes considérables à beaucoup de fournisseurs, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) des pays en développement, par exemple, application de normes internationales plus strictes que les règlements et les pratiques en vigueur dans le pays d’accueil; prescriptions divergentes, voire contradictoires, imposées par différentes STN; capacités insuffisantes des fournisseurs qui ont des difficultés à respecter les normes internationales dans leur activité quotidienne et les obligations en matière d’information et à satisfaire aux nombreuses inspections d’usines; préoccupations liées aux consommateurs et à la société civile; risque de perte de compétitivité pour les PME qui assument le coût de l’application des normes de RSE par rapport aux PME qui ne le font pas.

Relever ces défis exigera un renforcement des compétences entrepreneuriales et des compétences de gestion. Les gouvernements ainsi que les STN peuvent aider les fournisseurs nationaux, en particulier les PME, dans ce domaine en mettant en place des programmes adaptés et en renforçant les institutions nationales qui encouragent le respect de la législation du travail et de la législation environnementale. Les responsables politiques peuvent aussi venir en aide aux fournisseurs nationaux en travaillant en concertation avec les STN pour harmoniser les normes sectorielles et simplifier les procédures de mise en conformité. Donc pour que l’Afrique assure son développement durable en dansant, l’implication des Gouvernements, comme Chef d’Orchestre de la musique RSE est indispensable. Pour la CNUCED, l’ampleur de l’influence des STN en matière de pratiques sociales et environnementales dépendra, premièrement, de leur perception des risques juridiques et commerciaux, et de leur exposition à ces risques (par exemple, réparations en cas de dommages causés à l’environnement, atteinte à leur image de marque, baisse des ventes) et, deuxièmement, du contrôle qu’elles peuvent exercer sur leurs partenaires locaux. Elles ont à cet égard recours à un certain nombre de mécanismes, tels que codes de bonne conduite, inspections et contrôles en usine, mécanismes de certification indépendants. En attendant l’implication des Etats, au lieu d’être les mélomanes critiques de la musique RSE, les organisations patronales africaines peuvent prendre le leadership de la symphonie musicale de l’économie responsable pour transformer les contraintes en opportunités. L’entrée en scène des patronats est d’autant plus urgente qu’on observe un développement rapide des entreprises africaines à l’échelle du continent. Ces multinationales africaines ou entreprises multi-pays, dont il n’existe actuellement aucun cadre réglementaire panafricain (volontaire ou non) en matière de RSE, ne resteront pas longtemps avec ce vide juridique. Lors de la deuxième édition du forum international des pionniers de la RSE en Afrique le Pr Blaise Tchikaya, ancien Président et membre de la Commission de l’Union Africaine (UA) pour le droit international a indiqué que l’UA travaille sur une réglementation sur la RSE.

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