Plus que jamais, les milieux de travail au Cameroun dégagent une odeur de soufre. Prélude à une situation explosive.
Un hors†série de l’hebdomadaire Jeune Afrique a publié récemment le classement 2014 des 500 meilleures entreprises africaines. Au Cameroun, les secteurs des hydrocarbures, des télécommunications et l’agro†industrie occupent des places honorables au sein de ladite sélection. Pour une partie de l’opinion publique, l’audace de montrer les niveaux de performances des entreprises (publiques ou privées) du pays est louable. «Seulement, on se contente de secouer la tête face à des subtilités comptables qui inspirent un tel classement», laisse comprendre le Dr Alain Minkoussé. D’après ce spécialiste de la gestion des ressources humaines (GRH), «la laborieuse réconciliation des Camerounais avec l’entreprise depuis le début des années 2000 débouche aujourd’hui sur un nouveau mur de guerre entre patrons, salariés et les organisations syndicales». C’est que sur le terrain, le malaise existe. Dans le privé, le parapublic ou le public, les noces fastueuses se sont achevées en un mariage sommaire.
1er mai butoir
A quelques jours de la célébration de la 128e édition de la fête du travail, le flot grandissant
des revendications syndicales semble renforcer le front de la contestation au sein de certaines structures au Cameroun. Dans le secteur public, un projet de restructuration des fichiers et de la reconsidération de l’âge des départs à la retraite a généré le courroux de la Centrale syndicale du secteur public (CSP). La concomitance de ces deux plans, ajoutée à la crainte de ceux qui se profilent à l’horizon dans les semaines à venir, cristallise le ras†le†bol des agents de l’Etat face au cynisme de leur employeur. En guise de riposte, le syndicat rejette brutalement ce diktat ayant encouragé toutes les dérives: corruption, clientélisme. De fait, il semble qu’un point de rupture a été atteint. «C’est paradoxalement le retour de la croissance et une certaine forme de prospérité qui ont été à l’origine du basculement des rapports de force», explique Alain Minkoussé. Avec l’émergence de «nouveaux contre†pouvoir», l’Etat et les pouvoirs publics ne sont plus pertinents pour contrôler la colère des salariés. A tort, «le gouvernement a pensé qu’il pouvait tout faire, au profit des bailleurs de fonds, oubliant les fonctionnaires, et au†delà, l’opinion publique», analyse le Dr Minkoussé.
Ce qui alimente une nouvelle lame de fond: le divorce entre l’Etat et les fonctionnaires. Cette rupture est d’autant plus profonde que ces derniers n’oublieront pas de sitôt que, depuis une vingtaine d’années, ils ont systématiquement été sacrifiés sur l’autel des ajustements structurels. Trahison suprême: la rupture du pacte moral qui, depuis toujours liait l’Etat et ses agents. Devenus de simples variables d’ajustements financiers, les vieux fonctionnaires camerounais entraînent avec eux les nouvelles générations qui débarquent à la fonction publique. En bonus, un discours aux accents incantatoires. Selon Jean Marc Bikoko, le président de la CSP, «l’Etat pourrit lui†même son environnement. Nous cherchons seulement notre pain quotidien au lieu de surveiller la solidité du bilan de l’Etat». Pour le syndicaliste du secteur public, «l’Etat est devenu l’abcès de fixation du mécontentement. Cela est certain. Mais plus généralement, le climat social est mauvais».
Conséquence, des mouvements de grève (comme ceux observés dans certains hôpitaux publics il y a quelques jours) et autres sommations avant le 1er mai 2014. Dernières en date: «lʹapplication inconditionnelle des dispositions du statut général de la Fonction Publique de 1994 en vue de lʹeffectivité de la notion de postes de travail qui seule peut mettre fin à la situation de non maîtrise et aussi des effectifs avec son corollaire de fonctionnaires fictifs», lit†on dans la déclaration de la CSP, élaborée au terme d’une conférence de presse organisée par son président. De même, la masse salariale qui a tout le temps été brandie comme obstacle à la revalorisation des salaires promise par les pouvoirs publics, est vivement attendue par le personnel de la Fonction Publique. Pour cela, à la CSP, on exige «le rétablissement sans condition des salaires de la Fonction Publique à leur niveau de 1992 et leur revalorisation de 30% pour permettre aux bénéficiaires de s’arrimer au coût actuel de vie au Cameroun».
Secteur privé
Il y a des années, au Cameroun, les salariés du privé étaient des héros. Jamais regardants sur le temps passé au bureau ni sur les sacrifices consentis. Fiers d’avoir un bon poste, espérant de belles primes. Bref, qu’ils allaient remettre sur le tapis tout ce qui grinçait dans les secteurs public et parapublic. On espérait beaucoup, probablement trop du secteur privé camerounais. On croyait que la libéralisation allait résoudre certains problèmes et reformater les organisations de travail. Bien téméraire aujourd’hui celui qui se risquerait à sonder leur moral. «Les travailleurs sont déçus». A cause des conditions salariales. «Pas de grille transparente ici chez nous. On nous paie sous la pression des délégués du personnel », allègue†t†on dans une formation sanitaire privée de Yaoundé. Comme dans le public, le discours des travailleurs est plus terre à terre: «je te donne du temps et de la sueur, et tu me donnes de l’argent. Et si tu ne m’en donnes pas assez, je change d’entreprise». Ailleurs, «les délégués sont les pions des patrons pour nous exploiter mais on ne se laissera pas faire avant la fête». C’est du moins ce qu’on soutient parmi les agents des multinationales de téléphonie mobile et dejeux de hasard. «Preuve, souligne Alain Minkoussé, que même chez les privés, l’image institutionnelle de certaines entreprises s’est dégradée et la situation est bien bouillante».