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Secteur minier/FMI – BM: Hypocrisie, duplicité et cupidité au Cameroun

Par Dieudonné Essomba, cadre au minepat, ingénieur statistiques hors échelle, économiste

Le deuxième forum minier, organisé conjointement par le gouvernement et la Banque Mondiale, s’est tenu à l’Hôtel Hilton du 29 au 31 Mai 2012. Le Forum était axé sur la démarche optimale à suivre pour concrétiser la stratégie de développement du secteur minier au Cameroun. Notre pays dispose d’importantes réserves de mines solides, mais si on exclut le cas particulier du pétrole, la contribution du secteur minier reste marginale avec moins de 1% du PIB. L’activité se réduit à l’exploitation artisanale de quelques pierres et métaux précieux faite de manière informelle. Le Forum a parcouru un grand nombre de problématiques liées à l’exploitation minière, et notamment la gouvernance, le cadastre, la fiscalité, les normes, l’environnement, la cogestion des mines entre pays voisins et les conflits relatifs à l’exploitation minière. Un accent particulier a été mis sur la transparence dans la répartition des ressources entre l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées et les communautés riveraines. Si on peut se féliciter de la grande variété des thèmes développés et du grand nombre d’informations auxquelles on a eu accès et qu’on peut naturellement retrouver sur les sites dédiés à la Banque Mondiale, le forum a cependant dégagé quelques points polémiques.

Le premier a porté sur le lancinant désir des organisateurs à évacuer toute observation non conforme avec leurs idées. Après le premier jour où les participants ont pu poser quelques questions de fonds, le forum a dérivé vers l’exposé de cours magistraux où des modérateurs sommaient de manière comminatoire les participants de limiter leurs interventions à poser quelques questions « claires et précises », dans un rapport d’étudiants/professeur. Une démarche qui a fait sortir des gongs le professeur Ombiono, indigné que le forum soutienne mordicus que les multinationales ne sont pour rien dans les guerres alors que selon lui, leur rôle est considérable. Le second point est l’exagération de l’importance de la gouvernance dans l’attractivité des capitaux, une mythologie qui ne résiste ni au bon sens, ni aux faits. De toute évidence, les capitaux internationaux cherchent où s’investir avec bénéfices et la gouvernance ne fait nullement partie de leurs préoccupations. Exception faite des expropriations qui ne relèvent pas, à proprement parler, de la gouvernance, mais des postures stratégiques dans le concert des Nations, il est même douteux qu’elle leur apparaisse comme une priorité : ceteri paribus, on les voit davantage attirés par des gouvernements autoritaires que les régimes politiques transparents. Les multinationales occupent de préférence des niches qu’elles comptent exploiter sans être gênées par l’action des syndicats, la législation sociale ou les contrôles parlementaires. De tels régimes leur offrent des garanties policières pour faire victorieusement face aux demandes des populations pour de meilleurs salaires et une distribution plus équitable des revenus. En outre, elles n’aiment pas la concurrence et ne s’implantent dans un marché étroit que sur l’assurance d’y jouir d’un monopole de fait : pour maintes situations, les pays africains attireraient davantage les IDE en leur promettant de telles garanties qu’en ouvrant largement leurs frontières. Il est vraiment amusant de voir la bureaucratie de Brettons Woods parler de gouvernance et d’environnement pour séduire les investissements quand on connaît la répulsion de ces structures pour les syndicats, les contrôles parlementaires ou les mouvements écologistes ! Par ailleurs, le refus de traiter du comportement réel des multinationales transforme notre stratégie minière en un document romantique. De fait, les multinationales, bras armé des pays industriels et émergents, engagés dans un duel à mort, regardent d’un sourire amusé ce spectacle de clowns. Que peut bien leur faire un forum ? A la moindre opportunité d’investissement rentable au Cameroun, elles viendraient y mettre la main et imposer leur implacable logique par la corruption, le chantage, les menaces, le financement des coups d’Etat, des assassinats ou des guerres civiles.

Le troisième qui est les plus grave est un dévoiement manifeste des objectifs de croissance du Cameroun et une réorientation de notre économie portée davantage sur l’économie de traite. Ceci transparaît dans cette fixation de la participation des citoyens qui traduit le fait que les ressources doivent être partagées équitablement. Or, cette démarche est économiquement erronée : l’exploitation moderne des mines constitue des enclaves technologies lourdes n’ayant aucun rapport avec l’économie locale, autre que celle de distribuer les revenus directs. En fait, les mines ne constituent que le premier segment des filières de production dont l’essentiel se situe à l’extérieur : ainsi, le minerai extrait au Cameroun ne représente même pas 10% de la valeur totale des biens finaux qui en découlent. Les minerais ont donc pour vocation première d’aller alimenter la valeur ajoutée d’autres systèmes productifs, ne laissant au Cameroun que des miettes. C’est précisément pour cela que l’exploitation minière apparaît davantage comme l’expression des stratégies extérieures que nous ne pouvons que subir. Dans ces conditions, une politique minière ne peut constituer en soi une stratégie de développement. Elle s’inscrit plutôt dans l’ancienne politique de valorisation des exportations visant à renforcer les équilibres extérieurs telle que la balance de paiements. Son plus grand intérêt est de fournir des devises c’est-à-dire un pouvoir d’achat extérieur qui permet au pays de s’approvisionner à l’extérieur. Tout dépendra alors des choix stratégiques que le gouvernement aura à opérer :

– on peut utiliser ces devises pour la consommation, c’est-à-dire l’achat de biens domestiques (voitures, maisons, etc.) qui permettent d’améliorer le niveau de vie des populations de manière spectaculaire, avec l’assurance que le pays tombera dans une misère plus grande sitôt que les ressources se tarissent. C’est généralement cette démarche de distribution des ressources minières qui suscite des frustrations diverses, ingrédient principal des guerres civiles liées à l’exploitation minière.
– on peut aussi recycler ces devises pour financer les infrastructures. Cette démarche très répandue est meilleure que la première, mais elle peut se révéler très dangereuse lorsque les ressources se tarissent. En effet, l’entretien des routes, des chemins de fer ou des aéroports coûtent cher en devises. L’entretien d’un réseau d’infrastructures peut devenir trop coûteux lorsque les ressources viennent à tarir, entraînant leur abandon et leur délitement. C’est d’ailleurs la situation au Cameroun, où l’agriculture d’exportation et le pétrole ont permis naguère de mener un grand nombre de réalisation (routes, réseaux électrique, réseaux d’eau, etc.) qu’on a toutes les peines du monde à maintenir à l’état.
– on peut enfin utiliser ces ressources pour développer un processus d’import-substitution, autrement dit, pour construire une industrie locale qui réduit les besoins d’importation. C’est la seule politique viable et c’est elle précisément qui est condamné par le FMI et la Banque Mondiale à travers la logique de partage, de non intervention de l’Etat et d’ouverture des frontières.

Le Forum Minier et, une semaine plus tôt, la campagne du FMI pour obliger le Cameroun d’arrêter les subventions au carburant montrent une fois de plus l’extrême emprise de ces deux institutions dans la gouvernance du Cameroun. Alors que la France est décriée par tous les révolutionnaires, très peu de Camerounais dénoncent cette anomalie et c’est à peine si on peut entendre un Babissakana. Que ce soit dans les interdictions faites au Cameroun, les orientations de notre politique nationale, rien ne se fait au Cameroun sans que le FMI et la Banque Mondiale donnent leur accord. Ce n’est plus une aide c’est une véritable garde à vue. L’intervention de ces deux institutions a déjà eu une terrible conséquence politique de nature à ébranler le Cameroun sur ses assises : de fait, l’indicible cauchemar qui frappe actuellement le Cameroun, avec un Premier Ministre, des Secrétaires généraux de la Présidence et des ministres en prison vient de cette immixtion absolument abominable dans notre gouvernance, avec le désir du Chef de l’Etat de mener subrepticement l’achat d’un avion présidentiel au motif qu’il fallait cacher l’achat au FMI et à la Banque Mondiale ! On ne voit pas raisonnablement sur quelle théorie, quelle expérience ou quel bon sens on se fonde pour croire que le FMI et la Banque Mondiale pourraient développer le Cameroun. Le sous-développement est une problématique très complexe qui depuis 90 ans, a échappé à tous les grands théoriciens y compris les Prix Nobel qui s’y sont cassés les dents. L’idée qu’une clique de fonctionnaires internationaux tirant leur savoir on ne sait d’où, puisse venir réaliser ce qui échappe encore à la science économique est proprement effrayant.

Pourtant, ces institutions ont des missions précises. Par exemple, le FMI a pour mission de fournir des crédits aux pays qui connaissent des difficultés financières mettant en péril l’organisation gouvernementale du pays, la stabilité de son système financier ou les flux d’échanges de commerce international avec. Même s’il conditionne l’obtention de ses prêts à la mise en place de réformes économiques, sa vocation est par essence un dépannage momentané et non une installation définitive Et chaque fois qu’il a outrepassé ces missions essentielles de dépannage momentané, son action s’est toujours soldée par un échec. Dans son livre Quand le capitalisme perd la tête, Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Economie soutient que le FMI a été responsable de la longue crise d’Argentine. De même, dans son livre The Globalisation of Poverty, Michel Chossudovsky impute au FMI l’éclatement de la fédération yougoslave. Même la guerre ivoirienne trouve ses sources dans l’action du FMI.

Mais alors que cette institution se prend pour l’alpha et l’omega de la science économique, un rapport du Bureau Indépendant d’évaluation du FMI (BIE) concernant la période (2004-2007) a dénoncé l’impotence intellectuelle du FMI qu’il expliquait par une pensée dogmatique, l’enfermement doctrinaire, une confiance aveugle dans la capacité des marchés à réguler l’économie, un découplage entre l’analyse macroéconomique et l’analyse financière, ainsi que de graves lacunes de sa gouvernance interne. Mais par-delà ces limites, la sédentarisation du FMI au Cameroun a permis de transformer ses antennes locales (représentants permanents, chargés de mission, etc.) en une bureaucratie relais disposant des intérêts propres, soucieuses de leurs carrières, disposant d’un vif esprit corporatiste et surtout, désireuses de survivre à tout prix. La bonne réalisation des objectifs qui leur sont assignés pouvant se conclure par l’interruption des activités et la fin de leur gagne-pain, il n’y a pas lieu d’en attendre un zèle adéquat pour qu’ils mènent rapidement les missions à leur terme. Et on verra bien que par diverses man uvres, ces « experts » tenteront d’allonger indéfiniment leur mandat : à cet effet, ils susciteront des réseaux de relations au sein des administrations et des « sociétés civiles », générant une classe particulière de citoyens qualifiés de « points focaux » qu’ils entretiennent habilement par des subsides de toutes natures : multiples invitations à des séminaires suivis d’un per diem, gestion des manifestations engageant beaucoup d’argent, intégration à des groupes d’études, nomination à la tête des programmes qu’ils financent, financement des campagnes médiatiques de dramatisation de la misère et des publications hagiographiques de leur action.. C’est précisément cette bureaucratie qui n’accepte pas la moindre critique dans les forums. Des administrations pérennes se bâtissent autour de la thématique, des fortunes immenses se créent et la confusion s’installe. On finit par ne plus savoir où on en est, mais on peut être sûr d’une chose : l’objectif de cette nouvelle bureaucratie n’est pas de réaliser sa mission à la perfection, mais d’obtenir des demi-succès qui légitiment son existence tout en justifiant la poursuite de son l’action. D’ailleurs, les réseaux qu’elle crée et greffe dans la haute administration ne manqueront pas de faire pression sur leur mandataire, soit pour poursuivre l’action en l’état, soit pour la réformer dans les aspects purement formels.

Casser le cordon ombilical qui lie le FMI/BM au CamerounLa sédentarisation du FMI et de la Banque Mondiale est liée à une mauvaise architecture de notre économie. En effet, celle-ci se caractérise par une demande explosive des biens importés qu’alimentent la croissance démographique, l’amélioration du niveau intellectuel et l’urbanisation, tous facteurs qui tordent le profil de consommation au profit des biens manufacturés. Mais les exportations requises en échange de ces importations n’évaluent qu’avec parcimonie, avec notamment le cacao relativement instable, le café abandonné, le coton presque oublié ou le pétrole finissant. Et même si on arrivait à exploiter nos minerais, le seul résultat serait une amélioration temporaire de la marge de man uvre et du niveau de vie, mais sans résoudre le problème de fond. En fait, celui-ci ne serait que déplacer dans le futur. Dans cette condition, il n’existe pas d’autres solutions que de produire le maximum possible de biens manufacturés sur notre territoire, de manière à limiter cette pression à la demande extérieure qui est précisément la cause de notre déficit structurel des balances extérieures et de l’étouffement du taux de croissance. Autrement dit, qui justifie la présence permanente de la Banque Mondiale et du FMI. Mais cette import-substitution qui se révèle une exigence vitale ne peut pas se faire sans un mécanisme de protection contre la brocante européenne et la pacotille chinoise qui détruisent toute possibilité de survie d’une entreprise. C’est précisément pour cette raison que la Monnaie Binaire constitue la seule alternative viable.

Le monde est impitoyable pour les peuples naïfs et complaisants : c’est la terrible leçon de l’Histoire. La confiance aveugle que les Camerounais accordent aux rêves mirifiques brandis ou encouragés par le FMI et la Banque Mondiale peut nous donner un sentiment de fausse sécurité, mais ces mensonges vont nous ronger jusqu’à l’os. On ne développe pas un pays avec des rêves, du bavardage ou des appels magicoreligieux. La haine que nous éprouvons pour la vérité nous rattrapera un jour dans toute sa nudité et toute son horreur.


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