Portrait d’une journaliste engagée qui ne sait dire que ce qu’elle pense, n’en déplaise.
Ce qu’elle pense elle le dit. Et ce qu’elle dit, elle les appelle «des vérités». Longtemps cataloguée, Suzanne Kala Lobe est pour certains, chacun avec ses raisons, la pire des femmes journalistes que le Cameroun ait connu, pour d’autres par contre c’est la meilleure sur la place, rien à redire. Quoi qu’il en soit, «je ne fais que mon travail» affirme Suzanne. Très ouverte à la discussion et à l’échange, elle ne cache rien d’elle-même, et sait bien faire la part des choses. D’ailleurs, confie t-elle, «le journalisme c’est un métier et il faut bien le faire. Quand on est devant un public, on doit être sûr d’en avoir les compétences». Pourtant le journalisme, Suzanne n’avait jamais pensé le faire, pour la simple raison que son père le faisait déjà. Un père qui lui, était le petit fils de David Mangue Sibe, un ancien propriétaire foncier pris dans la cours du roi Bell. Sa rencontre avec une fille issue de la famille Manga Bell a fait de Suzanne une femme «complètement Sawa» pour parler comme elle, et on peut même dire «de la famille royale».
Du canton Bell pour Paris
Suzanne Bema Kala Lobe, c’est le nom que lui donnent ses parents à sa naissance le 16 janvier 1953 à Douala. C’est ici que la jeune fille passe son enfance, mais surtout ses études primaires à l’école Petit joss d’Akwa. Très bagarreuse, «je me souviens que je bagarrais avec tous mes frères», mais aussi et surtout réservée et très éveillée, elle a tout ce qu’il faut pour passer une enfance heureuse. A 10 ans, elle quitte le Cameroun, direction la France. Ses études secondaires et supérieures, elle les suit exclusivement à Paris et aligne tour à tour un Doctorat en linguistique en 1978, un MBA en management culturel en 1989 et un DEA en science politique en 1997 ; Tout le bagage nécessaire pour travailler dans l’élaboration des outils didactiques, bref «faire de la recherche» comme elle en a toujours rêvé. Entre temps elle est déjà une militante engagée au sein de plusieurs mouvements, notamment l’Union Nationale des Etudiants du Kamerun (UNEK) où elle est en charge du département de l’information, mais aussi au sein de l’Union des Populations de Cameroun (UPC). La facilité avec laquelle la jeune femme s’exprime et écrit donne à ses pairs upécistes, de lui confier quelques rubriques dans le journal du parti. La carrière de Suzanne se dessine, mais elle ne la voit pas venir. Jusqu’en 1991, date à laquelle elle est obligée de retourner au Cameroun, suite au décès de son père. Les obsèques passées, elle décide de rester au pays. C’est le début de sa carrière journalistique.
Un concours de circonstance
C’est ainsi qu’elle définit son arrivée dans l’univers journalistique. Et très vite, sa plume se fait remarquer, Suzanne signe ses premières chroniques au Cameroun, retentissantes et interpellatrices à souhait, dans le quotidien La Nouvelle Expression. Comme si la presse écrite ne lui suffisait pas, elle se lance en 2003 dans la radio, après l’ouverture de la radio Equinoxe, dans laquelle elle officie jusqu’à ce jour. En plus de ses chroniques quotidiennes, elle y présente deux émissions, taillées à la mesure de ses convictions. La première, «un débat qui me permet de réchauffer le milieu politique», Polemos, passe tous les dimanches matin. Et là encore Suzanne suscite les curiosités. La deuxième émission aussi porte bien son nom: Livres noirs & musiques d’Afrique lui permet tous les mardis soir pendant 90 minutes de faire connaître la littérature et la musique africaine. A noter qu’elle est également éditorialiste pour la même chaîne. Quatre ans plus tard, elle créée sa société de production audio-visuelle EBK Productions, qui met sur pied Actu, un magazine généraliste diffusé sur la chaîne de télévision Canal 2 International. Précision, «avec la chaîne j’ai un contrat de producteur indépendant, pas de salarié».
Côté jardin
Agée de 57 ans, «et je me plait de mon âge», Suzanne Kala Lobe n’est pas mariée, mais vit depuis 34 ans avec un homme, le bien nommé Bea Man Wayack. «Il a le même âge que moi» précise t-elle. Ancien champion de judo camerounais avec une formation de kinésie thérapeute, celui qu’elle présente comme son compagnon est rentré au Cameroun il y a tout juste deux ans et vit à Makak. Tous deux n’ont pas fait d’enfant et Suzanne explique cela par «un concours de circonstances difficiles», mais le fait de ne pas être marié s’explique par le fait que «nous de la génération mai 1968 avions pensé qu’un nouveau monde était possible. J’avais une autre vision des choses et je ne voyais pas l’importance du mariage. Il a eu du mal à l’accepter, mais l’a finalement compris» raconte Suzanne qui durant tout l’entretien n’a pas touché à sa cigarette, elle se contente juste de quelques verres de bon vin. Chanteuse à ses heures perdues, elle qui fût d’ailleurs lead vocal du groupe Djala Lilon dans les années 80, a participé à l’album de son compagnon sorti en 2003, un hommage à Um Nyobe intitulé Ni africa ni yoso, et dans lequel on retrouve aussi Pablo Master, l’un des premiers chanteurs de rap au Cameroun.
En plus de la musique, des découvertes et surtout le sport, Suzanne dit devoir sa force et son aisance professionnelle à trois choses ; son expérience de militante, le fait d’avoir été encadrée par des gens assez cultivés, et la chance d’avoir été à l’école au plus haut niveau. C’est d’ailleurs ce que la dame aux cours cheveux blancs reproche à l’actuelle génération de journalistes. «La facilité, le refus de la critique. De nos jours la profession me choque parce que certains l’abordent avec beaucoup de désinvolture, d’absurdité et se renferment sur le prétexte de pauvreté. Mais la pauvreté n’exclue pas la maturité! C’est pour cela que les gens me traitent de tous les qualificatifs, mais je restent moi même». Parole de sage!
Projets
Très impliquée dans la société d’Hygiène et de salubrité du Cameroun (HYSACAM) où elle s’occupe de la cellule de communication à la Direction générale, la journaliste compte bien participer au déploiement de cette structure dans les années à venir. Et même si elle a quitté son parti en 1998, elle y reste très attachée dans l’âme et compte réaliser dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun, une série de 12 documentaires, 13 minutes chacun, à la mémoire des héros de cette indépendance, de Rudolph Douala Manga Bell à Ernest Wandié. La passionnée de lecture compte également publier en octobre 2010 un livre intitulé Les chroniques sous le manguier, qui sera édité par Jacques Marie Lafon. Des chroniques qui feront sans doute encore parler et que nous ne perdons rien à attendre. Bon vent la journaliste.