Abel Kingue, l’inoubliable nationaliste

Par Doi Da Manga, avec la Fondation Moumié

S’il est des nationalistes Camerounais un que les futures générations ne se doivent pas d’oublier, il s’agit à coup sûr, d’Abel Kingue. Son nom revient toujours à côté de ceux des Ruben Um Nyobe, Ernest Ouandié, Félix Roland Moumié, Nicanor Njawe . sans pour autant que l’on sache qui il était vraiment.

L’orthographe de son nom, elle-même, prête à confusion. Il ne s’appelait pas Kingue et personne ne peut expliquer pourquoi son nom a pris une consonance Sawa alors qu’il était un digne fils des Grassfields. Etait-ce parce que ceux-ci constituaient une menace pour le colonisateur Français ou alors était-ce pour prononcer plus aisément son nom sans avoir à l’écorcher ? Difficile de donner des réponses à cette double question, l’intéressé ayant emporté son secret dans la tombe au même titre que ses camarades de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) ou ses camarades d’armes.

Abel Kingue, de son vrai nom Abel Kegne, serait officiellement né en 1924 – mais officieusement l’on parle de 1914 – à Fokoue (serait-ce dans l’actuel arrondissement de Fokoue dans le département de la Menoua dont Dschang est le chef-lieu?), fils de Ouamba Pokam et le nom de sa mère demeure une énigme. Il avait deux frères de même mère: Christophe Ngounou et Victor Teo. Il quitte son village natal alors qu’il n’est âgé que trois (03) ans parce que son père avait osé contester l’autorité traditionnelle du chef. Il s’installe dans le village voisin où il devient conseiller du chef tout en exerçant l’art de guérisseur des malades. De sa propre initiative, Abel Kingue quitte son père pour s’installer chez l’un des amis de ce dernier à Dschang, un certain Mathieu Yamdjeu et devient ramasseur de balles au Tennis Club de cette ville où il se fera remarquer et inscrire à l’école. Toujours dans la même ville, il ira vivre chez un autre ami de son père, Jean Nitcheu, tout en poursuivant ses études qui le conduiront jusqu’à la fin du cours de sélection – l’équivalent de l’actuel Cours Moyen 2e année – et par la suite se rendra à Bafang, puis à Nkongsamba dans le Moungo avant d’accéder à l’Ecole des Infirmiers d’Ayos dans la région du Centre.

En 1947, on le retrouve à Douala où il travaille dans un grand commerce et fait la rencontre de Robert Ekwalla. Tous les deux deviendront membres de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC). Un an plus tard, il adhèrera à l’Union des Populations du Cameroun (UPC), de création récente et en 1950, il quitte le commerce et entre à la Direction de l’UPC lors du premier congrès de ce parti tenu à Dschang. On lui reconnait de grands talents d’orateur, d’une grande capacité d’organisation et de travail et de grande bonté. Mais il se distingue plus par sa grande fermeté idéologique. En 1951, pour la première fois, il dénonce l’escroquerie politique du prince Ndoumbe Douala Manga Bell et en 1952, il est réélu Vice-président de l’UPC au deuxième congrès de l’UPC à Eseka cumulativement avec ses fonctions de Rédacteur en chef de la Voix du Cameroun, un organe d’expression de l’UPC.

En Décembre 1953, il représente la Jeunesse Démocratique du Cameroun (JDC) dont il est l’un des fondateurs aux Nations-Unies et à son retour, pendant sa tournée de compte-rendu à Mbouroukou, non loin de Mélong dans le département du Moungo, il est agressé, grièvement blessé et laissé pour mort lors d’un attentat commandité par le Haut-Commissaire Soucadeaux.

Le 14 Avril 1954, il est candidat aux élections pour l’Assemblée Territoriale du Cameroun (ATCAM) et est déclaré battu par l’administration coloniale en dépit de la grande popularité dont il jouissait. Un résultat qui va surprendre plus d’un (les tripatouillages des élections sont un héritage de la colonisation Française).

Le 18 Avril 1955, son domicile et ceux de Ruben Um Nyobe et de Jacques Ngom à Douala sont saccagés et incendiés. Alors qu’il se trouve du 23 au 30 Mai 1955 en campagne d’organisation en Sanaga Maritime, il est à nouveau victime d’un attentat à Song Mbengue, localité située entre les actuels arrondissements de Pouma et de Ngambe et l’un des bourgs importants de l’actuel arrondissement de Massock-SongLoulou; une tentative d’assassinat orchestrée par le Haut-Commissaire Roland Pré et exécutée par un certain Jacques Bassama. Deux Upécistes y laissent leur vie, Mahop Ma Sende et Bias Bi Nguimbous et Abel Kingue ne doit sa vie sauve que grâce à la vigilance des populations qui le travestissent en femme afin qu’il échappe aux barrages de contrôle des soldats de l’Administration Coloniale.

Avec Moumié, Ouandié et de nombreux autres cadres et militants de l’UPC pourchassés par l’administration coloniale qui venait de bannir l’UPC, il se réfugie au Cameroun sous tutelle britannique et continue ses activités politiques.

Du 08 au 09 Novembre 1956 à Kumba où il préside une importante réunion de la JDC, il est frappé et laissé pour mort par les commandos Delauney tandis qu’à Bamenda une tentative d’assassinat des cadres de l’UPC est orchestrée et les locaux ainsi que les domiciles de certains cadres sont incendiés.

En 1957, avec Moumié, Ouandié et 12 autres dirigeants de l’UPC, il est déporté à Khartoum au Soudan. Souffrant d’une grave hypertension artérielle, il mène une activité relativement réduite à l’étranger et le 13 Septembre 1962, il est élu Vice-président du Comité Révolutionnaire par la 1ère Assemblée Populaire sous maquis de l’UPC.

De septembre 1962 à Juillet 1963, il est emprisonné sans soins à Accra au Ghana suite à des attentats perpétrés contre le Président Kwame Nkrumah par son opposition interne et à cause des dissensions internes à l’UPC à la suite de l’annonce de la formation du Comité Révolutionnaire.

Accusé d’avoir asphyxié le maquis en bloquant les fonds et les autres biens du mouvement sous son unique contrôle et d’avoir appliqué une politique de groupe ayant aggravé la crise au sein du mouvement avec des conséquences néfastes sur l’image de l’UPC, pris contact avec le Sous-secrétaire d’Etat américain Williams Mennen; il est exclu du Comité Révolutionnaire par la 2ème Assemblée Populaire sous maquis le 25 Avril 1963. Pour les mêmes motifs, Castor Ossende Afana subira le même sort.

En décembre de la même année Abel Kingue publie une plaquette «La vérité sur le Comité Révolutionnaire» co-signée par Ndeh Ntumazah, le Président du One Kamerun Party. C’est alors que l’état de santé d’Abel Kingue s’aggrave et il est victime de troubles de comportement. Alors qu’il est en mission à Alger sa situation s’empire et le Président Algérien Ahmed Ben Bella le fait évacuer à bord de son avion au Caire en Egypte. Il y décède le 16 Avril 1964 et est inhumé sur place.

Deuxième à partir de la gauche, Abel Kingué pose avec d’autres leaders de l’UPC, dont Osende Afana – à gauche – Ruben Um Nyobe – à droite – Félix Moumié et Ernest Ouandié
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