Crise anglophone : l’activiste Agbor Balla demande « l’isolement du Cameroun »

L’avocat s’est exprimé ce 12 juin à Dakar, lors de la présentation du rapport d’Amnesty international sur la situation de crise dans les régions anglophones.

Felix Agbor Balla Nkongo a appelé la communauté internationale à isoler le gouvernement du Cameroun, en raison des violences en cours dans les régions anglophones du pays. L’ancien président du Consortium de la société civile anglophone du Cameroun, une organisation jadis en pourparlers avec le gouvernement du Cameroun jusqu’à sa dissolution et l’emprisonnement de ses membres, a émis ce souhait lors du lancement du rapport d’Amnesty International sur la violence et les violations des droits de l’homme dans les régions Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun.

Selon l’Ong Amnesty international, ledit rapport a été réalisé après des interviews de plus de 150 victimes et corrobore avec plus de mille faits, enquêtes et enregistrements de victimes que le Centre pour les Droits de l’Homme et la Démocratie en Afrique dispose comme documentation, régulièrement enrichie depuis près de 2 ans.

« Les faits sont claires et disponibles pour la communauté internationale. Il est temps d’isoler le gouvernement camerounais, de revoir la coopération militaire en cas de violations flagrantes des droits humains surtout lorsque les armes destinées à la lutte contre Boko Haram sont transférées dans des régions anglophones et utilisées contre des civils « , a déclaré Agbor Balla dans un communiqué.

Le rapport publié par Amnesty International affirme que les populations des deux régions anglophones du Cameroun sont en proie à la violence entre les forces de sécurité camerounaises et les combattants séparatistes.

Crise anglophone: des victimes demandent réparation, Agbor Balla et Fontem Neba dans leur viseur

L’avocat Agbor Balla et l’enseignant Fontem Neba sont à l’origine des villes mortes qui ont secouées les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en fin d’année 2016, au plus fort de la contestation corporatiste de leurs deux corps de métier.

On l’a appris mercredi au cours du procès de Mancho Bibixy et de six autres émeutiers reconnus coupables de sécession, l’avocat Nkongho Agbor Balla et l’enseignant Fontem Neba pourraient être appelés à dédommager des victimes des émeutes de décembre à décembre. Les avocats de la partie civile l’ont indiqué mercredi alors qu’ils présentaient le montant des indemnités qu’ils désirent, soit 579 millions de Francs CFA.

C’est qu’agissant  par le canal du Consortium – une organisation critiquée par le gouvernement pour s’être livrée à la «surenchère» dans les négociations et interdite d’activités le 18 janvier dernier – ces deux leaders de la contestation anglophone avaient lancé des avis à ville morte qui ont été observés les 09, 16 et 17 janvier 2017.

Lire aussi: Cameroun: les régions anglophones paralysées par les « villes mortes »

Ils ont par conséquent été arrêtés, incarcérés à Kondengui et jugés au Tribunal militaire de Yaoundé pour hostilité contre la patrie, outrage aux corps constitués et aux fonctionnaires, rébellion, dégradation des biens publics, pillage en bande, coaction des actes de terrorisme, sécession, révolution, insurrection, excitation à la guerre civile, et propagation de fausses nouvelles. Ils étaient poursuivis aux côtés de Mancho Bibixy et d’une vingtaine de jeunes arrêtés dans plusieurs villes du Cameroun.

Nkongho Agbor Balla et Fontem Neba sont libres depuis le 31 août 2017. Ils ont bénéficié de du décret présidentiel qui instituait l’arrêt des poursuites contre certains manifestants anglophones. Pour la partie civile, cela n’empêche pas une quelconque action civile contre eux. Pour le démontrer, elle s’appuie sur l’article 63 du code de procédure pénale. Lequel stipule que : « Lorsqu’une juridiction a été saisie à la fois de l’action publique et de l’action civile, la survenance d’un des événements prévus à l’article 62 [mort de l’accusé, prescription, amnistie…] laisse subsister l’action civile, sauf dans le cas visé à l’alinéa 1 (h) [retrait de la plainte, désistement de la partie civile] dudit article. La juridiction saisie statue sur celle-ci.»

Les victimes réclament la somme de 375 millions de Francs CFA pour le dédommagement du propriétaire de l’immeuble dans lequel était abrité le commissariat du 3e arrondissement de Bamenda incendié, l’hospitalisation d’au moins deux jeunes filles, la dégradation du véhicule d’un officier. A cela s’ajoute la somme de 204 millions de Francs CFA demandée par l’Etat du Cameroun pour la construction d’un nouveau commissariat, l’indemnité après les pertes de recettes dues au pillages des boutiques, et la dégradation de certaines routes à Bamenda.

 Autre article: Procès de Mancho Bibixy : la partie civile veut être dédommagée à hauteur de 579 millions de francs CFA

 

 

 

 

Agbor Balla Nkongho : héros ou traître ?

Malgré  un séjour en prison, son domicile familial brûlé et des positions critiquées, cet activiste des droits de l’Homme continue de parcourir le monde entier afin de trouver des solutions politiques à la crise anglophone qui secoue le pays depuis 18 mois.

En janvier  2017,  Agbor Balla Nkongho  est arrêté en compagnie de 71 autres  leaders du consortium anglophone alors qu’ils tenaient une réunion. De nuit, ils sont conduits à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Ils seront déférés à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé.  Face à la pression de la communauté internationale, les chefs d’accusations qui pèsent contre eux seront dévoilés : actes de terrorisme, rébellion entres autres. Ils risquent la peine de mort. Ils passeront 7 mois de prison avant d’être libérés.

Huit mois plus tard, une fois sa liberté retrouvée, Agbor Balla Nkongho  reprend ses activités. Il repart régulièrement rendre visite à ses compagnons d’infortune en prison. Son combat pour la cause anglophone, il le poursuit également  avec détermination. Face à la radicalisation du mouvement qui voit naître les premiers groupes armés, il encourage le dialogue et l’acceptation de l’autre. « Les libertés que nous recherchons pour nous-mêmes doivent être étendues à tous les autres citoyens quelles que soient nos différences  idéologiques. J’en appelle à chacun d’entre vous, à réfléchir  à l’exploitation d’autres voies pour atteindre nos objectifs », souligne-t-il pour défendre sa position.

Menaces et invectives

Son choix du dialogue comme solution à la crise anglophone n’est pas resté sans conséquence.  En novembre  2017, quelques semaines après sa sortie de prison, son domicile familial à Mamfé, dans la  région du Sud-ouest du Cameroun, est mis à feu. Cet incident intervient  quelques jours après son exclusion du consortium des sociétés civiles anglophones du Cameroun dont il est membre fondateur. Le motif  souligné par les signataires de sa mise à l’écart est «  son écartement de la ligne directrice du mouvement à travers ses sorties médiatiques et ses activités diplomatiques auprès des Etats ». 

Dans la même lancée, lors d’une visite à la diaspora camerounaise en Angleterre il va se faire chasser de la salle par les partisans de l’aile extrémiste de la revendication anglophone. Ils estiment qu’en prêchant pour  la fin des actions de revendication violentes, « il est devenu un allié du gouvernement». Interrogé sur ces accusations portées contre lui, il se veut constant. « Même si nous pouvons différer d’approches, nous devons respecter les opinions des autres. Nous pouvons être en désaccord sans être désagréables. C’est une caractéristique d’une société démocratique d’avoir des opinions et des points de vue divergents. Le gouvernement a la responsabilité de prendre des mesures pour atténuer les tensions au sein de nos communautés afin de réduire la probabilité de conflit. Nous appelons tous nos jeunes, leaders religieux, leaders communautaires, leaders d’opinion à œuvrer pour s’attaquer à tous les signes potentiels de conduite violente et à se défendre contre la violence. La solution doit être politique. C’est le moment d’un bon leadership et l’esprit d’état que nous fournirons», précise-t-il.

Malgré les menaces permanentes qui pèsent contre lui, l’avocat de 47 ans, qui a travaillé comme personne ressource en matière de droits de l’Homme avec le système des Nations Unies en Sierra Leone  et au Congo, a décidé de rester dans la capitale du Sud-Ouest, Buea, dans laquelle il exerce ses activités. A l’occasion de la journée mondiale pour la justice sociale, il a remis, le 20 février dernier, aux jeunes startupeurs de la ville «  des ordinateurs afin de les encourager dans le processus de création d’emplois pour la jeunesse ».  Quelques jours après ces événements, il s’est envolé  pour les Etats-Unis où il compte obtenir de nouveaux soutiens  dans son combat pour la résolution de la crise anglophone.

Alternative crédible

Depuis octobre 2017, les affrontements nés de la répression des attaques séparatistes contre les forces de l’ordre ont fait plusieurs morts parmi les populations civiles. Une trentaine de militaires ont été tués. 7500 personnes ont été contraintes de se refugier au Nigeria où elles vivent dans des conditions difficiles.

Une dizaine de leaders sécessionnistes viennent d’être arrêtés au Nigeria et extradés au Cameroun. Ils risquent la condamnation à mort. Face à ces arrestations, d’autres groupes armés se sont formés et kidnappent désormais des représentants de l’Etat. En raison de  l’escalade de violence observée dans les régions anglophones, Agbor Balla s’est positionné comme une alternative crédible pour mettre fin à la crise.

C’est dans cette optique qu’il a été reçu, début février, par la ministre d’Etat du Royaume-Uni pour l’Afrique, Harriet Baldwin en séjour officiel au Cameroun. En décembre dernier, c’était avec Patricia Scotland, secrétaire général du Commonwealth, qu’il avait échangé.

Cameroun : rencontre entre Agbor Balla et Harriet Baldwin

Au menu de leurs échanges, la crise anglophone et les conséquences qu’elle entraîne depuis plus d’un an déjà.

Agbor Balla a rencontré la ministre d’Etat du Royaume-Uni pour l’Afrique, Harriet Baldwin. C’était le mercredi 14 février 2018 au Mountain hotel de Buea. La ministre britannique a profité d’une visite au Cameroun pour échanger avec l’avocat, arrêté il y a quelques mois dans le cadre de la crise anglophone.

Accompagnée de Rowan Laxton, le Haut-Commissaire de Grande-Bretagne au Cameroun, Harriet Baldwin a ainsi discuté avec Agbor Balla et quelques autorités religieuses et traditionnelles invitées à cet échange.

L’avocat camerounais en a fait une synthèse publiée sur sa page Facebook. « Nous avons discuté d’un large éventail de problèmes, notamment la crise croissante des réfugiés, les personnes déplacées en raison de la crise actuelle, les conditions de détention des détenus devant les tribunaux militaires et certaines détenues sans inculpation ni procès, les arrestations continues dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les incendies de maisons et de villages qui auraient été perpétrés par les militaires, les massacres perpétrés dans les deux régions et les conditions de la population civile terrorisée prise au milieu de la guerre », a révélé Agbor Balla.

La crise anglophone paralyse en effet les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis octobre 2016. Elle a commencé par des revendications corporatistes pour migrer vers des relents séparatistes, lesquels ont découlé sur des violences. Militaires, policiers et gendarmes sont, depuis peu, la cible d’attaques de groupes armés non identifiés. Les populations, par peur de représailles, quittent leurs terres pour trouver refuge dans des villes moins agitées ou carrément au Nigeria voisin.

De son côté, le régime de Yaoundé n’entend pas céder. Il n’y aura ni fédéralisme ni sécession car, la forme de l’Etat du Cameroun est non-négociable, a laissé entendre Paul Biya, le président camerounais.