Il nous a reçu dans son appartement parisien et nous a ouvert son coeur. Interview exclusive!
C’est quoi être un styliste pour vous?
Pour moi le stylisme est d’abord un état d’esprit. Je ne suis pas styliste, je me définis comme un créateur, c’est-à-dire quelqu’un qui a une passion et qui veut la partager avec le public.
La touche Anggy aujourd’hui c’est quoi?
Je dirais que la marque Anggy Haïf c’est un univers qui rassemble l’Afrique, l’Europe, l’Asie. En tant que créateur, je me définis par rapport à comment je me réveille et où je me lève. J’ai envie de partager ma vision avec le monde
Parlez nous de votre collection en cours
Elle est particulièrement basée sur la couture. C’est un assemblage de matières très nobles telles que la soie avec un mélange de calebasses et de l’obom qui est une matière très noble africaine. Je fais un travail d’adaptation de mes matières locales aux matières internationales.
Vous avez reçu de nombreux prix, le dernier en date est le prix Vlisco créateur. Qu’est ce que cela représente pour vous, tous ces prix ?
Ça représente la confirmation de mon travail. Ça veut dire que mes efforts sont reconnus et ça me donne du courage. Ça veut dire aussi que les créateurs africains ont leurs places. Le prix reçu à Cannes n’était pas un prix africain, j’étais en compétition avec dix créateurs venus du monde entier. Ça veut aussi dire que les matières africaines ont une place dans la mode internationale. On nous ghettorise beaucoup, même en parlant de mode africaine, il n’existe pas la mode africaine, mais la mode. Je suis un créateur d’origine africaine.
Vous êtes installé en France depuis combien de temps ?
Ça va faire deux ans. Installer c’est trop dire. Je ne suis pas installé en France, je veux construire une base en France et aux Etats-Unis. J’ai fais un défilé à Philadelphie et je veux avoir une autre base là bas. Ma base principale restera le Cameroun.
Quel plus professionnel le fait d’être parti du Cameroun vous a conféré ? Ce contact avec l’étranger, avec la mode internationale et les créateurs du monde.
Ça représente une très grande ouverture. Moi, par la chance que j’ai et par le travail que j’abats, il y a un créneau qui s’ouvre pour les autres qui viennent derrière moi. C’est l’opportunité qu’on n’a pas eu avec les autres créateurs du Cameroun pourtant brillants. Je suis membre de l’association des jeunes créateurs de mode qui soutient les initiatives et encourage les jeunes créateurs.
Aujourd’hui, le problème des créateurs africains dans leurs pays c’est le manque des défilés et de showrooms? Votre avis là-dessus ?
Ça c’est un problème qui relève de l’administration et des bailleurs de fond. Nous en souffrons parce que l’Afrique ne croit pas à la mode, à la création. Les créateurs sont abandonnés à eux même. Ailleurs, quand un créateur fait ses preuves, des hommes d’affaires financent sa marque pour l’emmener sur le plan international. J’ai le même problème aujourd’hui parce que je n’ai aucun soutien financier. Notre gouvernement n’a pas une démarche de soutien artistique envers les créateurs. Je reviens là d’Acra au Ghana avec l’ONU qui essaie de sensibiliser les gouvernements africains à prendre conscience que ces jeunes ont besoin d’appui. La mode crée l’emploi. Mon atelier fait travailler 5 personnes, si je me développe, ça ferra plus d’emploi. Les magasins de grande marque sont tenus par des hommes d’affaires qui ont investi dans la mode comme d’autres investissent dans l’hôtellerie. Je sais d’où je viens et je sais qu’il y’a des talents énormes et si un homme d’affaires investissait sur ces talents, il aura le même bénéfice qu’ailleurs. Un défilé c’est pour intéresser les acheteurs. Il faut des produits de qualité. Mes collections ce sont des défis; j’ai investi pour intéresser le monde. La mode est une industrie qui rapporte et il faut des investisseurs.

Votre touche c’est le brut. Vous travaillez beaucoup avec les matières premières venant du Cameroun. Est-ce que c’est pour vous démarquer en tant qu’africain ou c’est parce que cela constitue une vraie source d’inspiration ?
Quand j’ai commencé, il fallait que j’ai mon style. J’ai été inspiré par ma vision des choses, ma sensibilité. Ma première collection était en toile de coco que personne n’avait travaillé avant. Il y a des matières à valoriser. L’Afrique est tellement riche qu’il est temps pour nous d’exploiter nos matières. Les créateurs d’autres pays viennent chercher ces matières chez nous parce qu’ils ont une valeur.
On vous connaît comme créateur mais on sait que vous avez d’autres activités. Quelles sont les autres cordes de votre arc ?
J’ai commencé dans la musique. J’ai été découvert dans la musique. Ma première collection ce n’était pas en tant que créateur de mode, mais c’était pour accompagner mon spectacle. Aujourd’hui, j’ai finalisé mon album. Il est disponible à l’adresse www.myspace.com/ANGGYHAÏF. Dieu merci j’ai rencontré quelqu’un qui a aimé et qui va s’occuper du management de l’album qui est un mélange de l’Afrique, de l’Europe, mes influences. C’est danse et pop. Je suis né en ville et j’allais dans mon village une fois par an. Et c’est le cas de nombreux africains qui vivent dans les métropoles. Mais on nous renvoie toujours une image de l’Afrique des cases en hutte. Je suis aussi modèle et ça marche très bien. J’ai la chance d’avoir un physique qui intéresse et ça me permet de poser pour financer mes collections. En 2005, c’est la publicité qui m’a fait financer mes collections. Je pose pour des photographes belges et américains.
Parlez nous de vos débuts
Je faisais partie du grand mouvement hip hop au Cameroun, basé à African Logic. C’est là que tout a commencé. Un dimanche, lors d’un défilé, j’avais un turban à la tête. Une dame, Oswalde Lewat m’a approché pour me dire que mon style est original, est ce que je peux le présenter à la télévision. C’était la première à avoir flairé l’air de la créativité en moi. Elle présentait « SOS jeunesse » à la CRTV. C’était en 1999. Je l’ai rencontré en 2007 aux Etats-unis et elle était si fière de moi. Fin 1999, j’ai fais un spectacle à l’Abbia avec Sally Nyolo avec mes créations toujours et quelqu’un m’a proposé de présenter cette collection à l’élection top model en fin d’année et j’ai retravaillé la collection et c’était parti comme ça. Je crois qu’inconsciemment j’étais fais pour cette carrière. J’ai fais la coiffure, le maquillage. Je n’ai pas fais d’école, je crois que c’est naturel, c’est un don.
Vous parlez très souvent de votre maman. On imagine qu’elle représente beaucoup pour vous.
Elle représente tout pour moi. Sa mort en 2006 a crée un vide. Elle était un appui. Elle est décédée en 2006, un mois après mon arrivée en France pour mon stage comme si elle refusait que je la vois mourir. Elle savait que sa mort allait me faire reporter mon voyage. Aujourd’hui, c’est ma famille qui me donne la force d’avancer. Quand un enfant travaille, c’est pour les siens et faire mieux pour ses parents.
Votre plus grand rêve
C’est celui de m’affirmer en tant que créateur sur le plan international et créer dans mon pays un centre gratuit de formation des jeunes créateurs.
Votre métier consiste à habiller les femmes. Comment définirez-vous une belle femme?
C’est une femme qui s’assume et qui assume son corps. Pour moi une belle femme c’est une femme sui sait se valoriser, qui n’a pas de complexes et qui dégage quelque chose. Et en Afrique, les femmes sont magnifiques, c’est pour ça qu’en Europe on nous envie. Les femmes dégagent quelque chose de gracieux.
Quel est l’accessoire qui vous marque en premier chez une femme?
C’est difficile à dire. Chaque femme est différente. Pour moi, chez une femme le port de corps est essentiel. Il y a une femme qui va porter des boucles, et ça va lui aller mieux sans collier. Il y a des femmes qui ont des très bons ports de cou, elle a juste besoin d’un petit bijou de rappel. Ça dépend de comment elle est habillée. L’accessoire va avec les vêtements.
Vos projets pour le Cameroun
Dernièrement j’ai emmené un ami au Cameroun, Christophe Emérite, qui est créateur ici. Les meilleurs jeunes créateurs au Cameroun ont été formés par lui. Charlotte Obassogo qui a remporté le prix Afrique collection au FIMA a été formée par lui. Ça prouve qu’on manque de formation. La mode c’est un univers avec des codes et une ligne qu’il faut apprendre.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière de créateur ?
C’était à Sainte Lucie, dans une île anglaise (ndlr Caraïbes). Après un défilé une dame de près de 70 ans m’a dit « j’ai revu toute ma jeunesse dans votre collection ». Ça reste mon plus beau souvenir de créateur.
Et le pire ?
C’était au Cameroun à mes débuts. J’étais invité à un défilé et un créateur m’a dit « toi tu n’as pas le droit d’être sur la scène ». Ça m’a choqué parce que j’estimais que si j’étais invité c’est parce que je valais quelque chose. La mode n’est pas la hiérarchie. L’art c’est le talent. On ne prime pas l’âge mais le talent. Dieu merci parce que la nouvelle génération est plus soudée. On se partage les informations car on sait que chacun a sa chance.
