La Question d’Axelle Kabou

Par Raoul Nkuitchou Nkouatchet, président honoraire du Cercle Mont Cameroun, Paris

Qui n’a pas lu Axelle Kabou ? Il est des textes qu’il vaut mieux avoir rencontrés. En 1991, était publié à Paris le livre d’une jeune femme, née à Douala en 1955, jusque là inconnue du microcosme de la vie intellectuelle et journalistique du continent africain dans la capitale française. En guise de titre de l’ouvrage, Madame Kabou posait une question terrible, qui tourmente depuis longtemps ceux qui, intellectuels, politiques, hommes de bonne volonté, se soucient encore de ce continent qu’on a qualifié de « maudit ». Et si l’Afrique refusait le développement ? Il n’est pas simple de répondre à cette terrible question. Elle est fondamentale, monumentale. Posée autrement c’est : pourquoi le continent le plus anciennement peuplé est-il de loin le plus faible, le plus dépendant ? Il faut y aller avec humilité, morceau après morceau. Avant tout, il faut repousser la question généreuse et troublante de l’ami occidental qui demande à l’Africain, touché par la complainte de celui-ci sur le délabrement de son pays : Et si c’est vous qui aviez raison, finalement, car après quoi courrons-nous, nous autres des pays développés ? Il faut rejeter cette fausse question et l’abandonner aux philosophes, pour commencer. Et si l’Afrique refusait le développement ? est, en plus d’apparaître comme une question-thèse-piège, le livre de quelqu’une qu’on n’attend pas là.

Axelle Kabou n’est à l’époque de la publication de son texte, ni une autorité universitaire ni un auteur européen, pour oser un tel sacrilège. Car, que dit-elle dans sa fameuse livraison ? L’Afrique refuse le développement. Elle ne s’est jamais vraiment sentie concernée par le concept du progrès. L’effort en faveur du développement sur ce continent tient de la supercherie, c’est de la prestidigitation ! Européenne, on l’aurait traitée de raciste ; grande intellectuelle Africaine, on l’aurait traitée de « vendue ». S’adressant à des gens habitués à dégainer leurs titres avant de dire des bêtises, l’auteur a eu le loisir de se faire snober par l’establishment et insultée par le reste, à quelques exceptions près. Madame Kabou demande pourquoi est-ce que la véritable idéologie régnante sur le continent noir, jamais avouée mais ô combien puissante, est celle du parti unique de l’immobilisme – consommé autant par les masses que par les élites. Ce qui frappe en Afrique, affirme-t-elle, c’est l’inexistence dans tous les pays d’un projet de société clair, repérable et défendable par tous. Elle dénonce avec véhémence la parade lamentable que les responsables adoptent chaque fois pour couvrir leurs errements : l’évitement, la surenchère verbale. Le soubassement de l’interrogation de Kabou est celui du rôle que les Africains se donnent dans l’Histoire. Se satisfont-ils, tout bonnement, de leur seule contribution notoire qui est d’avoir colonisé pour le compte de toute l’espèce humaine, le continent source ? Dans cette perspective, en effet, l’Afrique semble se comporter comme ces aînés sacrifiés dans certaines cultures anciennes au rôle de frayeur de chemin, et qui n’ont pas d’autre destin que celui de permettre aux suivants de mieux faire. N’entend-on pas parfois dire que les Africains savent souffrir dans la dignité, et qu’ils méritent pour cela du respect ? N’est-ce pas toujours selon cette prétendue aptitude à la dignité, que beaucoup ont tant de goût pour l’histoire archéologique et fortement hypothétique de Cheick Anta Diop, et que Senghor recommandait aux Africains de manifester un complexe de supériorité ?

C’est vrai que Madame Kabou n’aide pas à lire sa contribution. Elle charrie avec gourmandise l’inculture des élites africaines, et assène : L’Africain, c’est une constante historique, ne voit pas plus loin que le bout de son ventre, même quand il est suffisamment aisé pour être en mesure de prendre des risques. Puis : la jeunesse africaine en a plus qu’assez d’appartenir à un continent minable, complexé, et bobardeux. Lorsqu’on sait à quel point l’amour propre, le nombrilisme, constituent chez les lettrés Africains l’alpha et l’oméga de l’analyse, on ne peut s’étonner que l’ouvrage les rebute d’emblée. C’est à l’étranger qu’il a connu l’intérêt qu’il mérite. Pourtant, mis à part quelques insuffisances de forme, que de vérités cruciales versées au débat ! A commencer par l’ambition tout à fait rare de l’entreprise : Une réflexion sur les mécanismes idéologiques du processus par lequel l’Afrique refuse le développement. On a pris l’habitude, dès qu’il s’agit de juger ce qui se passe sur ce continent, d’y jeter un coup d’?il fantaisiste, souvent prétentieux, de préférence dans un jargon inaudible, histoire de masquer le discours monomaniaque de la victimisation. Kabou se décide de prendre l’explication de la situation sociale, économique et politique par le bout le plus difficile, celui de la culture. Convaincue qu’il n’y a pas de [responsables] ex nihilo, de sociétés sans mentalités, convaincue que le sous-développement de l’Afrique, quelle que soit l’époque considérée, n’est pas le produit du hasard. Contre les murs de la mystification, elle affirme : Quiconque a vécu et travaillé en Afrique sait que ce continent a, avant tout, des problèmes d’organisation, de motivation, de contrôle et de production qu’aucune idéologie ne résoudra et qui persisteront tant que les Africains seront convaincus d’avoir pour rôle de se tenir à l’écart de l’évolution actuelle du monde.

Axelle Kabou trouve dans ce qu’elle appelle l’économie d’affection, la source centrale du sous-développement du continent noir. Elle conteste de façon décisive le mythe d’une solidarité supérieure des Africains entre eux, et ne voit dans l’esprit communautaire qui règne en Afrique qu’une manière désastreuse de se procurer des rétributions psychologiques à peu de frais. C’est vrai que le principe de la solidarité est sur le continent le point d’achèvement de toute morale, pour emprunter au jargon fmiste. Peu de gens veulent entendre le message implicite et castrateur qui se cache derrière la chose, et qui s’adresse en particulier aux quelques favorisés : Faites le minimum au cahier des charges public, et revenez vite aux choses sérieuses, c’est-à-dire les affaires du village !
A la lecture d’Axelle Kabou, on voit de quoi l’auteur a dû s’arracher, la montagne qu’elle a dû escalader pour parvenir à la hauteur nécessaire à un regard franc sur le sort de l’Afrique. L’effort est exigeant ; on peut y laisser ses nerfs. Bien sûr que des choses ont été dites et écrites, avant Kabou et aussi après ; mais la tendance a souvent été, au mieux, celle d’un partage des responsabilités entre l’Afrique et les anciens auteurs de l’esclavage puis de la colonisation. Le pas a très rarement été franchi d’une dénonciation unilatérale de l’Afrique comme coupable de son sort. C’est sûr qu’il n’est pas du tout évident dans la culture africaine, même chez des esprits brillants, de regarder la réalité sociale et historique en face : et d’en tirer LA conséquence. Effet de la culture orale, on ne fait pas vraiment dans la critique, encore moins dans la subversion : on écoute et on entonne les Te Deum ! D’où le plus grand nombre des intellectuels et des décideurs sont incapables d’un regard critique, et cultivent l’exceptionnalisme, que Kabou appelle négrisme et que Stephen Smith qualifiera plus tard – avec le succès que l’on sait – de négrologie.

L’originalité, la force de la méthode de cet auteur résident dans son choix de procéder à un examen microscopique de la causalité du sous-développement. Là où les experts des organisations internationales et les chercheurs peu audacieux brandissent chiffres et statistiques, elle s’occupe de ce qui se passe dans la tête des Africains, parce qu’on ne prend jamais assez au sérieux ceci. Ainsi élargit-elle la problématique du sous-développement à sa vraie dimension : bien au-delà de la science économique. Car pour sortir du sous-développement, pour seulement prendre la voie du développement, il faut préalablement faire le dessin du monde nouveau auquel on veut accéder. Et ça, les Africains ne l’ont pas encore fait. La qualité de ce texte vient de ce qu’il constitue une synthèse subversive, dans la mesure où il tend la main à la vérité dure, qu’il balance les niaiseries et énonce les pièges à éviter avant de se mettre au travail pour le développement. Oui, le pamphlet de Madame Kabou est un plaidoyer pour donner (enfin) un horizon à ces millions d’enfants d’Afrique que leur continent pousse littéralement au suicide. Axelle Kabou a raison de rappeler que l’on ne peut pas éternellement se contenter d’examiner la logique de la domination du Nord sans jeter un coup d’?il sur la logique de la sujétion africaine qui lui répond. Parce que les Africains parlent, agissent, effectuent des choix, comme tout le monde, et qu’on ne peut pas applaudir cette sorte de détermination altière à n’être que soi et rien d’autre. Il n’y a plus de temps à perdre !

Sauf à poétiser la réalité du continent, pas grand-chose de très marrant ici. Axelle Kabou reproche essentiellement à l’Afrique d’être sourde au monde depuis quatre bons siècles. En vérité, l’Afrique est certes sourde au monde, mais elle se fait surtout terriblement silencieuse. L’Afrique ne manifeste pas une folle passion pour le développement, encore moins pour le progrès ; mais le fait le plus étouffant sur cet ensemble, c’est le Silence. Avant de se lancer, un jour, dans le processus du développement, qui suppose des transformations en profondeur sur les plans infrastructurel et institutionnel, il y a tout de même une petite question à régler : c’est de prendre position par rapport à ce que les Occidentaux, les dominateurs immédiats de l’Afrique, ont appelé un jour le Progrès. C’est le front initial, là où il faut absolument dire son mot. Sans cette idée, cette foi, cette passion, la notion de développement tourne à vide. Il faut d’abord se doter, collectivement, de cette petite musique d’arrière plan, cette chose surprenante au-dessus des têtes qui organise et colorie l’activité quotidienne des hommes et des femmes. Les Africains doivent prendre la parole, ou plutôt accorder à quelques uns de la prendre pour eux, afin qu’il soit dit au monde ce que l’Afrique entend faire dans les temps à venir. Lorsqu’on ne produit pas sur le plan idéologique, on subit inexorablement. Lorsqu’on produit, on a une chance de se mesurer aux autres. Les hommes et les femmes de ce continent attendent certainement d’être touchés par quelques vrais principes impressionnants, agissants, qui leur permettent de croire à autre chose qu’à la terreur qui règle la vie de l’écrasante majorité.

Que l’on songe à ce que l’Occident doit à la synthèse judéo-chrétienne, comme dépassement des palabres grecques puis romaines. C’est là la date de sa prise de pouvoir. Imagine-t-on ce que serait, par exemple, le monde asiatique sans les apports des cosmologies taoïstes, bouddhistes ou confucianistes ? Bref sans la foi dans les possibilités d’extension des avantages de la civilisation, point de développement. Tous ces peuples qui s’en sortent, en matière de l’art d’organiser, de produire et de vivre dans leur société, ne se contentent pas de viser le bonheur des individus, c’est-à-dire manger, boire, danser. Ils sont habités par un désir indomptable de laisser un meilleur monde à leur descendance. Le déterminisme social, magique, psychologique n’opère pas dans une société qui a fait le choix du progrès. Les uns et les autres creusent des pistes qu’ils ont ouvertes pour leur bien d’abord ; ils ne répondent donc pas mécaniquement aux impulsions venues de l’extérieur. Même lorsqu’ils empruntent des choses au dehors, ils en contrôlent les bénéfices. Il n’y a aucune raison que les Africains soient les seuls à ne pas concevoir et dire ce qu’ils croient être, et où veulent-ils aller. Même l’esclavage a connu des défenseurs bruyants ! Que dire alors des apôtres de la mission civilisatrice de l’homme blanc ! Il suffit d’écouter un Lénine définir sa doctrine : Le communisme, c’est le pouvoir des Soviets plus l’électrification du pays, pour se demander combien de leaders africains seraient capables d’esquisser en une formule, même discutable comme celle du chef bolchevik, le schéma de leur projet politique.

Les Africains ont l’obligation de dire, même n’importe quoi ! mais il faut le dire, le concevoir d’abord. Par exemple, que l’Afrique est le patrimoine mondial de l’humanité ancienne, et qu’on ne doit rien y toucher ! Alors, le reste du monde verrait comment faire pour pallier aux besoins vitaux de ce continent musée ; cela règlerait de tas de problèmes. Confrontée au monde, le continent noir se tait. Or, ne disant rien, les Africains ne laissent pas grand chose à l’évaluation de ceux qui arriveront. Ceux-ci aussi risqueront de subir le monde, dont l’histoire est avant tout celle d’une confrontation des idées. Alors, pendant un bout de temps encore, l’Afrique et les Africains risquent de servir, dans le meilleur des cas, à l’infrastructure de ceux qui prennent la production de la parole au sérieux. Pourtant que de potentiel à la disposition de ce continent ! Il suffirait de se dégager des marabouts, des innombrables petits chefs spirituels, ou de tout aussi dérisoires chefs de clans, auprès de qui chacun semble chercher son maître, alors même que, comme le rappelle si bien Benjamin Constant, il n’y a absolument aucune raison de désespérer de la liberté, il suffirait de s’en dégager pour que l’Afrique puisse demain produire ses Confucius, ses Sénèque, ses Sun Tse, ses Hobbes, ses Grotius, ses Locke, ses Montaigne, ses Clausewitz, ses Saint Thomas, ses Paine, etc. Il faudra bien que les Africains mettent un jour en difficulté le célèbre philosophe Allemand qui, au XIXe siècle, les a situés hors-Histoire. Pour cela, il faudra que les sociétés africaines accordent le plus solennellement du monde, une place plus conséquente aux agitateurs de toutes sortes, en particulier à ceux qui savent donner cohérence et musique aux produits de la conscience. Parce qu’ici, plus qu’ailleurs, le chemin de la chose passe par les mots.

Raoul Nkuitchou Nkouatchet
JDC)/n

L’Afrique au XXIe siècle : Une conversation de bistrot

Par Axelle Kabou – Essayiste

LE XXIE SIECLE SERA-T-IL AFRICAIN ? AXELLE KABOU QUI A PUBLIE, CETTE ANNEE, UN ESSAI INTITULE COMMENT L’AFRIQUE EN EST ARRIVEE LA, CHEZ L’HARMATTAN, TENTE DE CLARIFIER CETTE QUESTION EN S’APPUYANT SUR SON EXPERIENCE INTERNATIONALE EN PROSPECTIVE. ELLE ANALYSE LES REPRESENTATIONS DOMINANTES DES TRAJECTOIRES DE L’AFRIQUE AU COURS DE CE SIECLE EN LES SITUANT DANS UN CONTEXTE GLOBAL. ELLE MONTRE QU’A LA RESURGENCE DU THEME DE LA RENAISSANCE AFRICAINE REPOND CELLE DE LA REGENERESCENCE DU MONDE. DERRIERE CES PARAVENTS, L’AFRIQUE, ADOSSEE A SES PARTENAIRES ETRANGERS, EFFECTUE, PAR CERTAINS ASPECTS INQUIETANTS, UN RETOUR AU XIXE SIECLE. FAUTE D’EXISTER, CE CONTINENT N’A, POUR L’INSTANT QUE DES AVENIRS, PAS DE FUTURS.

LES RAVAGES DE L’AFRO-FERVEUR
Le XXIe siècle sera t-il africain ? Qu’importent, au fond, les réponses à cette question vague ? Les perceptions de « la place de l’Afrique dans le monde » sont passées du noir funéraire au rose bonbon, en l’espace d’une petite décennie. Cette révolution chromatique mérite bien quelques commentaires. En effet, condamnée, hier encore, par les théoriciens de la déconnexion par défaut, à rançonner le monde riche, grâce à ses capacités de nuisance, l’Afrique, subsaharienne notamment, est désormais vouée par des intérêts politiques et marchands, à marquer le XXIe siècle d’une trajectoire ascendante, voire dominante. La vision d’une Afrique chargée de revitaliser un capitalisme en panne de croissance ; d’une Afrique attifée en dernier terrain d’expansion du capitalisme mondial officiel ; catapultée, par le commerce international, dans le club des grands de ce monde a quelque chose de sulfureux. Songeons, en effet : au rôle crucial, et pourtant subalterne, de cette région dans les rivalités hégémoniques de l’Occident et de l’Orient ; de la Chrétienté et de l’Islam ; des formations politiques du Maghreb ; de l’Occident et de l’Extrême-Orient ; du « Nord » et du « Sud » ; de l’Union soviétique et de l’Occident libéral ; et, plus prosaïquement, à son déclassement dans le cadastre géostratégique officiel de la fin du siècle dernier.

Depuis l’initiative lullienne de 2002, qui constituerait le point de départ de la ruée vers un nouvel Eldorado, l’Afrique est réputée « re-convoitée », re-courtisée par la planète entière. Toute la question est donc de savoir comment ce retour en grâce -car il ne s’agit que de cela, pour le moment – affectera les capacités des sociétés africaines à : produire leur propre histoire, modifier leur mode d’arrimage au monde extérieur. Or, ces interrogations capitales, qui touchent au changement social et à l’historicité des sociétés africaines semblent, pour l’instant, occultées par des paris économicistes et des discussions de comptoir. En effet, surpris par ce coup de projecteur inopiné sur « l’Afrique délaissée », afro-pessimistes et afro-optimistes, pro-européens et pro-asiatiques n’ont cessé de tisser, autour de « la place de l’Afrique dans le monde », un nouveau bréviaire : une conversation de bistrot à laquelle participent parfois, assez paradoxalement, des observateurs plus avertis ; sous l’ il, globalement, absent du monde académique africain francophone. Résultat : faute de concurrence, l’afro-ferveur fait des ravages. L’heure est, en effet, à l’optimisme pieux. On est prié, la foi chevillée au corps, de se prosterner devant des perspectives de croissance économique mirifiques ; la montée de classes moyennes entreprenantes ; des remontées de filières réussies ; de grands travaux créateurs d’emplois ; psalmodier que l’avenir de l’Afrique n’est écrit nulle part. que « L’Afrique va bien », sous peine de se voir excommunié pour avoir versé dans un pessimisme incrusté.

A LA RECHERCHE D’UNE BOUSSOLE
Difficile, dès lors, de savoir si ce continent, qui a entamé sa grande transformation, est en train de s’éveiller pour autant ; et si oui, à quoi ? Si sa « diaspora », précipitée récemment en 6e région et transmuée en fer de lance du développement de l’Afrique, par l’Union Africaine, est en train de remplir sa mission de conquistadores. Si les lueurs économiques repérées ci et là sont, pour parler comme Achille Mbembé, réductibles à « quelques objets (scintillants) dans un fleuve qui rebrousse chemin ». Si l’on doit, avec Daniel Etounga- Manguellé, ranger les visions de nos dominants et leurs appels à l’émergence dans les tiroirs du nominalisme, de l’incantation, du grimoire politique tant elles tranchent avec les dynamiques à l’ uvre dans nos pays. Il se peut que l’Afrique, qui abrite actuellement l’essentiel des PMA de la planète, se constitue en puissance mondiale au cours de ce siècle. Ou qu’éparpillée et populeuse, elle conserve son positionnement de vassal du monde tout en y déversant ses excédents démographiques et en accueillant, à son tour, des hordes asiatiques. Personne, pour l’instant, n’est en mesure de dire de quel côté penchera la balance. Pour une demi-douzaine de raisons, au moins, qui valent le détour.

FUTURS AFRICAINS ET INTERETS MARCHANDS
Les futurs de l’Afrique sont squattés par les intérêts des marchands et par ceux des gouvernements africains qui restent les principaux commanditaires de ce genre d’études. Ici, pas de véritables capacités indépendantes d’analyse : des démographes et des urbanistes étrangers évaluent la taille et la configuration des marchés africains à long terme, afin de les approvisionner et évincer les concurrents ; préserver leur région de débordements démographiques et d’autres nuisances prêtées au continent africain. Ils croient, à quelques « pièges à pauvreté » près, à des lendemains meilleurs, pour des raisons purement commerciales. Les gouvernements africains, eux, élaborent des shopping lists ornées de professions de foi. Baptisés « visions », ces documents ne servent pas à mobiliser des populations autour de la réalisation de leurs rêves et guider l’action, mais à mettre des bailleurs de fonds rivaux en concurrence ; se prévaloir d’aptitudes, non démontrées, à diriger des pays en voie de peuplement et aménager des Etats aux contours plus qu’incertains. Les « visions 2020 » ont ainsi permis, dans les années 1990, de divaguer sur des ‘nations’ africaines désincarnées, à coups de modèles macro-économiques sophistiqués, de plans stratégiques bidons et d’appels éthérés à la pro-activité : depuis lors, bon nombre de pays africains, projetés en tigres et en éléphants, ont sombré dans des troubles persistants ou péri dans des guerres civiles pourtant prévisibles. Certains sont devenus des « narco-Etats-dealers »; d’autres, souvent les mêmes, sont passés au blanchiment de l’argent sale ou au commerce de produits illicites : tous, meurtris par des conflits pseudo identitaires, plus ou moins déclarés, plus ou moins couverts par les médias internationaux, paient, au prix fort, le coût de la production de soi.

EXPLORER OU PRESCRIRE ?
La prospective, en Afrique, est vaguement exploratoire, essentiellement prescriptive : les futurs africains tendent, par conséquent, à ressembler au passé de NPI, comme en témoigne, après d’autres engouements, la mode actuelle du développementisme et de l’émergence, ce dernier vocable étant synonyme de pays en voie de développement. Ces mots d’ordre prolongent une tradition de comparativisme lisse héritée, à la fois, de la réflexion stratégique des années 1990 et de l’échec des Conférences nationales de l’époque à générer des visions bâties autour des rêves des Africains.
Le découplage du passé de l’Afrique et de ses futurs possibles constitue l’une des évolutions les plus marquantes de la réflexion prospective appliquée à ce continent. Cette déconnexion serait justifiée par l’exceptionnelle ampleur des dynamiques démographiques et migratoires qui dessinent, effectivement, sous nos yeux une nouvelle Afrique et par le regain d’intérêt des puissances de ce monde pour cette région, dans un contexte marqué par le basculement des centres de production de la richesse mondiale du Nord au « Sud ». Pour un peu, on croirait que l’Afrique, ce continent rural en voie de bidonvillisation, s’apprête à rejoindre le peloton des sociétés « programmées » de la fin de l’ère industrielle européenne ; intégrer la cohorte des sociétés où la part de l’acquis par rapport à celle du conquis s’est amenuisée au point d’autoriser la production délibérée de futurs maîtrisés : les Africains peuvent-ils avoir la prétention de réduire la part du hasard dans la formation de leurs futurs, par la décision, l’action et la négociation civilisée ou sommes nous confrontés à des sociétés où le hasard et la mort menacent de rester encore longtemps au volant ? Par quels processus et à quel horizon peut-on s’attendre à ce que les sociétés africaines aient significativement renforcé leur emprise sur la production de leur histoire ? Ce débat, crucial, n’est même pas encore entamé. Comment, dès lors, parler de vision ?

PARFAIRE LE XXE SIECLE
Le fait que les représentations des futurs possibles de l’Afrique soient plombées par des problèmes propres à la réflexion à long terme, en général, et lestées par un millénarisme pesant n’arrange pas les choses. En effet, la prospective semble, globalement, contaminée par le sentiment d’échec et d’incomplétude qui caractérise ce début de siècle. Sommée de se prononcer sur les futurs de la planète à partir d’un entre-deux ; privée des transes idéologiques et nucléaires d’après 1945 ; malmenée par un monde devenu probablement trop chaotique, trop volatile pour se laisser scruter en profondeur, elle paraît de moins en moins capable de pré-voir ces ruptures systémiques qui transportent imperceptiblement ou brutalement l’humanité d’un univers à l’autre. Résultat : jamais époque n’aura, autant que ce début de siècle, été chargée de boucler de vieux chantiers, rectifier le passé ; inverser l’ordre établi ; venger des contemporains des affres d’un siècle révolu ; redorer des blasons ternis ; réhabiliter d’anciens parias ; les dédommager de camouflets séculaires. Ont ainsi surgi ou re-surgi devant des vigiles planétaires assoupis, des événements et des tendances qui carbonisent les relations internationales actuelles, au premier rang desquels : le 11 septembre 2001 ; le rejet de l’ultra-libéralisme et de la globalisation ; l’échec de la mondialisation ; le retour du troc ; celui du thème du cannibalisme dans la conversation internationale ; le refus du capitanat de l’Occident et de son universalisme ; la crise financière de 2008-2009 ; le printemps arabe ; l’arrogance chinoise; le retour de l’Afrique et de ses matières premières dans les soutes d’une économie mondiale que l’on croyait définitivement dématérialisée, définitivement condamnée à l’involution régionale. En attendant de recouvrer la vue, les veilleurs stratégiques paraissent se contenter d’adjoindre une diversité de domaines à l’expression « nouvelle architecture » ; analyser des. grilles d’analyse du XXIe siècle ; hypertrophier des institutions connues (le marché, la démocratie, l’empire) : parfaire le XXe siècle, en somme.

REGENERESCENCE DU MONDE ET RENAISSANCE AFRICAINE
On rêve, en ce début de siècle, d’une Afrique chargée de relancer la croissance en berne de vieux pays post-industriels ; prolonger celle de la Chine, au lieu de se projeter à partir de débats articulés autour de nouvelles raisons de vivre. On rêve de régénérescence du monde, par l’écologie ; d’une gouvernance mondiale issue d’un réaménagement volontaire de l’ordre actuel ; de démondialisation délibérée. Le nouvel ordre économique et politique mondial dont avaient rêvé les Non Alignés, dans les années 1970, serait en train de naître d’un Sud émergent. Ce « Sud » capricant et indifférencié tiendrait, enfin, sa revanche sur un « Nord » déclinant, cacochyme et belliqueux. On nage en plein messianisme : l’Afrique, berceau monde, serait destinée à en devenir le futur, par la grâce de l’économie de marché. Aux rêves de réagencement du monde, d’ingénierie politique planétaire charriés par une certaine littérature, répondent des augures de type statistique, cathartique, prophétique, téléonomique que véhiculent assez bien les thèmes, passablement remâchés, du « réveil de l’Afrique », de la « renaissance africaine », de la « revanche de l’Afrique », de la reconquête d’une verticalité perdue ; ou pire, de l’Afrique « re-convoitée » ; en « reclassement géopolitique ou stratégique ». Par une logique mécanique et inexorable, on espère que les Africains occuperont, enfin, la place dominante qui leur reviendrait dans le monde. En vertu d’une obscure loi du nombre, la majorité démographique africaine se muerait en majorité sociologique ! Pour un peu, on aurait cru qu’il suffisait de changer de siècle et de millénaire pour changer d’époque et d’outillage mental ! Ces simulacres de visions collectives, imbibées d’inversions, de prescriptions et d’extrapolations, ont des relents de naphtaline, de vieilles malles, de vieux papiers : ils ne s’intéressent ni à la part de singularité du XXIe siècle ni à la part d’inédit dont l’Afrique pourrait accoucher.

UN RETOUR AU XIXe SIECLE ?
Avant de se perdre en conjectures sur les trajectoires de l’Afrique dans le monde qui vient, sans doute convient-il de se demander s’il est indifférent : que l’Afrique subsaharienne soit entrée dans le XXIe siècle par un retour quasi caricatural au XIXe siècle, et non par effraction, à l’instar de ces Asiatiques à l’entrisme désormais légendaire. Que cette région bascule en ce moment vers l’Extrême-Orient, perpétuant un mouvement pendulaire qui l’a portée alternativement de l’Orient à l’Occident, au point de n’être devenue ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre mais une curieuse superposition des deux. Que la résurgence d’un scénario, classique en Afrique, de forte croissance, assortie de diversification économique et suivie d’effondrement, sur fond de guerres horribles, reste plausible à un horizon prévisible. Guerres des esclaves, de la gomme, de l’or, de l’ivoire, des peaux, de la cire, des concessions minières et agricoles, hier ; guerres du pétrole, du diamant, du coltan, des terres agricoles, voire du cacao, aujourd’hui, avec les mêmes types de seigneurs de la guerre africains et leurs éternels comparses étrangers ; les mêmes interpénétrations d’enjeux, dans des paysages politiques, démographiques, physiques jonchés de cadavres, labourés par l’inachèvement. L’Afrique est aujourd’hui, comme hier, au centre, très artificiel, d’un mouvement planétaire de redistribution des cartes qui lui est familier et dont elle a toujours été le dindon ; au beau milieu d’un cocktail explosif qui lui a toujours été fatal. La ruée actuelle sur ce continent n’est, en effet, que la séquence la plus récente d’une vieille histoire : celle de l’imbrication, inaugurée par les Arabes, les Portugais et leurs alliés Africains, de luttes hégémoniques internationales et de luttes intra-africaines pour la domination. Aujourd’hui, comme hier, les entrepreneurs politiques africains se disputent les ressources de l’Etat en faisant feu de tout bois : démocratie, religion, patriotisme, exclusion, extermination, autochtonie, pureté nationale, métissage, codes vestimentaires, etc.

QUI INSTRUMENTALISE QUI ?
La nécessité de diversifier les partenaires étrangers est un thème lancinant de l’histoire des relations extérieures de l’Afrique. Les couches dominantes des sociétés africaines vivent, à cet égard, leur heure de gloire, à l’instar de ce Maloango ravi de pouvoir, enfin, jouer les Hollandais contre les Portugais, après un siècle de tête-à-tête avec ces derniers. Elles mettent à profit leur retour en cour pour affermir et affiner leurs vieilles logiques d’arrimage dépendant au monde extérieur ; élargir leurs marges de man uvre ; diversifier, amplifier de vieux mécanismes de prédation qui ont plongé les économies courtières de leurs prédécesseurs dans des guerres d’une cruauté sans nom : ni les Akan ni les Fanti qui se sont étripés notamment, pour conserver le privilège de commercer avec les Européens, à partir d’espaces disputés, n’auraient été surpris par le « conflit post-électoral ivoirien » : ils l’ont, d’une certaine manière, initié. De même, les seigneurs de la guerre coiffant des Etats-brigands et les « empereurs » qui ont transformé l’Afrique centrale en champ de mort, au XIXe siècle, n’auraient eu aucun mal à se reconnaître dans les conflits qui déchirent la région des Grands Lacs aujourd’hui : ils les ont initiés. L’Afrique « re-convoitée » poursuit ainsi sa propre histoire en empruntant les chemins vénéneux du capitalisme international à grandes guides ; en combinant les genres, les répertoires, voire les époques sous nos yeux ahuris, meurtris. Aujourd’hui comme hier, les guerres de domination des grands de ce monde ; et les processus de peuplement, de formation de structures étatiques, de reconfiguration des espaces et des pouvoirs à l’échelle nationale et régionale, en Afrique, se télescopent. Pour le malheur des Africains.

RESTER EN VIE
En 2050, il y aura plus d’Africains sur terre que de Chinois ou d’Indiens. La plupart des Africains seront des Afro-asiatiques aux yeux bridés quit parleront un créole fait de langues africaines et de langues asiatiques. Considérée comme le dernier réservoir de la croissance mondiale, l’Afrique n’en restera pas moins un continent en voie de désertification car le Sahara et le Kalahari se rapprochent. L’Afrique restera une région en proie à des convulsions plus ou moins intenses qu’amplifieront nécessairement trois facteurs au moins : son fameux nouveau dynamisme démographique et migratoire ; son inaptitude à anticiper les crises afin de s’organiser pour les éviter ; son immersion croissante dans l’économie internationale criminalisée. Ces éléments, combinés à l’appétit d’acteurs étrangers pour ses ressources, pourraient repousser de quelques centaines d’années, l’émergence et la cristallisation des préalables à réunir pour que l’Afrique puisse prétendre occuper une position dominante dans le monde. Sans un passage franc de la prédation à la production, les Africains pourraient bientôt renouer massivement avec cette époque hautement cynégétique où leurs ancêtres ne devaient leur survie qu’à la force de leurs jarrets ; ces temps d’errance où tout, se comptait en fusils et en barils de poudre. Sans un renforcement des capacités africaines de prévention et de gestion des conflits, les Africains, au XXIe siècle, devront avant toute chose, déployer des trésors d’ingéniosité pour rester en vie.

Axelle Kabou
http://continentpremier.com)/n

Vient de paraitre: « Comment l’Afrique en est arrivée là » de la camerounaise Axelle Kabou

Cet essai a été publié dans la Collection Points de vue chez l’Harmattan Paris. Extrait.

L’objectif de ce travail est selon l’auteur montrer que l’insertion des économies subsahariennes dans des échanges intercontinentaux remonte à la fin de la préhistoire et non à la colonisation et aux indépendances et que cela a des conséquences spécifiques dont on ne tient pas compte; redonner des souches à une histoire économique trop souvent amputée de ses racines afin de contribuer à éclairer le présent et la réflexion en cours sur nos futurs probables ; encourager la tenue, en Afrique et ailleurs, de débats informés, de bon niveau, sur la question cruciale du rang et du rôle de l’Afrique dans le monde. Car contrairement à ce qu’on raconte, l’histoire de la marginalisation de l’Afrique et celle de l’apparition de ce débat sur la scène internationale sont deux choses tout à fait distinctes. L’amalgame des deux a une fonction précise : permettre de produire, depuis trente ans, des propositions de sortie de crise cosmétiques qui partent invariablement de la colonisation et des indépendances. Il est temps de mettre fin à cette escroquerie. L’Afrique subsaharienne est entrée dans l’Histoire d’une manière originale : par la fente la plus étroite qui soit. Elle a raté ses rapports avec elle-même, ses relations avec la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Europe. Peut-elle aller au-delà de sa stratégie actuelle de diversification des partenaires extérieurs ; passer du statut de « continent convoité » à celui de continent conquérant ?

Axelle Kabou est consultante en communication. Elle a fait des études d’économie générale et des études supérieures en communication. Elle a été chargée de communication aux niveaux national, régional et international. Elle est l’auteur notamment d’un essai intitulé Et si l’Afrique refusait le développement ?

Extrait
Contrairement à ce qu’on raconte, l’histoire de la marginalisation de l’Afrique subsaharienne et celle de l’irruption de ce thème dans les débats internationaux ne sont pas identiques. C’est précisément ce que des décennies d’empoignades sur les conséquences de la-traite-la-colonisation-les-indépendances, auxquelles on attribue cette marginalisation, n’ont pas réussi à faire comprendre et qu’il importe d’expliquer, avant le prochain effondrement des cours des matières premières..

En effet, la première histoire se met en place dès la fin de la préhistoire . la seconde histoire est un bréviaire fabriqué et diffusé, à partir de la fin des années 1970, par des institutions internationales universelles ou africaines, avec l’appui des milieux académiques et des médias. C’est dire !

La marginalisation des économies subsahariennes ou, au contraire, leurs perspectives d’insertion réussie, ne sont pas réductibles aux deux ou trois tendances hérissées de pourcentages auxquelles la littérature internationale officielle tend à les confiner..

Sans doute, est-il temps, à cet égard, de revenir au c ur du problème en convenant que les capacités concurrentielles d’une région donnée relèvent, avant tout, de la production de soi et du changement social compris comme des processus historiques et non comme le résultat de tripatouillages, de conjectures écrites à l’encre rose. Le premier de ces processus commence par un drame fondateur universel ayant pour enjeu la capacité des sociétés de produire et maîtriser leur histoire. Le second, qui a trait à l’obligation d’emprunter et de se mélanger, concerne l’aptitude des sociétés à respirer plus amplement au sortir d’étreintes et de rixes avec autrui. Tels sont les thèmes de ce livre.

La nécessité de s’inventer, de se réinventer s’ouvre, sous toutes les latitudes, par des questions identiques, d’ampleur variable, qui sont autant de défis.
Ces questions, résolues avec plus ou moins de bonheur, d’un lieu à l’autre, constituent autant d’expériences.. En Afrique, comme dans bien d’autres régions du globe, cette expérience reste fortement marquée par des difficultés à faire trois choses d’une importance capitale : premièrement, changer significativement de manière de produire et accumuler la richesse ; en deuxième lieu, générer et utiliser les connaissances ; et enfin, donner un nouveau sens à ces activités afin d’affermir le plancher de la vie chez soi et soutenir la concurrence au plan intercontinental. Cette infirmité historique est au c ur de cet essai.

Il est urgent, en effet, de : mettre à distance cette représentation dominante de l’évolution de l’Afrique subsaharienne, dans les échanges mondiaux, qui se repaît de tendances éphémères et écrit l’avenir en fonction de l’air du temps ; expliquer le rapport entre le passé et le présent ; raccorder ce dernier à la très vieille et singulière histoire de l’insertion de cette région dans des réseaux d’échanges intercontinentaux car la ‘compétitivité’ n’émerge pas du vide.

Ce livre s’y emploie en proposant des réponses à quelques questions cardinales : que dit cette représentation ? Dans quel contexte a-t-elle été élaborée ? Par qui ? Avec quelles lacunes et quelles conséquences ? L’Afrique est-elle plus marginalisée qu’insérée dans les échanges internationaux ? Si oui, depuis quand et par quels processus ? Que recouvre exactement la notion de marginalisation ? Peut-on, comme le veut une pratique désormais consacrée, augurer des futurs des économies subsahariennes, en faisant fi de leur histoire ? Dans la négative, jusqu’où faudrait-il remonter ? Quel passé convient-il de convoquer ? Plus spécifiquement, quel traitement réserver à ‘la traite et la colonisation’, aux indépendances ? .
. cet essai n’a, . aucune ambition académique. Il tient compte des rumeurs de son époque mais n’augure de rien. Il a, plus modestement, pour objectifs : d’expliquer comment et, à partir de quels lieux, on parle, depuis trente ans, de l’insertion des économies africaines subsahariennes dans le commerce international ; fournir, au public le plus large possible, des informations pertinentes sur la véritable histoire de leur participation à ces échanges.

Ce livre s’adresse, par conséquent, à tous ceux qui, lassés de pronostics plus ou moins radieux, aimeraient, avant de se perdre en conjectures, comprendre comment l’Afrique subsaharienne en est arrivée à occuper sa place actuelle dans le monde. Et pourquoi il lui est difficile de la quitter.

.L’Afrique est-elle, condamnée à être la dernière frontière du capitalisme officiel ? Est-elle vouée à saisir une telle opportunité pour modifier son rang et son rôle dans le monde ? Si oui, pourquoi « la réinvention du capitalisme » s’y traduit-elle, depuis le XVe siècle au moins, par la prédation, la violence, la guerre, des conflits résurgents, l’apparition et la disparition d’États brigands, de seigneurs de la guerre, de bandes armées, de mercenaires et d’enfants-soldats, d’hégémonies militaires esclavagistes au souffle court et au territoire fuyant ; de régimes politiques vitrifiés, l’accaparement des ressources locales par des entrepreneurs politiques de tout poil, qui ne cessent de s’entre-tuer et tuer des Africains à la moindre odeur d’argent ?

Pourquoi ces expériences, somme toute, universelles, de déchaînements de violence liées à la captation des richesses, à la recherche de domination, ne se soldent-elles pas par une préférence marquée des couches dominantes des sociétés africaines pour des stratégies privilégiant l’investissement, la productivité, l’élargissement de la prospérité matérielle à un nombre croissant d’individus, par le travail, comme cela s’est fait ailleurs ? Qu’est-ce qui, en un mot a manqué et manque de nos jours encore pour que la mayonnaise prenne ?

Cet essai n’a qu’une ambition : sortir le débat sur la marginalisation ou le décollage de l’Afrique de la conversation de comptoir auquel il se résume depuis trente ans.


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